Simone Veil et Arnaud Beltrame, c’est l’Histoire de France pour tous, par Edith Ochs

Depuis le 28 septembre, l’école élémentaire de la Cité à Périgueux s’appelle « école de la Cité-Simone-Veil ». Une toute nouvelle plaque a été dévoilée le 28 septembre par deux petits bouts de chou, au son du Chant des marais . Tout le monde s’en félicite ou presque, car le nom de l’ancienne ministre ne sera pas suivi du chiffre 78651, ce chiffre qui était tatoué sur son bras. Le conseil d’école et les parents d’élèves ont eu gain de cause.

L’inauguration se déroulait ce vendredi 28 septembre, en fin d’après-midi. crédit photo : STÉPHANE KLEIN

Sept chiffres qui chagrinent

En effet, le maire Antoine Audi (LR) a dû reculer. Avec l’accord des fils Veil, il avait souhaité apposer, à côté du nom de Simone, son numéro matricule de déportée, 78651, ce numéro indélébile, tatoué sur son avant-bras gauche à son entrée au camp d’Auschwitz-Birkenau.

Peu après son décès, en juin 2017, le nom de cette grande dame avait fait l’unanimité au conseil municipal de Périgueux, et ce n’était certes pas la seule école à rendre hommage à l’ancienne ministre. Ainsi un lycée Simone-Veil a vu le jour à Marseille à la même époque, ainsi que l’école du Prieuré à La Rochelle en juin dernier. Sans parler des rues Simone Veil qui fleurissent de Lamballe, en Bretagne (avec la mention « Déportée dans les camps nazis » ) à Sarlat, en Périgord.

Mais on peut toujours trouver sujet à polémique, et quand il s’agit d’école, la France est champion. Les parents d’élèves sont prompts à contester toute décision hors cadre pédagogique, là où les luttes de pouvoir peuvent s’engager plus frontalement et tourner au bras de fer.

La directrice de l’école, Sylvie Declercq, a lu un texte des enfants de Simone Veil. Crédit photo : Stéphane Klein

Arnaud Beltrame, héros national

A Sarlat, il y a bien une rue Arnaud-Beltrame et une rue Simone-Veil. Ainsi rappelons-nous l’émotion qui a saisi la France, et l’hommage national après la mort du colonel Arnaud Beltrame, qui a donné sa vie le 23 mars dernier pour sauver une employée du Super U de Trèbes. Deux mois plus tard, le conseil départemental des Alpes Maritimes s’est prononcé pour que le collège de Pégomas prenne le nom de ce héros. On apprit alors par la presse que les parents de l’école exprimaient leurs « réserves ». En effet, d’après Nice Matin, ils avaient peur de mettre leurs enfants en danger et craignaient de possibles représailles : « Ce choix est angoissant, symbolique de la mort d’un homme dans un contexte de menace terroriste. Les enfants de 10 à 14 ans ont le droit d’étudier et de grandir sans ce poids permanent sur les épaules. »

Mais qui pourrait les blâmer d’avoir peur pour leurs enfants à une époque où un rappeur dont on taira le nom chante sur les ondes « pendez les bébés blancs » — « PLB », pour faire court et carrément obscène ? Après tout, il y a seulement 6 ans, en 2012, des petits qui avaient pour prénom Gabriel et Arieh, 4 et 5 ans, et Myriam, 8 ans, ont été assassinés dans la cour d’une école juive de Toulouse.

Un matricule au Panthéon

Avec Simone Veil, Auschwitz est entré au Panthéon

Simone Veil fut non seulement cette ministre qui s’est battue courageusement pour permettre aux femmes de France d’avoir accès à l’IVG, mais aussi la première Présidente du Parlement européen, qui, non pas en dépit mais en raison de son passé, œuvra au rapprochement entre la France et l’Allemagne. Elle fut aussi élue à l’Académie française et, sans emphase mais sans rien oublier, elle fit graver sur son épée d’Immortelle ce chiffre 78651, lui donnant ses lettres de noblesse en l’inscrivant dans l’histoire de France. Avec Simone Veil, la mémoire d’Auschwitz est entrée sous la Coupole.

Et même si le mot « juif » a été maladroitement gommé par le chef de l’Etat lors de la cérémonie du Panthéon, Simone Veil, née Jacob, ne renia jamais ses origines. Ce tatouage d’infamie qu’elle portait au bras, ce numéro 78651, qui avait sans doute une présence singulière aux yeux des non-initiés, était là pour lui rappeler les réalités du monde et le chemin parcouru.

Car avec le temps, les initiés se sont raréfiés. En effet, nombreux sont aujourd’hui ceux qui ignorent que ce matricule est à lui seul le symbole de l’extermination des Juifs d’Europe, dont Simone Veil a été le témoin, et dont elle fut une rescapée avec deux de ses sœurs, mais pas ses parents ni son frère.

Un numéro gravé dans leur chair

Une mère d’élève de l’école de la Cité a pris la parole pour contester, « en tant que petite-fille de déporté », la présence du matricule de Simone Veil sur la façade de l’école. Or, comme le signalent tous les résistants déportés, le traitement des Juifs était  « particulier » : leur matricule était inscrit dans leur chair et non sur leurs habits. « Dans les autres camps, les déportés avaient leur numéro de matricule cousu sur le vêtement au niveau de la poitrine, » explique un texte issu du musée d’Auschwitz-Birkenau. « Certains d’entre nous, précise Primo Levi, se sont peu à peu familiarisés avec la funèbre science des numéros d’Auschwitz, qui résument à eux seuls les étapes de la destruction de l’Hébraïsme en Europe. Pour les anciens du camp, le numéro dit tout : la date d’arrivée au camp, le convoi dont on faisait partie, la nationalité. On traitera toujours avec respect un numéro compris entre 30 000 et 80 000 : il n’en reste que quelques centaines. »

Au restaurant, on peut choisir ses plats, pas avec l’Histoire. Ce numéro de matricule au fronton de l’école, les parents ont considéré que c’était « trop lourd » pour les enfants : ils n’en veulent pas. Mais Simone Veil et Arnaud Beltrame font désormais partie de l’histoire de France. Alors si ce passé, celui de la France, est trop lourd pour les parents, comment s’en sortent-ils avec l’ensemble de l’Histoire ?

 Edith Ochs

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1 Comment

  1. Ce qui donnerait un sens à la mémoire de ce numéro qui visait à déshumaniser un à un chaque Juif ou Juive pour détruire l’hebraisme, matrice sine qua non de l’Occident démocratique, ce serait bien autre chose que sa simple inscription au fronton d’une école: ce serait l’enseignement dans toutes les écoles des apports moraux et politiques de la pensée juive à celle des philosophes européens, ce que précisément voulait effacer le nazisme. Les Témoignages sur Israël d’auteurs non juifs illustres rassemblés par Jacob Kaplan protestent contre ce déni de la dette occidentale envers ses Pères en civilisation juifs. Hélas le petit rabbin Korsia n’est pas son héritier et l’heure est grave.

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