Sarah Cattan : un alien au Bureau ovale

Le sprint de la course à la Maison Blanche touche à sa fin et Hillary Clinton comme Donald Trump s’arrachent les voix flottantes. Leur campagne fut si décoiffante que France Info demanda à Martin Cohen[1], professeur de science politique à l’université James Madison, en Virginie, spécialiste américain des partis politiques, si il y aurait un avant et un après la candidature de Donald Trump. C’est que, quelle que soit mardi l’issue du scrutin, il existe aujourd’hui, imprimé à jamais, le Trump style, celui qui pulvérisa tous les codes. Le Trump style ? C’est avoir réussi à séduire, à coup de discours polémiques et d’insultes auxquels ne les avaient pas habitués les hommes et les femmes politiques traditionnels, des électeurs désabusés, anti-establishement, qui en veulent à la fois aux républicains et aux démocrates. La recette ? Un message simple contre l’establishment et les élites, relayé par des médias qui, se gaussant au début, couvrirent chacun des faits et gestes de celui que personne ne prenait au sérieux, d’un clown qui n’aurait fait que passer pour de rire mais qui arriva in fine à déstabiliser la classe politique, faisant perdre au Parti Républicain le contrôle du processus des primaires.

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Il y a peu encore, tant sa défaite était assurée, on pouvait raisonnablement que Trump, l’erreur de casting des Républicains, ses préjugés, ses discours anti-élites, racistes, antisémites et sexistes, s’éteindraient d’eux-mêmes, faute de substance idéologique. Mais l’affaire des e mails a changé la donne et si mardi Trump l’emporte, ou même s’il perd d’un cheveu, il sera de facto le leader du Parti que sans nul doute de nombreux républicains quitteront et qu’il refaçonnera selon ses critères.

Qu’ils sont nombreux, les électeurs qui parlent, face à un choix inédit, de débâcle, considérant cette élection comme une aberration, le succès de l’un s’expliquant surtout par l’impopularité d’Hillary Clinton et Freddy Eytan, ici-même, s’interrogeait justement sur la capacité du nouveau chef de la Maison Blanche à affronter toutes les menaces et relever tous les défis que l’on sait.

LES FRERES MUSULMANS

Hillary ? Son staff est sur les dents et en est rendu à une grande opération de relance par téléphone et même du porte-à-porte. C’est qu’elle chancelle à nouveau, une fois de plus rattrapée par ses e-mails : alors que l’agence fédérale de police judiciaire avait classé le dossier, son patron, James Comey, a annoncé la réouverture de l’enquête. Le profil d’Huma Abedin, la conseillère très spéciale d’Hillary, celle que l’on appelait l’ombre d’Hillary, pressentie pour devenir la chef de cabinet si celle-ci entrait à la Maison Blanche, intéresse la presse américaine mais aussi la presse arabe, qui pointent toutes les deux son rôle dans le rapprochement constaté entre La Maison Blanche, sous la présidence de Barack Obama, et les Frères Musulmans. Huma Abedin ? Son père fut conseiller de l’organisation salafiste saoudienne Ligue Islamique Mondiale et créa, aux côtés de Youssef Al-Qaradawi, l’IMMA, Institute of Muslim Minority Affairs, dont le siège, aujourd’hui transféré à Londres, est présidé par la mère de la conseillère. Alors que le site arabe Al-Arabia parle explicitement de stratégie islamiste, chez nous, Le Monde se contente de présenter la mère de la conseillère comme directrice d’une revue consacrée à l’islam, sans un mot sur la ligne éditorialiste résolument islamiste de cette revue. Voilà que des milliers de courriels auraient été récemment retrouvés sur un ordinateur que partageait la plus proche collaboratrice d’Hillary avec son mari, Anthony Weiner, dont elle s’est, il est vrai, séparée en août. A fouiller dans la messagerie de Weiner pour une enquête distincte l’accusant d’envoi de messages à caractère sexuel à une mineure, on découvre de nouveaux e-mails de la candidate démocrate, qui assure que beaucoup de ces messages avaient pour objet le mariage de sa fille Chelsea, l’organisation de ses vacances ou encore ses cours de sport. Comment il avait dit, James Comey, le directeur du FBI ? Ah oui, il avait parlé d’extrême négligence

ELLE AURAIT REÇU EN AVANCE LES QUESTIONS

Encore ? On reproche aussi à Hillary Clinton la nomination, comme vice-président, de Tim Kaine qui, lorsqu’il était gouverneur, avait nommé à la tête de la Commission de l’immigration un leader musulman anti-Israël, et s’était déclaré favorable au boycott à l’égard de Benyamin Netanyahou au Congrès en 2015.

