Finkielkraut en Majesté et La prof au sourire assassin. Sarah Cattan

Souvenez-vous. Ce fut, ce 10 avril 2014, une élection qui divisa les Habits verts sur l’arrivée de cet intellectuel médiatique sous la Coupole.

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Fils d’un déporté survivant d’Auschwitz, Alain Finkielkraut, né le 30 juin 1949 à Paris dans une famille juive d’origine polonaise, normalien, agrégé de lettres et professeur de philosophie notamment à l’Ecole polytechnique jusqu’à l’an dernier, voue aux lois de la République un respect absolu et défend bec et ongles l’école républicaine à la française.

Taxé de réactionnaire par ses détracteurs, d’intellectuel incontournable et de « profil idéal » par ses partisans, l’ardent polémiste n’a jamais laissé personne indifférent, et la candidature de ce familier des plateaux de télévision, animateur de l’émission «Répliques» sur France Culture, et «  L’esprit de l’escalier » sur RCJ, ne manqua pas d’agiter le petit monde feutré du Quai de Conti : personnalité « trop clivante » pour certains, alors que d’autres n’hésitaient pas à évoquer l’entrée à l’Académie du Front national. ( sic )

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Le nouvel Immortel de 66 ans fut élu au premier tour au fauteuil de Félicien Marceau par 16 voix sur 28. «Si Finkielkraut n’est pas élu, je ne mettrai plus les pieds à l’Académie», avait prévenu Jean d’Ormesson. Une  prise de position contraire aux statuts de l’Académie avant une élection, mais pas inédite[1].

« C’est un plaisir », avait pour sa part réagi Alain Finkielkraut sur BFMTV. Je dois préparer un éloge et je reste un petit garçon qui a peur de l’obstacle. Je suis un peu tourneboulé par ce qui m’arrive».

   “L’IDENTITE MALHEUREUSE”

 

Critique de la modernité et pourfendeur du politiquement correct, Alain Finkielkraut  suscita de vives controverses dès 2013 avec son essai à succès sur l’identité nationale et l’immigration, « L’identité malheureuse » (Stock), et il défendit déjà, dans l’émission Des paroles et des actes,  la notion d’intégration des immigrés, regrettant des mesures qui visaient « non à mettre la diversité aux normes de la France mais la France aux normes de la diversité » et évoquant une « mutation civilisationnelle » : Alain Finkielkraut regrettait en effet que le gouvernement « remette en cause la préséance de la culture du pays d’accueil sur les cultures minoritaires » et n’avait par ailleurs pas hésité, lors de la violente polémique qui agita la France à propos de l’humoriste controversé Dieudonné, à dénoncer l’existence d’un «antisémitisme black-blanc-beur».

On retrouve chez l’écrivain et philosophe l’influence de Hannah Arendt, Emmanuel Lévinas, Charles Péguy ou encore de son ami Milan Kundera, qui dit si bien de lui :

« Cet homme ne sait pas comment ne pas réagir ».

Parmi les œuvres principales de Finkielkraut, qui fut l’un des premiers intellectuels à prôner une intervention occidentale en ex-Yougoslavie, figurent des ouvrages sur la fin de la culture, la littérature, l’amour, la modernité, l’éducation ou la religion, dont «La Défaite de la pensée» (1987), «Internet, l’inquiétante extase» (2001), «La Querelle de l’école» (2007), «Un cœur intelligent», prix de l’essai de l’Académie française 2010, ou encore «Et si l’amour durait» (2011).

Contesté par des opposants qui le taxent d’islamophobie, le polémiste est souvent obligé de défendre ses propos et ses livres, parfois de façon véhémente, comme ce soir du 18 octobre 2013, sur le plateau de Ce soir ou jamais, sur France 2, où, en plein débat, le philosophe hurla un « taisez-vous » tonitruant à son contradicteur qui lui coupait la parole. Un cri qui fit et fait encore le tour des réseaux sociaux et lui « colle à la peau ».

Quel port impérial ne montra-t-il pourtant pas jeudi dernier, face à Wiam Berhouma, jeune professeur d’anglais dont tout le monde parle depuis son intervention face au penseur dans Des paroles et des actes du 21 janvier.

