Shoah : les notaires spoliateurs des biens juifs

Une Interview de Vincent le Coq et Anne Poiroux, auteurs du livre “Les notaires sous l’occupation”, sur le passé et l’actualité des notaires en France

« En 2015, nous avons publié un livre, dont le titre était : « Les notaires sous l’occupation (1940-1945) ; Acteurs de l’Expropriation des Juifs« . Jusque-là, la collaboration des notaires français avec le gouvernement de Vichy, pierre angulaire du régime et leur rôle central dans l’extorsion de biens et d’affaires commerciales à leurs propriétaires juifs, restait peu, voire pas du tout reconnu. Ce livre révèle ce rôle capital joué par les notaires dans le processus d’aryanisation économique, ainsi que la protection offerte ensuite à la profession, par le gouvernement redevenu démocratique, après la libération de la France, à partir de 1944;

« Après le 10 septembre 1940, le gouvernement de Vichy a approuvé la désignation d’administrateurs chargés de gérer les entreprises juives. Ces administrateurs ne pouvaient pas vendre ces biens. Au début 1941, une nouvelle loi de Vichy leur a permis ces ventes. Les sommes obtenues étaient encore transmises aux propriétaires juifs. En avril 1941, un décret allemand a interdit ces versements. La loi de Vichy du 22 juillet 1941 déterminait que ces revenus de la vente devaient être déposés à la Caisse des dépôts et Consignations (CDC), une institution financière du secteur public français ».

Vincent Le Coq enseigne le droit public depuis 2000, après une carrière de dix ans,en tant qu’avocat. Anne-Sophie Poiroux a obtenu son diplôme de notaire et a travaillé dans cette profession. Elle est dorénavant avocate.

Les auteurs ajoutent : « L’aryanisation économique a été progressive et découle de facteurs aussi bien purement français qu’allemands. La discrimination originelle par le « Statut des Juifs » est une initiative et une décision émanant de Vichy. L’origine du processus d’aryanisation est allemand. A l’origine, les décrets allemands n’était seulement appliqués que dans le Nord de la France occupée par l’armée allemande. A partir du 22 juillet 1941, l’aryanisation économique a été étendue à la zone encore non-occupée du Sud de la France.

« Avant la guerre, les acquisitions d’affaires pouvaient être supervisées soit par des avocats ou des notaires. Les notaires ont collaboré étroitement avec le régime de Vichy, qui a ensuite décidé qu’il n’y aurait que les notaires qui soient en capacité de gérer les dossiers d’aryanisation.

« Nous savons approximativement combien de commerces et entreprises, propriétés immobilières juives ont été aryanisées. Dans Paris et ses alentours, environ 31.000 dossiers ont été ouverts. Dans le reste de la zone occupée, 11.000 et dans le sud gouverné par Vichy, 7 à 8.000. Cependant, tous les dossiers ne se sont pas traduits par des ventes effectives. Sur les 6.607 notaires en France en 1939, il n’y en avait que 10 qui étaient Juifs. C’est un bon indicateur des barrières antisémites instituées pour entrer dans la profession.

« Les notaires ont fait plus que simplement faire du lobbying auprès de Vichy pour obtenir le monopole de l’aryanisation économique. Ils ont aussi suggérer des changements locaux pour rendre les procédures plus efficaces.  Les notaires gourmands ont largement bénéficié de l’aryanisation. Entre 1939 et 1942, leur chiffre d’affaires a augmenté de 712 millions de francs de l’époque, à 1,3 milliards de francs. Les clients juifs déposaient aussi de l’argent chez le notaire, parce qu’ils n’avaient plus confiance dans les banques. Nous ne savons pas encore quelle part de cet argent a fait l’objet de l’appropriation sauvage de la part de ces notaires [dénués de tout scrupule].

« Après 1942, la plupart des acheteurs potentiels ont commencé à comprendre que l’Allemagne pourrait perdre la guerre. Il est, par conséquent, devenu plus difficile de vendre les propriétés aryanisées. Les notaires se plaignaient alors de la chute de leurs revenus. Le régime de Vichy leur a donc accordé une augmentation des tarifs. En pratique, ils pouvaient faire porter la charge de pourcentages de commissions encore plus élevés. C’était illégal, mais ils n’encourraient aucune sanction.

« En 1944, la France est redevenue une République démocratique. Les commissions touchées par les notaires, à partir de la vente de biens juifs aryanisés, ont été considérées comme légales. En 1945, le gouvernement français a encore augmenté les tarifs des notaires d’un supplément de 30% afin de compenser la perte de leurs revenus, due à la suppression des lois antisémites de Vichy.

« La République a expulsé de leurs fonctions, les collaborateurs dans de nombreuses autres sphères. Malgré cela, le Ministère de la Justice a abandonné les enquêtes en vue de poursuites éventuelles à la profession elle-même. Toutes les chambres des notaires ont déclaré qu’aucun de leur membre n’avait jamais collaboré avec l’ennemi. C’était totalement faux.

« En 1954, la Chambre des notaires de Paris a élu un président qui avait fait montre d’un zèle hors-normes pour déposséder de leurs propriétés les clients juifs. Il s’est fait réélire en 1957 et, en 1960, il a été fait Commandeur de la Légion d’Honneur. Un de ses associés, qui s’enorgueillissait d’être foncièrement antijuif, est devenu président du Conseil Supérieur des Notaires, entre 1948 et 1950. Le Président français René Coty lui a transmis personnellement l’insigne de la légion d’honneur. Ce notaire avait un passé d’excellentes relations avec les occupants nazis.

« La commission Mattéoli, qui – à la fin du 20ème siècle – a enquêté sur les restitutions d’après-guerre, a découvert que le bureau de ces notaires prééminents et avantageusement décorés, n’avait pas déposé tous les revenus des ventes résultats des propriétés aryanisées. Il était bien loin d’être le seul.

« Les archives sur les relations entre le Commissariat Général aux Affaires Juives (CGQJ) et les notaires sont accessibles aux chercheurs, tout comme ceux sur la profession notariale en général. Si, cependant, les chercheurs veulent enquêter sur les dossiers des expropriations qu’ils ont commises, les bureaux des notaires en tant qu’individus prétendent que cela relève du secret professionnel. Cette attitude est à l’opposé de leur comportement au cours de l’aryanisation. Durant cette période, ils n’ont jamais fait la moindre allusion à un secret professionnel concernant l’origine de leurs clients [ou victimes] ».

Lorsqu’on les interroge pour savoir quel accueil leur livre a reçu, Le Coq et Poiroux répliquent, qu’à l’exception notable d’une réunion publique organisée au Mémorial de la Shoah à Paris, sa publication a été entourée d’un silence de plomb, en France. Dans le même temps, les notaires continuent encore de clamer qu’ils auraient fait preuve d’une résistance cachée tout au long de la guerre.

Une Interview de Vincent le Coq et Anne Poiroux par Manfred Gerstenfeld

Source jforum 

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