Comment parler d’antisémitisme aux enfants ?

Entretien de Paula Pinto Gomes, La Croix, avec Jacques Fredj, directeur du Mémorial de la Shoah.
Photo : Radio-Canada/Jonathan Bouchard

La Croix : Quelle différence doit-on faire entre antisémitisme et racisme ?

Jacques Fredj : L’antisémitisme désigne de manière spécifique la haine des juifs. Cette haine existait sous la forme d’un antijudaïsme et a évolué en antisémitisme. Le mot a été créé à la fin du XIXe siècle par Wilhelm Marr, fondateur du premier parti antisémite allemand. C’est donc une forme de racisme, mais un racisme tourné contre une catégorie de la population. D’autres mots vont qualifier d’autres groupes, comme homophobie, mais ce terme a été renforcé par le fait qu’il a donné lieu à un génocide sans précédent dans l’histoire de l’humanité.

Parler d’antisémitisme, c’est aussi parler de la Shoah. Comment aborder ce sujet avec de jeunes enfants ?

J. F. : Je crois que l’on peut parler de l’histoire de l’antisémitisme et de la Shoah à tous les âges, en tenant compte de la sensibilité des enfants. Mais il ne faut pas se limiter à ce qui est négatif. Le judaïsme, ce n’est pas seulement la persécution et le génocide. C’est aussi une histoire qu’il faut faire découvrir aux jeunes pour déconstruire les préjugés.

Le Mémorial de la Shoah propose aux parents et aux enseignants un outil pédagogique destiné aux enfants de 8 à 12 ans. Grâce au site Internet Le grenier de Sarah, ils peuvent découvrir des objets et à travers eux des histoires sur les juifs avant et pendant la Seconde guerre mondiale. C’est une manière de parler du judaïsme, des juifs et de la culture juive.

Cette démarche est fondamentale, ne serait-ce que pour expliquer que les juifs sont des citoyens à part entière, qu’ils ont une nationalité avant d’être juifs. Il est important de revenir sur certaines notions compliquées et de donner du sens aux mots. Il y a encore des gens qui disent que le terme antisémite n’est pas adéquat puisque « sémite » désigne aussi les Arabes. Ils ne savent pas qu’il a été inventé au XIXe siècle pour parler des juifs.

Lutter contre l’antisémitisme c’est donc d’abord combattre les préjugés…

J. F. : Au Mémorial, où nous recevons entre 60 000 et 70 000 scolaires par an, nous avons très peu de soucis avec l’enseignement de l’histoire de la Shoah. Le véritable problème c’est le lien avec le présent. Les jeunes sont majoritairement affectés par ce qu’ils découvrent mais cela ne les empêche pas d’avoir des préjugés sur les juifs qu’ils croisent, voient ou imaginent. Beaucoup n’ont pas conscience que leurs propos relèvent du racisme ou de l’antisémitisme. Pour eux, dire que les juifs sont riches n’est pas une insulte mais une réalité.

Nous nous sommes rendus compte qu’il fallait s’arrêter sur ces préjugés pour les déconstruire, en expliquant comment ils naissent et s’enracinent. C’est important car dans une société clivée comme la nôtre, où nous vivons avec des gens qui nous ressemblent, très peu de personnes viennent nous dire le contraire de ce que l’on pense.

Pour casser les préjugés et surmonter l’ignorance, il faut aussi inviter des personnes dans les écoles, aller sur les traces d’une histoire locale, proche de nous. Cela touche souvent plus profondément les enfants que les grands concepts.

Face à un antisémitisme qui vient parfois d’une population elle-même victime de racisme, l’école doit également expliquer les mécanismes qui sont à l’œuvre dans les deux cas et montrer qu’elle ne se préoccupe pas seulement d’antisémitisme mais de tous les racismes. Certaines choses méritent d’être dites si on veut être entendu.

Recueilli par Paula Pinto Gomes

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