Autre scandale à vérifier ? Hillary Clinton aurait reçu en avance des questions qui lui ont été posées lors des débats : des emails rendus publics par WikiLeaks le prouveraient, grâce à des données piratées sur le compte de John Podesta par des hackers qui affirment que Donna Brazile, consultante pour CNN, aurait informé l’équipe de campagne de la candidate. Imaginez si ça avait été moi qui avais fait ça, qu’est-ce qu’il me serait arrivé ? La chaise électrique ? demande Trump, dénonçant dans ses meetings Hillary la corrompue, crooked Hillary, devant des supporters qui lui répondent invariablement : Qu’on l’enferme ! Lock her up!

TRUMP’ AURAIT INSULTÉ 281 PERSONNES

Trump ? Le New York Times nous dit que son seul nom aurait fait fuir les touristes fortunés et des joueurs de golf annuleraient leur voyage annuel dans un complexe détenu par le milliardaire. Que des agences de voyage en ligne constatent une chute de 58% des réservations dans les hôtels Trump. Le magazine économique Fortune nous apprend que les nombreuses attaques visant les Mexicains lui auraient fait perdre d’importants contrats, le réseau de télévision américain en espagnol, Univision, suivi par NBC, ayant par exemple décidé de déprogrammer la diffusion du concours Miss USA, propriété de Donald Trump. Il l’a bien cherché, avec sa promesse d’ériger un mur de 3.200 kilomètres entre le Mexique et les États-Unis et d’en faire payer la construction aux Mexicains, ces criminels violeurs. Trump ? Il a promis d’expulser les 11 millions de clandestins qui vivent en Amérique et ne connaît rien à la politique étrangère, confondant par exemple le Hezbollah et le Hamas.

Trump ? Son refus, inédit pour un candidat à la Maison Blanche de rendre publique sa feuille d’impôt, l’emploi de sans-papiers sur ses chantiers, le refus dans les années1970 de louer ses appartements à des Afro-américains.

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Le Trump style. Bidon, arnaque, corrompu, incompétent, insignifiant, idiot, tricheur, pourri, autant de qualificatifs qui émaillèrent les tweets du milliardaire qui a, toujours d’après le New York Times, insulté via le réseau social pas moins de 281 personnes: ces centaines d’attaques ad hominem sont compilées en deux pages, traduites par France Info, et listent toutes les personnes, tous les lieux ou toutes les choses insultées par Donald Trump sur Twitter depuis qu’il est candidat, depuis le site marchand Amazon jusqu’à sa cible favorite, Hillary, en passant ses rivaux républicains ou le musicien Neil Young. C’est que de l’autre côté de l’Atlantique, la liberté d’expression est sacrée et régie par le premier amendement de la Constitution américaine et le juriste Valère Ndior explique dans Droit et réseaux sociaux[2] que si les propos ne versent pas très clairement dans l’antisémitisme, le racisme, l’homophobie, ou ne constituent pas un appel explicite à la violence, il est difficile d’envisager une action.

70 PRIX NOBEL POUR HILLARY

Pendant ce temps, dans une lettre ouverte publiée adressée au peuple américain, 70 lauréats du prix Nobel expriment fortement et pleinement leur soutien pour la candidate démocrate Hillary Clinton, afin, écrivent-ils, de préserver nos libertés, de protéger notre gouvernement constitutionnel, la sauvegarde de notre sécurité nationale, et de veiller à ce que tous les membres de notre nation seront en mesure de travailler ensemble pour un avenir meilleur et la huitième édition du festival America qui s’est tenue récemment à Vincennes a invité 50 écrivains reflétant la diversité des cultures et des régions, autant que d’États composant ce pays, et leur a demandé, à quelques jours du scrutin, ce que serait selon eux l’après-Obama. Si beaucoup pensent que le système se corrigera de lui-même, indépendamment de celui ou de celle qui l’emportera, et d’autres redoutent un regain de racisme, de ségrégation, d’injustices, tous espèrent que l’accès aux armes, fléau des Etats-Unis, soit limité, que dans un proche avenir on dépasse ce bipartisme noir ou blanc, oui ou non, un ou deux, et que le progrès l’emporte contre les bas instincts.

