Quand l’Exécutif veut censurer l’expertise militaire, par Olivier Sastre, David Maitrot, Matthieu Guyot

Exhortant à laisser parler les militaires au lieu de parler en leur nom au-dessus de leurs cercueils, 3 voix affirment leur soutien à Hadrien Desuin, via le blogue de Yann Redekker. Tribune juive se joint aux nombreux titres de presse qui dénoncent cette censure.

La Gendarmerie réduit l’expression de ses officiers non pas parce qu’ils représentent un danger pour la République, mais simplement parce qu’ils disent la vérité. Cette vérité dérange un pouvoir qui a décidé de créer par la communication et l’arsenal législatif une réalité parallèle qui n’a plus rien à voir avec la réalité des Français. Au moment où les hommes du Président montrent qu’ils ne sont que des hommes de sac et de corde, la démocratie est en danger.

Un officier blâmé pour son talent d’analyse !

C’est ainsi que le 27 juin 2018, le Conseil d’État a confirmé le blâme infligé le 12 mai 2017 à un capitaine de gendarmerie pour avoir publié sur internet des analyses géostratégiques écrites sous le nom de plume d’Hadrien Desuin.

Qu’on les approuve ou non, reconnaissons que ses textes résolument gaulliens sont intéressants, bien écrits, sérieux, et diffusés sur des supports de qualité : Le Figaro, La Revue des Deux Mondes, Causeur, sans oublier un livre aux Éditions du Cerf : On est loin, très loin, d’un agité qui se défoulerait sur internet comme au café du commerce ! Et pourtant…

Jean-Hugues Matelly, Bertrand Soubelet, Pierre de Villiers, maintenant Hadrien Desuin.

Je trouve inquiétante et regrettable la volonté de l’Exécutif de s’octroyer le monopole de la réflexion sur les sujets de défense et de sécurité, et d’empêcher les militaires de nourrir le débat public et citoyen de leur expérience et de leur expertise.

A l’heure où l’on ne cesse de s’inquiéter des fake news et où les idéologies exacerbées tentent de se substituer aux faits objectifs, la vision militaire, fermement ancrée dans le réel, serait pourtant plus que jamais nécessaire.

A l’heure où des jeunes en quête d’un idéal et qui refusent de subir peuvent se laisser tenter par l’islam radical ou la contestation violente, le monde militaire offre l’exemple d’un engagement constructif, citoyen et crédible au service de tous, dans l’éthique et dans l’action. Ou oserait-on prétendre que les compagnons d’armes d’Imad Ibn Ziaten et Arnaud Beltrame n’ont rien à dire à la France ?

N’est-il pas plutôt temps que le pouvoir politique laisse parler les militaires au lieu de parler en leur nom au-dessus de leurs cercueils ?

Devoir de réserve, me dira-t-on. Certes. Mais n’avons-nous pas aussi un devoir de vérité vis-à-vis du seul et unique détenteur de la souveraineté, c’est à dire le peuple français, et vis-à-vis de ses représentants légitimes, c’est-à-dire le Parlement ?

Notre loyauté n’est pas envers l’État, mais envers la Nation (n’oublions pas justement Charles de Gaulle), mais que devient cette loyauté si nous laissons le gouvernement (de quelque bord politique qu’il soit) s’accaparer la parole et la pensée sur des sujets majeurs pour lesquels nous sommes les sachants par excellence ?

De quel droit le gouvernement pourrait-il empêcher les parlementaires d’entendre d’autres visions et d’autres idées que les siennes ? De quel droit le gouvernement pourrait-il empêcher les citoyens de nourrir leur réflexion à d’autres sources que la sienne ?

Tant qu’il n’y a ni désinformation, ni atteinte à l’honneur de l’Armée, ni révélation de secrets stratégiques, ni déloyauté vis-à-vis de la France.

Or, autant que je sache et si j’en juge à ce que j’ai lu de leur plume, Jean-Hugues Matelly, Bertrand Soubelet, Pierre de Villiers et Hadrien Desuin n’ont toujours cherché qu’à servir la France, qu’à alimenter des débats nécessaires et parfaitement légitimes, qu’à informer les citoyens pour les encourager à prendre leur citoyenneté à bras le corps en s’intéressant à des sujets majeurs pour notre destin collectif.

