Yoram Schweit­zer, expert israé­lien « Le contre-terro­risme français a fait des progrès »

Alors que quatre personnes (dont trois femmes) et un mineur impliqués dans plusieurs projets ou tenta­tives d’atten­tats viennent d’être mis en examen et écroués, les services de police et de rensei­gne­ment français doivent conti­nuer d’agir dans un contexte de menace «maxi­male» selon le terme de Manuel Valls. Yoram Schweit­zer, expert israélien en contre-terro­risme, analyse les efforts déployés par l’Etat français.yoram_schweitzer_2

Ancien lieu­te­nant-colo­nel dans le rensei­gne­ment mili­taire, direc­teur du Dépar­te­ment « Lutte contre le terro­risme et conflits de basse inten­sité » de l’Insti­tut pour les études de la Sécu­rité Natio­nale de Tel Aviv, Yoram Schweit­zer estime que la France, dans sa lutte contre le terro­risme, doit abso­lu­ment privi­lé­gier le rensei­gne­ment humain. Ce spécia­liste des femmes kami­kazes relève que la France, dans sa réponse au terro­risme, est en progrès mais se trouve aujourd’­hui à la croi­sée des chemins.

VSD. Comment analy­sez-vous les évène­ments terro­ristes en France ?

Yoram Schweit­zer. Après l’at­taque du 14 juillet à Nice, et l’as­sas­si­nat du prêtre Jacques Hamel, il est main­te­nant clair que la France est en plein milieu d’une guerre totale avec des menaces terro­ristes inté­rieures et exté­rieures. Certains des atten­tats ont été conduits par des personnes issues de la deuxième ou troi­sième géné­ra­tion de l’im­mi­gra­tion, nées et éduquées en France. D’autres par des étran­gers. Et les Français ont peur. C’est normal d’avoir peur : ils sont persua­dés que d’autres attaques seront menées sur leur terri­toire.

Le gouver­ne­ment français a répondu à ces menaces avec un plan de lutte assez complet, le premier de ce genre, présenté en mai 2016, avec des mesures concrètes : surveillance renfor­cée, écoutes télé­pho­niques, expé­ri­men­ta­tion de la déra­di­ca­li­sa­tion, renfor­ce­ment des moyens.

Et pour­tant, malgré tous ces efforts, les Français trouvent que François Hollande et son gouver­ne­ment n’en font pas assez, que les mesures ont été prises trop tard et qu’elles sont insuf­fi­santes. Un sondage, après l’at­ten­tat de Nice, montrait que 67% des Français n’avaient pas confiance dans la capa­cité du gouver­ne­ment à jugu­ler la menace terro­riste, et 81 % des Français sont prêts à accep­ter des restric­tions de liberté.

VSD. En fait, vous dîtes que la France doit avant tout se poser les bonnes ques­tions et qu’il faut garder son sang froid…

Y.S. En matière de contre-terro­risme, il ne faut pas prendre de déci­sions à chaud, sous le coup de l’émo­tion. Toute réponse doit être réflé­chie, arti­cu­lée, stra­té­gique. D’un point de vue plus géné­ral, les auto­ri­tés doivent proté­ger la popu­la­tion musul­mane, ne pas stig­ma­ti­ser les réfu­giés comme le fait l’ex­trême droite, car cela ne fera que renfor­cer les capa­ci­tés de recru­te­ment des terro­ristes au sein d’une commu­nauté qui vit l’injus­tice. L’objec­tif ultime de l’Etat isla­mique comme des autres groupes terro­ristes est de pous­ser la société visée à perdre pied, à rompre son propre équi­libre.

Et la France doit se poser les bonnes ques­tions. Il y a par exemple un débat intel­lec­tuel en France entre deux intel­lec­tuels, Olivier Roy et Gilles Keppel. Le premier, Olivier Roy, soutient que la vague d’at­ten­tats est le résul­tat d’une « isla­mi­sa­tion de la radi­ca­li­sa­tion », c’est à dire que les attaques sont menées par des jeunes gens nihi­listes, qui se servent du djihad et du Coran pour masquer des frus­tra­tions écono­miques et parfois des problèmes mentaux. Gilles Kepel attri­bue, lui, les attaques, à la radi­ca­li­sa­tion de l’is­lam, que l’on voit dans le monde et en France. Le débat n’est pas seule­ment intel­lec­tuel, il est aussi très concret, car les réponses à ces ques­tions n’im­pliquent pas les mêmes actions.

VSD. A partir de votre expé­rience, quels conseils pour­riez-vous donner aux auto­ri­tés françaises ?

Y.S. Je me garde­rais bien de donner des leçons, mais nous avons une expé­rience en Israël du terro­risme qui peut servir. Je crois que le contre-terro­risme français est à la croi­sée des chemins. D’un point de vue opéra­tion­nel, il faut s’as­su­rer que les procé­dures admi­nis­tra­tives ne retardent pas le trans­fert rapide des infor­ma­tions pour iden­ti­fier les candi­dats au suicide. Il semble que la France ait fait des progrès dans ce sens, avec l’ar­res­ta­tion récente d’un commando de femmes. Il est aussi néces­saire de construire un contre-discours et de permettre l’ac­cès aux imams éclai­rés dans les médias car les djiha­distes occupent l’es­pace sur les médias sociaux. Il faut s’ap­puyer sur des chefs reli­gieux respec­tés et écou­tés dans la commu­nauté musul­mane. Ils ont la confiance des familles et peuvent parler aux jeunes et les raison­ner.

VSD. Vous avez rencon­tré de nombreux candi­dats au suicide en prison. Quels ensei­gne­ments en tirez-vous ?

Y.S. Person­nel­le­ment, j’ai parlé des heures en prison avec des candi­dats au suicide et avec des kami­kazes qui ont échoué dans leurs opéra­tions. Nos études ont montré que les candi­dats au suicide peuvent avoir 13, 25, 40 ou même 70 ans. Il peut s’agir d’hommes ou de femmes. Certains kami­kazes sont « déran­gés » menta­le­ment, mais d’autres sont normaux. Pour des Occi­den­taux, leur moti­va­tion est diffi­cile à comprendre, car ils n’ont pas la même ratio­na­lité.

Ces kami­kazes ont une mauvaise inter­pré­ta­tion de l’is­lam et de la notion de djihad. Leur sacri­fice est un témoi­gnage à la gloire d’Al­lah. Certains sont déses­pé­rés, d’autres n’ont pas réussi leur inté­gra­tion en Europe, ni à conci­lier leur héri­tage musul­man et leur citoyen­neté occi­den­tale. Ils sont à la recherche d’une expli­ca­tion du monde. Leur frus­tra­tion peut aussi être moti­vée par le conflit israélo-pales­ti­nien ou les inter­ven­tions occi­den­tales au Moyen-Orient.

Pour lutter contre le terro­risme, il faut être agile, souple, s’adap­ter, ne pas être bureau­cra­tique, privi­lé­gier le rensei­gne­ment humain, analy­ser les attaques, s’inspi­rer d’expé­riences étran­gères. En revanche, donner des armes aux Français, ce serait une catas­trophe. Il faut éviter le pire : la guerre civile, que souhaitent les extré­mistes.

Propos recueillis par Antoine Drey­fus

Source vsd

Ci-dessous Interview du 19 novembre 2015

 

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1 Comment

  1. Il ne faut pas oublier que dès son élection en 2012 le nouveau président français a déstabilisé le renseignement en plaçant à la tête des services et pour des raisons strictement dogmatiques des personnes issues de son serail.

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