Les familles politiques israéliennes expliquées à l’UTA : 2. La gauche

Après la droite, la gauche. La deuxième séance du mini-cycle de conférences sur les familles politiques en Israël de 1948 à nos jours, donné par le Dr. Denis Charbit, dans le cadre de l’Association des Amis francophones de l’Université de Tel-Aviv a été consacrée aux partis de la gauche israélienne depuis les fondateurs de l’Etat jusqu’à sa crise actuelle.

La gauche israélienne trouve son origine dans la vague d’immigration des pionniers de la 2e alya après les pogroms de Kichinev de 1903 et l’échec de la 1ère révolution russe de 1905. Il s’agit essentiellement d’une jeunesse célibataire habitée par les idéologies socialistes. Après l’interruption de la première guerre mondiale, cette immigration reprend avec la Déclaration Balfour de 1920 et l’établissement d’un “foyer national juif en Palestine mandataire. Ses premiers théoriciens (Beer Borochov, Nahman Sirkin…) relient le sionisme à la lutte des classes et jettent les bases du sionisme socialiste: c’est au peuple de faire la révolution sioniste (Mouvements Hapoel Hatzaïr et Poale Sion).

Mais la Palestine de l’époque est préindustrielle: pas d’usine, pas de lutte des classes qui réponde à la philosophie marxiste. Aussi le mouvement prend très vite une coloration particulière adaptée au contexte: le mariage entre les travailleurs et le Fonds national juif, organisme foncier chargé de l’achat des terres en Palestine, donne naissance au kibboutz. En parallèle, la Histadrout, organisation générale des travailleurs hébreux créée en 1920 sous l’impulsion entre autres de David Ben Gourion, à la fois syndicat et “patron”, liée au parti Akhdut Haavoda, ancêtre du Mapaï, mettra en place sous le mandat britannique les institutions qui formeront les structures de base de l’Etat d’Israël: la Koupat Holim (dispensaires), les banques (Hapoalim), les organisations sportives (Hapoel), les journaux (Davar), et même l’organisation militaire (Hahagana). Au départ des Britanniques en février 1947 toutes les institutions du futur Etat seront déjà mises en place. C’est donc le parti travailliste, et son leader David Ben Gourion qui sont à la base de la création de l’Etat d’Israël. C’est pourquoi l’histoire de la gauche israélienne à ses débuts se confond dans une certaine mesure avec celle de l’Etat.

De la guerre d’indépendance à la guerre des Six Jours

De 1920 à 1948, Ben Gourion, visionnaire, reste fidèle à deux objectifs: lutter pour préserver la liberté d’immigration des Juifs en Palestine mandataire et pour leur acquisition progressive de terres (“dounam par dounam, chèvre par chèvre”). Cependant, à la veille du plan de partage de 1947, seulement 33% de la population était juive, et seules 7% des terres appartenaient à des Juifs.

Après la guerre d’indépendance, devenu Premier ministre, Ben Gourion, établit une coalition à majorité travailliste et œuvre à l’étatisation des structures existantes, dont la création d’un réseau d’écoles publique, d’une administration et d’un service diplomatique. Il proclame la création de Tsahal, l’Armée de Défense d’Israël, qui regroupe la Hagana et les organisations clandestines de l’Irgoun de Menahem Begin, et du Lehi. Les débuts de Tsahal sont marqués par le tragique épisode de l’Altalena, bateau transportant des armes de l’Irgoun incendié par Tsahal après avoir refusé de remettre son chargement. L’évènement provoquera la dissolution des unités de l’Irgoun, et symbolise les tensions irréductibles à cette époque entre Ben Gourion et les organisations révisionnistes.

Sur le plan de la politique étrangère, Ben Gourion était obsédé par l’idée de la faiblesse intrinsèque de l’Etat d’Israël. Persuadé que les Arabes voudront leur revanche, il recherche activement un allié et se tourne d’abord vers la France, les Etats-Unis étant indisponibles en raison de leur alliance avec l’Arabie saoudite. Après 1967, cependant, ils deviendront l’allié naturel d’Israël, qui a par ailleurs choisi le camp occidental face à l’URSS après la guerre de Corée (1950).