On nous parle beaucoup, et à juste titre, de l’importance stratégique du Lien Armée-Nation. N’est-il pas censé être au cœur de la PSQ ? Or, de Sun Tzu à Clausewitz en passant par Ibn Khaldoun, on sait que tout divorce entre le peuple et ceux qui ont pour mission de le défendre est une catastrophe. Le peuple se retrouve moralement désarmé face aux ennemis de la Nation, et les détenteurs de la force légitime se démotivent ou pire, en arrivent à mépriser ce qu’ils finissent par percevoir comme une populace qui ne les comprend pas et ne les soutient plus. Est-ce ce que nous voulons ?

Ne nous méprenons pas. Il n’est pas question pour nous de faire de la politique politicienne, en soutenant servilement ou en critiquant mécaniquement tel camp ou tel parti plutôt que tel autre. Mais avons-nous encore le droit de laisser nos concitoyens dans l’ignorance des faits que nous constatons ? L’opinion publique est le centre de gravité stratégique des démocraties libérales. N’est-il pas de notre devoir de renforcer la résilience de ce centre de gravité, non pas évidemment en lui faisant croire que nous seuls détiendrions la vérité, mais en lui apportant notre expertise pour alimenter et encourager sa réflexion, pour l’aider à ce que cette réflexion et ses décisions soit les plus lucides possible ?

La citoyenneté est une responsabilité encore plus qu’un ensemble de droits, et les Français méritent mieux que du pain et des jeux : ils méritent qu’on les pousse à s’interroger sur la complexité du monde contemporain, à s’impliquer dans les choix essentiels qui conditionnent l’avenir de notre Nation.

Gageons qu’une telle prise de conscience collective servirait aussi à rendre sa crédibilité à la classe politique, ou du moins aux hommes et aux femmes politiques qui servent la République plutôt que de se servir d’elle – j’ose croire qu’il y en a, et plus sans doute qu’on ne le dit parfois ! Mieux nos concitoyens pourront se former et s’informer sur les enjeux de défense et de souveraineté, mieux ils comprendront le poids des responsabilités qui pèsent sur leurs élus, et pourront apprécier leur engagement et même accepter leur humaine faillibilité.

Je ne partage pas forcément les analyses, les opinions ou les propositions de Jean-Hugues Matelly, Bertrand Soubelet, Pierre de Villiers ou Hadrien Desuin. Mais j’estime qu’ils n’ont rien fait d’autre que défendre par la plume ce qu’ils avaient fait serment de défendre par les armes. Le Conseil d’État a fait précéder sa décision de la mention « Au nom du Peuple Français. » Eux quatre ne prétendent peut-être pas avoir agi en son nom, mais au moins ont-ils agi à son service.

Lieutenant-colonel David MAITROT

OAC du groupement du Haut-Rhin

Membre du CFMG

Essai d’analyse[1]

Le Conseil d’Etat réduit encore un peu la liberté d’expression des gendarmes !

Le Conseil d’Etat s’est à nouveau prononcé sur la question de la liberté d’expression des gendarmes, définissant de nouvelles limites à ce droit très encadré. Dans une décision du 27 juin, la plus haute juridiction administrative française a refusé d’annuler la sanction infligée à un officier de Gendarmerie par son commandant de région, qui lui reprochait des publications en ligne.

Hadrien Desuin, de l’armée de Terre à la Gendarmerie

A la tête d’un escadron de Gendarmerie mobile d’Ile-de-France, ce capitaine multipliait, depuis 2013, sur son temps libre, les publications consacrées à la politique internationale sur de nombreux sites internet : Causeur, Atlantico, Figarovox, ou Conflits.

Abrité derrière le pseudonyme d’Hadrien Desuin, l’officier se présentait notamment dans la signature de ses articles comme ancien élève de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr puis de l’École des officiers de la Gendarmerie nationale.

De fait, après un début de carrière dans l’armée de Terre, il avait rejoint la Gendarmerie en 2012, au grade de Capitaine, via le concours ouvert aux Officier des Armées.

