Elle porte la mémoire de son grand-père déporté

Son grand-père a été déporté à Auschwitz, en est revenu mais n’a jamais parlé. Florence, sa petite-fille, a poussé les portes du Mémorial de la Shoah, à Paris, pour découvrir une partie de son histoire.
Florence, petite-fille d’un déporté à Auschwitz-Birkenau, a prêté au Mémorial de la Shoah quelques lettres écrites par son grand-père. © Valérie Parlan.

Entre transmission et aliénation, les descendants des victimes de l’Holocauste tentent d’alléger le présent d’un lourd passé.

« Cette marche en mémoire de Mireille Knoll a été dure. J’ai regardé le ciel en pensant aussi à lui… » A Paris, en ce jour de marche blanche en hommage à l’octogénaire assassinée à Paris parce que juive, Florence avait en tête et épinglé au coeur le souvenir d’un autre juif, Salomon, son grand-père.

Quelques jours auparavant, au Mémorial de la Shoah, elle murmurait en passant devant le Mur des noms des déportés où est inscrit celui de son aïeul : « Le travail de mémoire que j’entreprends ici autour de son histoire, c’est pour que l’on n’oublie jamais cette tragédie. » À peine une semaine plus tard, le terrible fait divers est venu raviver les mémoires familiales portant encore, soixante-dix-sept ans après la Shoah, le poids de la barbarie des bourreaux nazis.

Pour Florence, le chemin entre la grande Histoire et la sienne est un sentier récent. « J’ai découvert tard que mon grand-père, qui m’a en partie élevée, était un survivant de l’Holocauste. » Sur dénonciation, le commerçant a été victime de la rafle de la rue Keller, dans le 11e arrondissement de Paris, en août 1941. Interné à Drancy, il a ensuite été déporté à Auschwitz en 1942 jusqu’à sa libération en 1945. « Il ne m’a jamais raconté. Ses chiffres tatoués sur l’avant-bras, il me disait que c’était pour ne pas oublier son numéro de téléphone », s’émeut-elle, en se souvenant de ce grand-père « si plein de vie », qui la faisait tellement rire. « Lui et ma grand-mère me protégeaient du récit de l’horreur. »

Mais, un jour, l’adolescente zappe à la télé sur Shoah, le film de Claude Lanzmann, le documentaire de référence sur l’extermination des Juifs. La brutalité du passé se fracasse sur son présent de petite-fille. « En voyant les tatouages des témoins, j’ai compris… Papy était mort deux ans avant. Impossible d’en parler à mamie. J’ai gardé le silence, le tabou… » Elle attendra ses 25 ans pour faire revenir les mots, délivrer la parole, entrouvrir la boîte à secrets familiale. Un geste l’y aide : « Ma grand-mère, avant de mourir, m’a remis dans un sac plastique des dizaines de lettres. Celles écrites par mon grand-père pendant sa captivité à Drancy. Elle m’a glissé Fais-en quelque chose. »

Un héritage en partage, l’histoire personnelle à renouer avec le récit collectif, un travail titanesque. Fouiller les archives, dévorer essais et romans, éplucher rapports et actes administratifs, arpenter les allées et couloirs des lieux de mémoire. Découvrir même que sur la database des victimes de Yad Vashem à Jérusalem, Salomon avait été déclaré mort à Auschwitz…

« J’ai gardé le silence, le tabou… »

« Je me suis plongée dans la Shoah jusqu’à, parfois, en perdre pied. C’est le lot de beaucoup de descendants. Nous voulons tant comprendre comment une telle folie a détruit nos familles et nous hante encore. Le traumatisme infuse les générations et nous place devant la vertigineuse question de la transmission… Comment la porter ? Jusqu’où ? »

Son combat est d’abord administratif, pour faire reconnaître que son grand-père est un survivant. Ensuite, de tenter de savoir ce qu’il s’est passé pendant ces années terrifiantes dans les camps. A-t-il été sonderkommando, effroyable rôle attribué à certains prisonniers contraints de participer à l’extermination finale ? Encore beaucoup de questions, peu de réponses. « Si j’ai pu aller à Drancy, je me sens encore incapable de me rendre à Auschwitz. »

Et puis, au fil de cette dizaine d’années de quête mémorielle, Florence a fini par sentir un souffle de vie plus puissant que le vent de la mort : « Ces lettres de papy sont pleines d’amour, d’espoir, de force. C’était du côté des vivants que je voulais entretenir la mémoire. » C’est alors au Mémorial de la Shoah, au coeur du Marais, qu’elle choisit de raconter Salomon. Le musée, ouvert en 2005, est un lieu de mémoire, d’exposition, de recherche et de documentation aussi incontournable que Yad Vashem, le musée de l’Holocauste à Washington et le Jüdisches Museum de Berlin.

En 2017, le site de la rue L’Asnier a connu un record d’affluence en accueillant 228 900 visiteurs. « L’une de nos missions, détaille Lior Lalieu-Smadja, responsable de la photothèque, est le recueil de documents, objets et photos de particuliers comme ceux de Florence. Soit ici, soit lors de nos collectes annuelles en régions (1). La préservation de ces pièces est indispensable à la transmission et à la prévention des crimes contre l’humanité. C’est aussi dire aux descendants combien leur histoire familiale garde une grande valeur dans l’Histoire. »

Florence a franchi le pas en prêtant au Mémorial quelques documents pour numérisation. « J’ai proposé ce qui pouvait faire sens en préservant toute leur intimité. Ce fut étrange de déposer là un peu de papy. Je pense l’honorer en lui donnant une place dans ce lieu si… » L’émotion étrangle la phrase. Comme le crayon qui hésite encore à encrer les souvenirs. Le futur projet de Florence sera sans doute au bout de la plume. Elle s’y essaie déjà lors d’ateliers d’écriture au Mémorial. « Écrire, je ne sais pas comment, pour qui, mais ce sera pour ne plus laisser une page blanche sur l’oubli. »

Valérie PARLAN. 

Source ouest-france

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