Au pays du jasmin, l’affaire du bisou par Sarah Cattan

C’est quoi cette affaire du bisou en Tunisie?  D’abord la Tunisie c’est ton pays Et puis tu sais pas pourquoi T’as développé une allergie totale au mot : le bisou Dieu que c’est laid Quasi rédhibitoire Il est tant de façons d’embrasser A l’italienne bacci c’est si joli A la française Baisers Non Bisou décidément Ben voilà Bisou c’est pour les gosses Tu t’entends leur dire Bisou Trésor Juste aux gosses Et puis aux copines

Ah oui quand même. Mais alors heureusement que tu n’y vis plus dans ta Tunisie Ça fait la Une des journaux depuis octobre Et toi t’as rien vu. Nessim Ouadin S’il avait été ton fils Toi tu serais devenu dingue L’imaginer ton môme. En prison à Tunis Et pourquoi ? L’affaire du Bisou je t’ai dit !

Au début t’envoies la dépêche à ton boss Puis tu relis Tu te ravises Tu dis : Prem’s ! Je prends !

Un observateur mal intentionné t’a raconté que sur la route de Gammarth il s’était fait arrêter 2 fois en une semaine Et hop qu’il a sorti sans broncher ses 20 dinars. En guise d’obole. De caution pour repartir. Le bakchich, c’est ce que voulaient les flics. Il t’explique comment elle fonctionne la police  tunisienne. Très nombreuse. Très mal payée. Un recrutement qui s’opère par recommandation. Un niveau inqualifiable. Le plus souvent ils n’ont rien à faire que traîner dans les rues pour dissuader, ou alors cherchant qui dévorer. Que la justice tunisienne est contrainte de s’aligner sur la police.

Ton pays. Jasmin Thé à la menthe Des voiles t’étais fière de dire Y en a moins qu’ailleurs en Tunisie dans mon pays

Donc t’as ton fils Non c’est pas exactement ça C’est Leïla qu’a un fils, Nessim, qui s’est retrouvé en taule à Mornagui Tout près Tunis Capitale. Condamné en appel à quatre mois de prison ferme pour atteinte à la pudeur

Ça t’avait échappé Mais toute la presse elle titra L’Affaire du bisou : le Français condamné pour avoir embrassé son amie. Nessim Ouadin, Marseillais, 33 ans, un prénom juif. Musulman non pratiquant. Embastillé pour l’affaire dite du bisou.  T’es ouf Nessim A 33 ans tu débarques au pays du jasmin Et t’enlaces ta petite amie dans la voiture. Sur la route de Gammarth. Le tarif C’est vraiment à croire que certains ils le sauront jamais Un bisou 4 mois Et encore ça, c’est si t’as du bol.

L’arbitraire. La terreur. Embastillé je te dis Ah ben tiens, va savoir pourquoi les 4 mois se sont soudainement réduits à 2 Et ton môme, le revoilà dans sa chambre Libre Nessim C’est un Tanguy Qu’habite encore chez sa maman C’est trop mimi Elle raconte Je n’arrive pas y croire, je vais dans la chambre regarder de temps en temps s’il respire.

Leïla, elle assure que son fils a été bien traité en cellule, et elle met en exergue la mobilisation des Tunisiens : Les Tunisiens m’ont beaucoup aidée. Toutes les manifestations, toutes les tables rondes, toutes les télés pour répéter qu’il n’y avait rien dans le dossier. 

L’affaire du bisou. Ça date de fin septembre. La police elle te les a arrêtés Les amoureux qui s’bécotaient à Tunis, de nuit, dans leur voiture, à l’arrêt sur la route de Gammarth. Motif officiel ? Enlacés qu’ils étaient. Parole contre parole : les flics qui évoquent un acte sexuel. Les amoureux un malheureux bisou. Ça craint. L’arbitraire. La terreur. Tu m’étonnes que l’affaire embarrasse en Tunisie.

Nessim qui savait pas le tarif Il est Franco-Algérien. Surnommé Nessim le bien élevé par ses amis. Entrepreneur dans l’informatique, il tente de développer avec des potes une application en Tunisie. Il se rend à Tunis pour le week end. La soirée il la passe avec une amie tunisienne. Au sortir, ils se garent au bord d’une route. Le bisou. Le cauchemar oui !

Une patrouille de police qui passait par là. Qu’aime pas les bisous. Déduit qu’il y a atteinte à la pudeur. Nessim, d’abord t’as un prénom zarbi. Ça craint ce prénom que même y a des Juifs qui le portent. Tu parles pas arabe Et ça Nessim ça va pas arranger tes affaires. Tes papiers, tu les as pas présentés assez vite. Pluie d’insultes. Fouille du véhicule. Passage par la case commissariat.

La morale. La terreur. L’arbitraire. Qui ont remplacé le jasmin de mon enfance. Cette bienveillance légendaire. Tu te retrouves le lendemain à Carthage. Pas pour visiter. Non pour atteinte à la pudeur, atteinte aux bonnes mœurs, outrage à fonctionnaire public, état d’ébriété et refus d’obtempérer.

Nessim, il s’croit en France. Pointe l’agressivité de la police. Exige les noms et immatriculations des policiers. Menace de prévenir l’Ambassade. Insolent. Qu’est allé dire aux policiers de s’occuper des voleurs et des terroristes. Interpellation musclée. Comparution immédiate. Verdict. Son avocat fait appel : Une affaire montée de toutes pièces. Un système où la police est confortée dans sa toute-puissance.

Malaise palpable : La condamnation est à contre-courant de l’esprit de tolérance du pays, se mêle Poivre, l’ambassadeur français.