Anonymat réel contre anonymat imparfait

La publication de sa photographie avec certains de ses papiers a permis à des collègues de cet officier de l’identifier et d’avertir sa hiérarchie. Celle-ci l’a d’abord mis en garde avant d’engager une procédure disciplinaire car il poursuivait ses publications.

Pour l’officier, l’usage du pseudonyme lui permettait de retrouver une jouissance pleine et entière de sa liberté d’expression, lui permettant de s’exprimer comme il le souhaite sur le sujet qu’il désire.

Le rapporteur public du Conseil d’Etat, Gilles Pellissier, a au contraire distingué l’anonymat réel de l’anonymat imparfait, en revanche, l’utilisation d’un pseudonyme ne réduit pas sa responsabilité ; elle le protège seulement, s’il est efficace, de poursuites disciplinaires.

Propos virulents et répétés

Pas vu, pas pris, en clair. Le Conseil d’Etat dans sa décision a effectivement estimé que le Capitaine avait fait preuve de négligences quant à l’utilisation des médias sociaux et la protection de ses données personnelles dans le cadre de ses nombreux articles critiquant en des termes outranciers et irrespectueux l’action de membres du Gouvernement et la politique étrangère et de défense française.

La virulence des propos tenus par l’intéressé, (…) la répétition des faits, mais aussi son grade et (ses) responsabilités justifient donc, pour les juges du Palais-Royal, que le blâme qui lui a été infligé soit maintenu.

L’histoire ne s’arrêtera peut-être pas là car, peu de temps avant cette sanction, l’officier publiait, toujours sous le nom d’Hadrien Desuin, un livre[2] consacré à la politique étrangère de la France, La France atlantiste, qui lui a valu d’être invité et filmé par de nombreux médias, de Europe 1 à la radio RCJ, en passant par Polony TV.

Il n’a pas, non plus, mis un terme à ses contributions écrites, ajoutant d’ailleurs L’Incorrect et Valeurs actuelles à la longue liste de ses contributions. Désormais il ne se présente plus comme ancien élève de Saint-Cyr ou de l’EOGN mais, apparaissant à visage découvert, il rentre toujours dans le cadre de l’anonymat imparfait évoqué par le rapporteur public.

L’officier, tout comme son avocate, n’ont pas souhaité répondre à nos questions.

Matthieu Guyot[3]

[1] Blogue de Yann Redekker. 15 juillet 2018.

[2] Editions du Cerf. Avril 2017.

[3] Blogue de Yann Redekker. 13 Juillet 2018.

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6 Comments

  1. Un militaire, comme un ministre, ça ferme sa g… ou ça démissionne. Oui, le devoir de réserve, sans lequel tout part en vrille.
    Plus précisément : il a le droit (voire le devoir) d’exprimer opinions et critiques auprès de sa hiérarchie.
    S’il en est au sommet, c’est auprès des institutions civiles adéquates qui « chapeautent » les militaires (Gouvernement et commissions parlementaires) qu’il a ces droits et devoirs.
    Les paroles menant aux gestes (c’est à ça qu’elles servent…), le texte ci-dessus pourrait, tel quel, justifier non seulement l’expression verbale mais aussi actes de subordination de gravité pouvant aller jusqu’au putsch militaire sous un prétexte ou un autre.
    Et on ne compte plus les manipulateurs d’opinion ayant prétexté, au début de leur « carrière », de s’adresser directement au « peuple » plutôt qu’à ses représentants. L’argument est populiste et on sait où il peut mener.
    Et « le point de vue des militaires » n’existe pas ; ils ne partagent pas, heureusement, tous le même. Et quand bien même ce ne serait qu’une opinion parmi d’autres ; techniciens d’un périmètre limité, ils n’ont pas le monopole de la jugeote.
    Liberté d’expression ? Certes. Qu’il démissionne d’abord, qu’il tente peut-être de gagner le suffrage populaire par la voie électorale et on verra.
    D’ici-là, qu’il la boucle.

  2. Certains commentateurs intransigeants devraient relire la biographie du Maréchal Juin…ce commentaire, en toute modestie, bien sûr.
    Bien à vous tous.

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