“Mieux vaut Sharm el Sheikh sans la paix que la paix sans Sharm el Sheikh”

Le successeur de Ben Gourion, Levy Eshkol, ‘apparatchik’ dépourvu de charisme, adoucit cependant le climat politique interne du pays et montre les premiers signes de réconciliation avec la droite, entre autre en transférant les restes de Jabotinsky au cimetière du Mont Herzl en 1965, et en invitant le Hérout à former un gouvernement d’union nationale à la veille de la guerre des Six Jours. Modéré, il est cependant considéré comme trop hésitant, et doit accepter l’entrée au gouvernement comme ministre de la défense de Moshé Dayan, vainqueur de la guerre des Six Jours, qui posera les bases de la politique israélienne dans les territoires: contrôle du Mont du temple par le Waqf musulman et maintien de fait d’une domination israélienne dans une Cis-Jordanie/Judée-Samarie non annexée officiellement. Moshé Dayan et Golda Meïr, qui succéda à Lévy Eshkol à la tête du gouvernement, incarnent une intransigeance territoriale et maintiennent les positions sécuritaires d’Israël. “Mieux vaut Sharm el Sheikh sans la paix que la paix sans Sharm el Sheikh”, dira Dayan. Golda Meir démissionne à la suite de la guerre de Kippour en 1973 et est remplacée par Yitzhak Rabin.

Sur le plan idéologique, le parti passe dans les années 80-85 d’une vue dirigiste de l’économie à une conception libérale sous l’impulsion de Shimon Peres et de son plan de stabilisation économique, à la suite de l’inflation galopante qui suivit la guerre du Kippour. La ligne de démarcation entre la droite et la gauche en Israël se déplace alors vers la question des territoires, la gauche étant favorable à la solution de deux Etats côte à côte. Cette orientation, qui se développera avec la guerre du Liban et l’essor du mouvement la Paix maintenant (Shalom Akhshav), s’intensifiera avec le 1er Intifada (1987) et culminera en 1993 avec les accords d’Oslo : pour la gauche, l’élaboration d’une solution politique dans la région doit se faire avec la participation des Palestiniens.

Un parti en crise

Parti dominant jusqu’en 1977, où il perd pour la première fois le pouvoir en faveur du Likoud de Menahem Begin, le parti travailliste est en crise. A l’inverse de la droite, la gauche israélienne souffre d’une trop grande uniformité socio-économique de ses électeurs: surreprésentation des classes moyennes et sous-représentation des villes de développement, de la population d’origine russe et des religieux. Les Juifs des pays arabes immigrés dans les années 50, ont rejoint en masse le Likoud. L’électorat travailliste, contrairement à celui de la droite, est vieillissant. Enfin depuis l’échec des accords d’Oslo en 1993 et du plan de désengagement de 2005, l’image de gardien de la sécurité est passée de la gauche à la droite. La psyché collective israélienne est davantage à l’écoute des menaces, repoussant les espoirs au lendemain et reflète le climat international tendu et les courants populistes qui traversent le monde occidental actuellement.

A la gauche du parti travailliste, Meretz, initialement le parti des Droits civiques, créé en 1970, défend un sionisme de gauche libéral et est à la base de la plupart des lois sociales en Israël. En 1992, le parti atteint un record de 12 députés grâce à l’action de ses leaders Shulamit Aloni et Yossi Sarid, le premier à avoir revendiqué la sortie des territoires. Il se caractérise par sa pureté idéologique et la compétence de ses parlementaires. Meretz a mené un combat anti-clérical, contre l’imposition des lois de la Halakha (lois religieuses juives) dans l’espace public et défendant les droits des femmes, puis des homosexuels. Mais il souffre de son image ashkénaze, laïque et libérale, aux antipodes des mutations de la société israélienne.

Source ami-universite-telaviv

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