Mon amie Jo se demandait comment le pays qui nous a donné Marilyn, Hemingway, Dylan, Roth, Bill Gates, Elvis, Arthur Miller, Paul Auster, Lauren Bacall, Humphrey Bogart, Luther-King, Ray Charles, Steve Jobs, Charlie Chaplin, Spielberg, Lincoln, The Truman Show, Liza Minnelli, Roosevelt, Woody Allen, Stevie Wonder, les frères Coen, Marc Zuckerberg, Tennessee William, avait pu engendrer de tels alien, qui s’installeraient dans deux jours dans le bureau ovale.

Sarah Cattan

[1] The Party Decides : Presidential Nominations Before and After Reform,

[2] Droit et réseaux sociaux, Collectif sous la direction de Valère Ndior, Editions Lextenso, 2016.

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2 Comments

  1. Mise à jour Le Monde.fr
    Neuf jours après avoir annoncé spectaculairement l’ouverture d’une enquête pouvant menacer la candidate démocrate, le directeur du FBI a sobrement refermé ce dossier en expliquant que les investigations concernant de nouveaux courriers électroniques n’avaient pas fait apparaître d’éléments neufs.

    « Sur la base de cette enquête, nous n’avons pas changé les conclusions que nous avions exprimées en juillet en ce qui concerne Mme Clinton », a écrit James Comey aux présidents républicains des commissions du Congrès concernées. À l’époque, le directeur du FBI avait estimé que la négligence dont avait fait preuve Mme Clinton dans la gestion de ses courriers électroniques ne méritait pas l’ouverture de poursuites judiciaires.

  2. Seth Meyer sur Konbini.com:
    “Est-ce que vous choisissez quelqu’un qui est l’objet d’une enquête fédérale pour avoir utilisé un serveur privé pour ses e-mails? Une enquête que le FBI vient de fermer.

    Ou est-ce que vous choisissez quelqu’un qui a qualifié les Mexicains de violeurs, qui a déclaré que le président est né au Kenya, qui propose d’interdire l’entrée du territoire américain à une religion entière, qui s’est moqué d’un journaliste handicapé, qui a dit que John McCain n’est pas un héros de guerre parce qu’il a été pris en otage, qui s’en est pris aux parents d’un soldat mort au combat, qui s’est vanté d’avoir commis des agressions sexuelles, qui est accusé par 12 femmes d’avoir commis des agressions sexuelles, qui a dit que certaines de ces femmes n’étaient pas assez attirantes pour qu’il les agresse sexuellement, a déclaré que plus de pays devraient avoir la bombe nucléaire, a dit qu’il forcerait l’armée à commettre des crimes de guerre, que l’avis d’un juge était biaisé parce que ses parents étaient mexicains, que les femmes devraient être punies pour avoir avorté, qui a incité à la violence dans ses meetings, qui a appelé le réchauffement climatique un ‘hoax’ perpétré par les Chinois, qui a déclaré que sa concurrente devrait être emprisonnée, qui a fait banqueroute à six reprises, qui s’est vanté de ne pas avoir payé ses impôts sur le revenu, qui a floué ses fournisseurs et ses employés, qui a perdu un milliard de dollars en un an, qui a arnaqué ses clients avec une fausse université, qui a acheté un tableau de lui de presque deux mètres avec l’argent de sa fausse fondation, qui va avoir un procès pour fraude en novembre, qui a insulté le look d’un concurrent, qui a insulté le look de la femme d’un concurrent et qui s’est vanté d’attraper des femmes par la ‘chatte’?

    Comment choisir?”

    sarah cattan

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