Médiatisation. Les tunisiens, ils parlent plus que de ça sur les réseaux sociaux : L’affaire du bisou. Ce courage. Dans ce contexte qu’on ignore. De peur. De répression. De régression. Sur sa page Facebook, Raouf El May publie une photo de lui embrassant sa femme en public : Monsieur le Président Dites-moi à quel poste de police je dois me rendre pour subir ma peine de prison. Cela fait quelques mois que j’ai renoncé à mon immunité parlementaire.

Le parquet ? Le ridicule ne tuant toujours pas, il évoque une décision indépendante, des mensonges véhiculés au niveau national et international : le couple était nu. La défense réclame l’acquittement. Ils sont 10. Plaidant bénévolement dans cette affaire qui rouvre la polémique sur la surveillance des mœurs et le retour des exactions policières. Ils listent les vices de procédure : absence d’un avocat à l’instruction. Absence de traducteur. Absence de test d’alcoolémie. Des auditions menées avant le placement en garde à vue. En arabe, alors que Nessim, il parle pas arabe. Seule la version des policiers apparaît au dossier. Un jugement à la vitesse de l’éclair.

LerPesse, journal en ligne satirique équivalent du Gorafi français, reprend la nouvelle avec ce titre ravageur : Affaire du bisou : Daesh appelle les autorités tunisiennes à faire preuve de plus de retenue dans les sanctions.

C’est pas tout ça : Lancement d’une Journée du Bisou. Chez nous, ça aurait été croquignolesque. Dans ce qui fut mon pays, aucun Tunisois dans les rues. Peur. Le tarif Eux ils le savent. Le Collectif civil pour les libertés individuelles monte au créneau. Condamne les arrestations arbitraires et les violations policières.

Toi t’y crois toujours pas à l’Affaire du bisou. Le 1er octobre, Kamel Daoud encensait dans le New York Times Essebsi, cette figure de proue du mouvement réformiste dans le monde arabe. Comme quoi Kamel hein. Oui Essebsi il prônait la parité sur le droit à l’héritage et puis aussi le droit pour une musulmane d’épouser un étranger qui serait même pas musulman. Oui mais pas de bisou. Tu m’étonnes que la Tribune de Kamel, plein de tunisiens tirèrent à boulets rouges dessus. Il savait pas, Kamel. C’est du délire. Que dirait Brassens. Ses amoureux qui se bécotaient. En 1952.

Quoi ? Tu dis, toi, qu’un petit bakchich  aurait facilement réglé l’affaire. Chuuuut. Tu cherches les histoires. Le bakchich Tu le donnes T’en parle jamais. Une affaire qui concentre tous les désordres lis-tu. Doux euphémisme. L’abus de pouvoir. Le non-respect du citoyen et de ses droits. Les atteintes à la liberté individuelle. Le problème, c’est que l’on a des juges qui, aujourd’hui, eux-mêmes, acceptent toutes les entorses et les atteintes aux procédures, déplore Nadia Chaabane, ancienne députée de la Constituante et membre du comité de soutien aux deux contrevenants.

Pétition pour la libération de Nessim Ouadi, détenu en Tunisie pour un baiser. La honte quoi. 2017. Polémique sur la surveillance des mœurs et le retour des exactions policières. Mobilisation croissante des internautes. Des photos de baisers en guise de solidarité. Appel à une manifestation de l’amour. Déluge de protestations. Dénonciation d’un système corrompu. #FreeNessim. Le Ministère de l’intérieur ne doit plus s’occuper de l’intérieur de nos corps. Toi tu hallucines. Tu regrettes pas de pas avoir participé à l’éloge général quand Leïla Slimani a sorti son bouquin. Tu penses à Maryam. Ça craint. A Leïla la maman : Où va-t-on aujourd’hui? Il y a une police des mœurs désormais en Tunisie? Pour un simple baiser?

Ben ouai. Articles 226 et 226 bis du Code Pénal tunisien. Six mois d’emprisonnement à quiconque se sera, sciemment, rendu coupable d’outrage public à la pudeur et quiconque porte publiquement atteinte aux bonnes mœurs ou à la morale publique par le geste ou la parole. C’est quoi, demandes-tu, les bonnes mœurs ? T’inquiète : policiers et juges statueront. Arbitraire, dis-tu ? Retour de l’ordre policier. Retour de la police de Ben Ali. Tu te demandes si c’est bien de la Tunisie dont on parle ici. Ton pays sous la coulpe d’une police religieuse. Loi datant de 2013. Quoi la police devrait plutôt s’occuper des violences faites aux femmes. Quoi un Ministère de la justice et de l’intérieur minés depuis le passage d’El Araiedh et El Bhiri, deux des plus extrémistes du mouvement Ennahdha. Quoi des centaines de juges et de policiers corrompus et à la solde d’un Parti obscurantiste. Quoi la charia. Quoi les barbus.

Des intellectuels réclament une grâce présidentielle. Histoire de grandir la Tunisie. De limiter quelque peu les dégâts de ce scandale policier et judiciaire. Ils exigent une refonte d’un Code Pénal datant de 1913. Dénoncent sa vision coercitive ; Cette société maltraitée. Cet Etat aux valeurs fascisantes. Ces  changements annoncés. Jamais appliqués. Parlent des Droits de l’Homme. Publient à tire-larigot des photos de baisers amoureux. Regarde. Noomane Fehri, ancien ministre dans le gouvernement Essid. Raouf El-May, député de Nidaa Tunes.

Hier, ils ont été libérés, les amoureux. Pourquoi ? L’arbitraire.

L’affaire du bisou. qiblat alqadia. قبلة القضية

L’amoureuse. La tunisienne. Tu ne peux plus l’oublier. Est-ce ainsi que les hommes vivent. Salissant ces baisers. Qui se donnent. Comme la main, écrivait Picabia. Qui te coûtent la prison. Si tu croises un frustré.

Sarah Cattan

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*