En marge du débat Daniel Cohn Bendit – Alain Finkielkraut, la rédaction de France 2 aurait choisi pour porter la contradiction à l’auteur de  «L’Identité malheureuse»  une jeune femme de confession musulmane de 26 ans, professeur d’anglais dans un collège de Noisy-le-Sec et qui, insista David Pujadas, n’était « encartée dans aucun parti politique».

                              Une posture victimaire indélogeable

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L’intervention de la jeune femme fut très remarquée et commentée. Et pour cause ! Le sourire assassin, la joie mauvaise, lancée dans ce qui pouvait ressembler à l’interminable introduction d’une leçon sur le communautarisme, l’intégrisme et l’antisionisme, et qui s’avérera au final un ramassis haineux de présupposés à l’égard du philosophe, Wiam Berhouna, installée dans une posture victimaire indélogeable, reprocha entre autres à l’intellectuel d’avoir « obscurci nos esprits avec tout un tas de théories vaseuses et approximatives » et l’accusa d’avoir de ce fait « alimenté en France un climat délétère.»

« Êtes-vous conscient de faire du mal à la France ? », osa-t-elle lui lancer du haut de ses 26 ans,  avec toujours ce sourire accroché aux lèvres, enjoignant encore à un Alain Finkelkrault de « se taire pour le bien de la France ». ( Comprenne qui pourra).

L’intellectuel, un court instant déstabilisé, se reprit et regretta, impérial, «que l’on se replie sur une susceptibilité à fleur de peau et que l’on cherche à toute chose un coupable extérieur» : «A dénoncer sans cesse l’islamophobie dès lors qu’on tient un discours un peu critique, on s’installe dans le grief et la plainte», poursuivit-il avant de citer Desproges: «Je m’inscrirai à SOS Racisme, le jour où on mettra un «s» à racisme».

Certains tweetos firent très vite remarquer, pendant l’altercation, que la jeune femme faisait partie du PIR, le Parti des indigènes de la République, organisation créée en 2005 par Houria Bouteldja et se définissant comme antiraciste, antisioniste et en lutte contre les discriminations. Ce faisant, les internautes dénonçaient à minima un manque de précision de la part de la chaîne qui aurait dû, selon eux et selon nous, indiquer l’appartenance politique de l’enseignante de Noisy-le-Sec.

Mais Wiam Berhouma démentit dans la foulée sur son compte Twitter toute tentative de manipulation : « A tous ceux qui croient aux licornes, je ne fais partie d’aucun collectif (PIR ou autre) ni d’aucun parti politique. Nice try haters! », twitta-t-elle, alors que le site de Marianne confirmait dès la fin de l’émission que la jeune femme avait participé le 31 octobre dernier à la marche de la dignité contre les violences policières[1] et que son nom figurait bien, avec celui de Houria Bouteldja, fondatrice du PIR, parmi les signataires du collectif Marche des femmes pour la dignité (Mafed) créé pour l’occasion[2].

Que la jeune enseignante fut membre d’un collectif en lien étroit avec le Parti des indigènes de la République aurait pu n’être qu’un non-événement si cette appartenance avait été notifiée avant son intervention dans l’émission.

                      SOUS LA HOULETTE DE CETTE HARPIE

Les internautes y allèrent de leurs commentaires, d’aucuns se félicitant de n’avoir pas eu d’enfants « qui auraient risqué de se retrouver sous la houlette de cette harpie » alors que d’autres voyaient en elle « une caricature vivante de la victimisation». On nota que si, pour certains twittos musulmans, « cette femme n’avait fait que dire au philosophe ses quatre vérités », d’aucuns demandaient naïvement : « Quelles vérités ? Concrètement il leur a fait quoi aux musulmans Finkielkraut ? A part d’être juif ».

