De Brooklyn à Beyrouth, l’histoire d’un retour

« Je suis né à Beyrouth, ma mère est libanaise et le Liban a accueilli mon père à bras ouverts. Ici, je suis chez moi », martèle Raymond Sasson, un juif du Liban qui effectue cet été son sixième séjour dans la capitale libanaise.

Le cimetière juif de Beyrouth, rue Sodeco. Raymond Sasson en sort et se prépare pour une journée où il verra amis et connaissances. Il vient de rendre un dernier hommage à ses grands-parents maternels enterrés là.

Raymond Sasson, juif libanais, né à Beyrouth, a quitté le Liban en 1972, à l’âge de quatre ans, avec sa famille. Paris dans un premier temps, puis New York, Brooklyn exactement, qui accueille une importante communauté juive du Liban.

Raymond Sasson, antiquaire en argenterie à New York, en est à sa sixième visite au Liban. Son premier retour était en 2008. Il était venu avec sa mère durant deux années consécutives. Histoire de vendre les terrains de la famille dans diverses régions du pays.
« J’aime le Liban. C’est là que je suis né. C’est le pays qui a donné la plus belle enfance et la plus belle jeunesse à ma mère et qui a accueilli mon père et sa famille à bras ouverts, en 1949, quand ils ont été obligés de fuir Alep », raconte-t-il.

À l’époque, avec la création de l’État d’Israël en 1948, de nombreuses exactions avaient été commises contre les juifs de Syrie et d’Irak, qui se sont vus obligés de fuir. Nombre d’entre eux sont venus au Liban, s’installant à Wadi Abou Jamil, quartier juif de Beyrouth, et à Saïda, où une importante communauté juive libanaise existait déjà.
D’autres régions du Liban comptaient des juifs, notamment Tripoli, Deir el-Qamar et Bhamdoun, qui constituait un lieu d’estivage très prisé par la communauté vivant à Beyrouth.
« La maison de la famille de mon père et leur commerce ont été incendiés à Alep. Ils ont pris la fuite sans le sou et ont refait leur vie. Mon père est devenu directeur de l’école de l’Alliance (établissement scolaire privé de la communauté juive) à Saïda », raconte Raymond Sasson.

Lors de son dernier séjour au Liban, Raymond Sasson a retrouvé la maison estivale de sa mère à Bhamdoun ainsi que l’école de l’Alliance à Saïda.
Ce sont des bâtiments délabrés et abandonnés. À Saïda, une partie de l’édifice est habitée.
« Ce sont les histoires de ma mère et les détails qu’elle m’a fournis qui m’ont guidé. D’ailleurs, à chaque fois que je retrouvais un lieu qui lui était cher, je lui téléphonais », raconte-t-il.

Raymond Sasson a demandé le chemin à des inconnus. « À Bhamdoun, mon interlocuteur a tout de suite su que j’étais un juif libanais. Avec beaucoup de regrets, il m’a posé une question : “Pourquoi vous nous avez quittés ?” Il m’a guidé, aidé. Nous étions incapables de localiser exactement la maison. Puis un autre homme s’est joint à nous. Il connaissait mieux les lieux. Je lui ai montré en photo les dalles du salon, ma mère a gardé toutes les photos qu’elle avait du Liban. “Bien sûr que je connais”, l’homme s’est exclamé et m’a amené là où ma mère avait vécu une importante partie de sa vie », raconte-t-il.

 

Les clés de Saïda

À Saïda aussi, Raymond Sasson a été guidé par les indications de sa mère. « Nous sommes arrivés à l’école de l’Alliance. Les lieux sont délabrés, mais il y a des gens qui y vivent. Il y avait une salle où les pupitres étaient empilés les uns au-dessus des autres. Avant la guerre, plusieurs famille juives y vivaient et avaient une cuisine commune. J’ai retrouvé les appartements et la cuisine. Un homme qui habite les lieux m’a donné en souvenir une vieille clé, grande et rouillée. Elle avait servi probablement du temps où mes parents habitaient là-bas », poursuit-il.

La mère de Raymond Sasson, aujourd’hui âgée de 86 ans, est trop fatiguée pour revenir au Liban. « Je suis venu avec elle en 2008 et 2009. Nous avons habité chez mon oncle. Nous étions venus vendre les terrains. À l’époque, nous avions uniquement eu le temps de voir Wadi Abou Jamil, notamment la synagogue Maghen Abraham », dit-il.
L’oncle maternel de Raymond Sasson est décédé il y a trois ans. Il n’a jamais quitté définitivement le Liban. Il a vécu jusqu’à la fin de ses jours entre le Liban et la France.
Raymond Sasson est parti en 1972. « C’était l’idée de ma mère. Elle a vu que la situation se détériorait. Nous sommes partis en France, puis aux États-Unis. Mon père ne s’est jamais adapté à la vie en Amérique, francophone (à l’instar de tous les juifs du Liban), il ne pouvais plus enseigner. Et jusqu’à sa mort, il se souvenait avec regret du Liban et rêvait en vain d’y revenir », dit-il.

Une importante communauté juive du Liban habite Brooklyn. « Ils s’y sont installés comme ils étaient à Wadi Abou Jamil. C’est comme s’ils avaient décidé de garder les mêmes voisins. Jusqu’à présent, ma mère joue au bridge deux fois par semaine avec ses amies venues elles aussi du Liban. De quoi parlent-elles ? Elles égrènent leurs souvenirs de Wadi Abou Jamil : les Srour vivaient là, les Mizrahi disaient cela, les Mamieh faisaient ceci », s’exclame-t-il.

Raymond Sasson était trop petit quand il a quitté le Liban pour avoir des souvenirs. Mais il se rappelle de son premier souvenir new-yorkais. « Au début des années soixante-dix, il y avait uniquement une seule école sépharade à Brooklyn, on m’a mis dans une école ashkénaze. J’avais un sandwich de labné et d’olives, les enfants se sont moqués de moi. À mon retour à la maison, ma mère m’a expliqué que ces enfants viennent de pays où on mange des pommes de terre, des choux et des betteraves et n’ont probablement jamais vu un olivier, qu’ils parlent yiddish chez eux, alors que nous parlons arabe et français. »

Raymond Sasson revendique son appartenance de juif libanais. « Je suis né à Beyrouth, ma mère est libanaise et le Liban a accueilli mon père à bras ouverts. Ici, je suis chez moi… Mais je n’aime pas me justifier. Au Liban, il y a trop d’amalgames entre le fait d’être juif ou israélien et en plus, quand certaines personnes apprennent que je suis juif, elles s’attendent à ce que je me justifie, à ce que je prenne position pour ou contre telle ou telle chose, tel ou tel gouvernement, et je refuse de faire ça », martèle-t-il.
Cela l’empêchera-t-il de revenir ? Pas du tout. Il aimerait encourager d’autres juifs libanais à venir, comme lui, passer des vacances au Liban, découvrir leurs racines ou se souvenir. Il rêve aussi que la communauté, qui rétrécit de plus en plus, qui fait partie des dix-huit communautés religieuses reconnues par l’État libanais et qui partage avec les minorités de Beyrouth un siège au Parlement, puisse préserver sa présence dans les années à venir au Liban.

Source lorientlejour

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1 Comment

  1. Reportage très “intéressant” décrivant les symptomes de l’exilite aiguë, maladie apparemment incurable, d’un juif qui n’a pas compris l’enseignement de l’histoire : la seule place d’un juif est en Israël.

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