Femmes artistes pendant la Shoah à l’Université de Tel-Aviv

Une émouvante journée en souvenir de trois jeunes femmes juives artistes disparues pendant la Shoah: la française Hélène Berr, la hollandaise Etty Hillesum et l’allemande Charlotte Salomon a été organisée le dimanche 28 avril à l’Université de Tel-Aviv, en collaboration entre le Programme de culture française de l’Université et l’Association Femmes Artistes et Mémoire juive. La journée, intitulée ‘La vie qui est en elle – Journée Art et Mémoire au son d’un violon de l’espoir’, s’est déroulée en présence de l’Ambassadeur des Pays-Bas en Israël, Gilles Beschoor Plug, de l’Ambassadrice d’Allemagne, le Dr. Susanne Wasum-Rainer et du 1er Conseiller auprès de l’Ambassade de France, Frederik Rogge, “pour rappeler ce que l’histoire leur a confisqué, maintenir à jamais leur mémoire vivante et porter la voix claire et profonde de ceux qui ne sont plus”.`

Ont participé à cette journée le Prof. Nadine Kuperty-Tsur, Directrice du Programme de culture française de l’Université de Tel-Aviv, Karine Baranès-Bénichou, fondatrice de l’Association Femmes Artistes et Mémoire juive, et instigatrice de la journée, le Prof. Renée Poznanky de l’Université Ben-Gourion, le Prof. Klass Smelik, fondateur du centre de recherche Etty Hillesum, Eliad Moreh-Rosenberg, curatrice au Yad Vashem, Mariette Job, nièce d’Hélène Berr, le Rabbin Daniel Epstein, le réalisateur hollandais Franz Weisz, auteur de deux longs-métrages sur Charlotte Salomon, ainsi qu’un nombreux public enthousiaste.

“Un triomphe sur le silence et l’oubli”

“La guerre n’est pas seulement une histoire d’hommes. Dans le tremblement de terre que les guerres suscitent, les femmes doivent faire face et assumer une vie déréglée par l’incertitude et les bouleversements”, a déclaré le Prof. Nadine Kuperty-Tsur dans son allocution de bienvenue. Mais ces femmes ne se sont pas contentées de survivre, elles ont pris la peine de consigner par écrit ou par le dessin le témoignage de ce qu’elles vivaient. La musique et l’écriture leur a permis de transcender et de transmettre leur expérience, mais c’est aussi une preuve de leur résilience, de leur capacité à rebondir et à assumer”.

“L’idée d’offrir à ces trois femmes un espace de rencontre qu’elles n’ont pas eu de leur vivant me préoccupait depuis déjà deux ans”, a raconté Karine Baranès-Bénichou. “Elles nous ont laissé un message et une mission de protéger leurs écrits, leurs témoignages de vie et de continuer de porter leur voix, claire et profonde, mais aussi celle de tous ceux qui sont partis sans laisser de trace. Leur mémoire est un triomphe sur le silence et l’oubli et contribue à faire passer leur héritage en particulier aux jeunes générations”.

Dans une très émouvante intervention, Mariette Job, nièce d’Hélène Berr et éditrice de son journal a raconté l’histoire du manuscrit, commencé en 1942 et achevé à Drancy en 1944, peu avant la déportation d’Hélène à Auschwitz puis à Bergen-Belsen où elle mourut en avril 1945 à l’âge de 24 ans. Hélène Berr n’avait souhaité sauver que son violon[1] et son journal intime, remis à son fiancé Jean Morawiecki, qui ne fut publié que 50 ans plus tard. La première partie du journal relate sa vie d’étudiante à la Sorbonne, la seconde dépeint “le triomphe du mal sur le bien, du laid sur le beau, de la matière sur l’esprit, de la barbarie sur l’humanité. Espérons que la pérennité de son message soit une source d’inspiration éternelle”, a conclu Mariette Job.

Une foi inébranlable en l’homme


Le Prof. Smelik a mis l’accent sur l’aspect éthique de l’œuvre d’Etty Hillesum, morte à Auschwitz en novembre 1943 à l’âge de 29 ans, dont le Journal et les lettres constituent des documents de premier plan pour l’étude des Juifs des Pays-Bas pendant la guerre. “La haine ne faisait pas partie de son caractère et n’a pas eu de rôle dans sa résistance. Elle n’a jamais perdu sa foi inébranlable en l’Homme. Etty pensait que nous devons considérer nos ennemis avant tout comme des êtres humains, lutter contre notre propre colère et éradiquer la haine en nous-mêmes. Témoin des crimes les plus odieux, elle a voulu tenter de vivre une vie bonne et fidèle à ses principes jusqu’à son dernier souffle”. “Ce livre ouvre la condition juive à l’universel, une voie nécessaire aujourd’hui plus que jamais”, ajoutera le Rabbin Epstein.

Karine Baranès-Bénichou a relevé que le bonheur était au centre des œuvres des trois jeunes femmes. Elle insiste sur la dimension poétique du journal d’Hélène Berr, “imprégné de littérature, de poésie, en quête de reproduire l’adéquation entre le réel et le rêve. Hélène insufflait la vie à ses voisines de camp, et c’est cette poésie du bonheur et cette musique qu’il faut conserver en mémoire”.

Eliad Moreh-Rosenberg a présenté la vie et l’œuvre picturale de Charlotte Salomon, artiste peintre allemande qui grandit dans une famille aisée de la communauté juive berlinoise, ses études à l’Académie des Arts de Berlin, interrompues par la montée du nazisme, sa fuite dans une villa du sud de la France où elle réalisera en 18 mois les 769 toiles de son œuvre picturale autobiographique Vie ou Théâtre ?, à partir des trois seules couleurs primaires, son mariage à un réfugié juif autrichien et leur déportation à Auschwitz-Birkenau où elle sera gazée en octobre 1943, alors enceinte de quatre mois.

Après une table ronde où les intervenants ont expliqué leur rencontre avec l’œuvre de ces trois femmes et le cheminement douloureux et semé d’obstacle jusqu’à la publication, la journée s’est terminée par une présentation du projet “Violons de l’espoir” par le luthier Amnon Weinstein, qui se consacre au recueil et à la restauration de violons qui ont traversé l’Holocauste, avant de les confier aux mains des plus grands violonistes dans le monde: “Les Allemands ont confisqué des milliers de violons qui appartenaient à des Juifs. Chaque violon a sa propre histoire à raconter”. Cinq violons ont été présentés au public dont l’un a fait partie de l’orchestre d’Auschwitz, un autre a été donné par la fenêtre d’un train de Drancy à Auschwitz par un déporté, et un autre décoré d’une étoile de David au dos.

La journée a été entrecoupée des morceaux de musique favoris travaillés par Hélène Berr, et interprétés sur l’un des “violons de l’espoir” par Marianna Vasileva, violoniste aux Conservatoires de Saint-Pétersbourg, Vienne et Cologne, ainsi que d’un déjeuner buffet offert par la Banque Discount.

Source : ami-universite-telaviv.com

[1] resté par la suite pendant 50 ans dans son écrin et qui sera finalement acheté en 2006 par un courtier américain dans une vente aux enchères à Vichy.

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