Et les commentaires sur Twitter de s’en suivre :

« Je parle de certains musulmans. Les adeptes de la victimisation »

« Qu’entendez-vous au juste par adeptes de la victimisation ? J’aimerais préciser par avance que mon objectif est de comprendre uniquement »

« Ceux qui ne cessent d’accuser la société d’être la cause de leurs échecs alors que dans aucun pays musulman, les musulmans ne vivent aussi bien qu’en France ».

« J’ai lu quelque part que cette femme était membre de BDS[4]. On est loin de la petite personne lambda et apolitique comme présentée au début ».

« Il faut arrêter de faire parler les musulmans comme s’il s’agissait d’un bloc. Cette intervenante est une erreur de casting qui est venue débiter son torrent de niaiseries victimaires. Discours indigne d’une enseignante incapable d’articuler une analyse citoyenne en ayant le souci du bien commun. Insipide démonstration de démagogie communautariste ».

« Ah oui, mais … Si cette jeune femme avait un peu raison, ne serait-ce que sur ce qu’elle a suscité à propos du rôle que devraient jouer les intellos en France en ces périodes de haute tension ? » ( sic )

« Mais elle a elle-même pratiqué l’insulte et la polémique stérile ! »

« Elle a dit ce qu’elle pensait ! Peut-être un peu fort. »

« Vous cautionnez le fond et la forme de cette intervention ? »

« Je sens la menace. Elle a dit ce qu’elle pensait dans un pays où l’on dit ce qu’on pense. Et je crois que ce n’est pas pour ça qu’on la crucifie comme c’est le cas depuis jeudi dernier ».

« Elle pense de la haine ! Et ça c’est inacceptable ! Vous n’avez absolument pas le droit de la défendre sur mon mur. Faites le chez vous. Et toute opinion n’est pas respectable. Je l’assume ».

« S’il y a bien une communauté d’excités c’est celle des musulmans et ils feraient mieux de se calmer au lieu de nous demander à nous de jouer l’apaisement. Non ! Je ne jouerai pas l’apaisement ! Nous sommes victimes d’attentats sur notre sol et ça ne vient pas de la communauté bouddhiste ! »

          UNE TRIBUNE OFFERTE À L’INNOMMABLE

En réalité, ce fut, ce soir-là, sur la télévision publique, une tribune offerte à l’innommable. Parce que cette jeune femme leur faisait peur, parce que, alors même qu’Alain Finkielkraut était violemment insulté, il ne fallait surtout pas donner l’impression de limiter, ou pire, de faire se taire la parole émanant d’une idéologue simpliste de la banlieue[5].

Posture intolérable, tant personne n’en sortira indemne. Et comment ne pas citer à nouveau Elizabeth Badinter et son appel à ne pas se laisser bâillonner par le politiquement correct lorsqu’il s’agit de défendre la laïcité :  « II ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe, qui a été pendant pas mal d’années le stop absolu, l’interdiction de parler et presque la suspicion sur la laïcité ».

Je veux encore vous dire que France 2, pendant ce temps, ravie du buzz[6] provoqué et qui ne manquerait pas de s’éteindre dès que Laurent Ruquier[7] aurait à son tour créé avec ses chroniqueurs le prochain émoi de la twittosphère, ne fit quant à elle aucun commentaire sur l’intervention de Wiam Berhouma et cette interminable diatribe où elle vomissait la France, silence assourdissant alors même qu’une pétition sur le site Avaaz.org réunissait de nombreux signataires qui exigeaient une explication des producteurs de l’émission.

Et la Presse Française se partagea entre l’indignation face au lâche silence de Daniel Cohn Bendit ou David Pujadas qui assistèrent à ce qui fut, de l’avis de tous, une chasse à l’homme, et la sidération trois jours plus tard devant celui de la Ministre Najat Vallaud Belkacem, tous signifiants d’une si honteuse compromission, et, dans un improbable grand écart, la remise officielle à notre philosophe de son épée d’Académicien au Centre National du Livre par son collègue franco-libanais Amin Maalouf après le discours d’Elisabeth de Fontenay, qui précisa que c’était la première fois qu’ « un Juif en majesté [entrait] à l’Académie » et se posa en gardienne du « vrai visage » de Finkelkrault. Une identité résumée par les trois symboles gravés sur son épée: une tête de vache, pour l’ aspect paisible et plein de sagesse qu’y voyait l’Académicien, la première lettre de l’alphabet hébraïque aleph, et cette phrase de Charles Péguy : « La République, une et indivisible, notre royaume de France ».

Cherchez l’erreur. Ou comment avancer lorsque la classe politico-médiatique est engluée jusqu’à la paralysie dans ses contradictions[8].

Sarah Cattan

[1] Le même Jean d’Ormesson avait ainsi défendu avec ardeur la candidature de la première académicienne, Marguerite Yourcenar, en 1980.

[2] Au cours de la Marche de la Dignité du 31 octobre, furent criés les slogans: 1ere, 2eme, 3eme intifada! Nous sommes tous des enfants de Gaza ! On s en fout on est chez nous !

[3] Des photos d’elle lors de la marche sont également disponibles sur la page Facebook des Indigènes de la République.

[4] BDS : il s’agit de la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanctions, « la réponse citoyenne et non-violente à l’impunité d’Israël », campagne internationale votée en juillet 2005 appelant à exercer diverses pressions économiques, académiques, culturelles et politiques sur Israël, pour aboutir à la fin de l’occupation et de la colonisation des terres arabes.

[5] Il n’est pas anodin de constater qu’une certaine gauche fait preuve d’indulgence, voire de complaisance, à l’endroit de l’islam politique.

[6] Tout est bon, même le nauséabond, pour l’audimat.

[7] Ce ne fut pas Laurent Ruquier, mais Ali Badou : le dirigeant de l’association humanitaire islamique Idriss Sihamedi, invité du Supplément Canal + du 24 janvier, affirma devant Najat Vallaud Belkacem qu’il refusait de serrer la main aux femmes, « comme certains rabbins », et se montra particulièrement timide dans sa condamnation de l’EI. Mais ce sera peut-être demain Léa Salamé, qui affubla ce matin-même  sur France Inter notre penseur du sobriquet de « dominant », juste avant que l’humoriste belge Charline ne lui reprochât de vivre « dans un ghetto ».

[8] Nous citons la Ministre de la Culture face aux  très discutables propos du dirigeant de Baraka City : « C’est une association qui porte une façon de voir les choses qui n’est pas la mienne ».

 

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9 Comments

  1. Félicitations à Alain.
    Maintenant qu’il est armé de son épée d’académicien, il ne défendra que mieux ses valeurs, qui sont des valeurs humanistes de culture et de civilisation, contre la barbarie et l’ignorance.

  2. C’est aussi le niveau des journalistes de télévision qui a dégringolé en flèche ces quarante dernières années. Regardez un plateau télé des années 70 et même des années 80 et comparez aujourd’hui… Avec les Pujadas et Cie on touche vraiment le fond : médiocres, opportunistes, incultes et lâches.

  3. Ça c’est une analyse de la situation malheureusement des plus vraie..que nous vivons ..faut réagir. .ne pas se taire…ne rien laisser passer face à cette situation délétère. ..

  4. J’ai été “attérée” incrédule quand cette “militante “est intervenue mielleuse et grossière dans une attaque pleine de haine SANS être arrétée par Poujadas qui souriait béatement, à croire qu’il SAVAIT ce qui allait se passer,,,,,? J’attends des explications sinon des excuses de la part de France 2 pour cette “erreur”? de casting à moins que ce choix ait été VOULU?
    Mais je doute de recevoir une réponse….comme d’habitude!
    Cohn Bendit AUSSI aurait dù intervenir…..on doit changer le monde ,oui, mais en bien.

  5. Mais bon sang le PIR est une organisation d’extrême droite ! Raciste, antisémite, suprémaciste et révisionniste. Cette organisation fasciste est la négation absolue de la République. Dans un siècle les historiens parleront de notre classe politique et de certains médias de la même façon que nous parlons de ceux qui ont aidé les nazis au siècle dernier. Je n’arrive toujours pas à comprendre comment et pourquoi mes contemporains ont autant de mal à nommer les choses par leur nom.

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