Pour le chercheur Ely Karmon, Israël réalise que l’Afrique est un continent important

Après plus de quarante ans d’éclipse, Israël tente de revenir sur la scène africaine. Depuis lundi 5 juillet, le Premier ministre Benyamin Netanyahu effectue une tournée sans précédent dans quatre pays d’Afrique de l’Est : le Rwanda, le Kenya, l’Ouganda et l’Ethiopie. Que cherche Israël en Afrique ? Ely Karmon travaille à l’Institut pour la lutte contre le terrorisme au Centre interdisciplinaire de Herzliya, près de Tel Aviv. Le chercheur israélien répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

 Dr. Ely Karmon, chercheur au Centre interdisciplinaire de Herzliya, près de Tel Aviv. ict.org.il
Dr. Ely Karmon, chercheur au Centre interdisciplinaire de Herzliya, près de Tel Aviv. ict.org.il

RFI : Ely Karmon, cette visite de Benyamin Netanyahu a une portée plus politique ou plus économique ?

Ely Karmon : Il y a au moins deux pays, l’Ethiopie et le Kenya, qui font partie de ce qui, depuis la période Ben Gourion, est considéré comme la périphérie d’Israël et qui ont une importance stratégique dans la lutte, et le cantonnement de pays arabes ennemis d’Israël.

Addis-Abeba, c’est le siège de l’Union africaine et l’autorité palestinienne de Mahmoud Abbas y est invitée tous les ans pour le sommet du mois de janvier de l’Union africaine…

C’est vrai parce que depuis que les pays arabes ont décidé l’embargo sur le pétrole de 1973, Israël, qui avait une très forte présence et beaucoup d’amis dans les pays africains depuis leur indépendance, a été exclu pendant une certaine période parce que les pays arabes et surtout les pays pétroliers ont influencé la politique des pays africains. C’est pour cela aussi que l’OLP [Organisation de libération de la Palestine ; Ndlr] a été reçue comme observateur à l’Union africaine. Et je crois que le président Kenyatta du Kenya propose maintenant qu’Israël, aussi, soit un pays observateur à cette organisation.

Et tant qu’Israël continuera sa politique de colonisation dans les territoires occupés, est-ce que vous ne craignez pas que le pays reste boycotté par l’Union africaine ?

Je ne sais pas à propos de l’Union africaine, mais on voit que beaucoup de pays africains ont de très bonnes relations, d’excellentes relations politiques et économiques avec Israël. Et pas seulement en Afrique orientale, si on voit le Nigéria et le Ghana. Donc, je ne crois pas qu’il y ait un problème de relations bilatérales. Peut-être que c’est l’Afrique du Sud qui est l’un des pays qui sont les plus opposés à Israël et qui soutiennent les Palestiniens à outrance.

Ce lundi à Kampala, Benyamin Netanyahu a participé à un mini-sommet anti-terroriste avec les chefs d’Etat d’Ouganda, du Kenya, du Rwanda, du Soudan du Sud et avec le Premier ministre éthiopien. Est-ce qu’aujourd’hui Israël joue la carte anti-terroriste pour revenir sur la scène politique africaine ?

Non, ce n’est pas seulement l’anti-terrorisme. Il y a aussi les relations économiques très étroites et le fait qu’Israël, depuis l’indépendance de l’Afrique, a été connu comme un pays qui a aidé du point de vue technologique dans l’agriculture, dans la formation de villages collectifs. Les Africains ont une mémoire très positive de ce qu’Israël a fait pendant des décennies sur le continent.

Israël est un grand pays vendeur d’armes. Est-ce que les Africains peuvent être de bons clients ?

Il y a quelques pays qui sont de grands pays – parmi eux, par exemple, le Nigéria – qui ont aussi des problèmes avec leur voisin et surtout qui ont des problèmes avec les organisations terroristes comme Boko Haram. Donc Israël peut aussi vendre des armes. Je ne crois pas que les pays africains sont des clients comme l’Inde ou même les pays européens, ou même les Etats-Unis, qui achètent à Israël des armes technologiquement avancées.

En 1994, Israël a vendu des armes au régime génocidaire du Rwanda. Aujourd’hui, est-ce que c’est oublié par les nouvelles autorités rwandaises ?

Le fait est que maintenant le gouvernement du Rwanda a des relations très amicales avec Israël. Et quand le Rwanda a tenu la présidence du Conseil de sécurité, ce pays a appuyé certaines positions d’Israël dans un environnement très hostile, surtout quand il y a aux Nations unies une majorité automatique des pays arabes et musulmans.

A l’initiative d’une députée du parti de gauche Meretz, je crois qu’une vingtaine de députés de la Knesset à Jérusalem protestent aujourd’hui contre la vente d’armes israéliennes à un certain nombre de régimes très autoritaires en Afrique. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Ce n’est pas seulement Israël. Je crois que la France, la Grande-Bretagne et tous les pays démocratiques vendent aussi des armements aux dictatures ou à des pays autoritaires. Parce que cela fait partie de l’économie. Dans le cas de l’industrie militaire israélienne, celle-ci ne peut pas survivre s’il n’y a pas des exportations, parce que Israël est un pays avec un marché très limité, et donc l’exportation d’armement ou d’armes avancées est une partie de la politique économique de cette industrie.

Il y a les armes et il y a aussi les experts. Est-ce que plusieurs dizaines de conseillers militaires israéliens ne sont pas présents dans un certain nombre de pays de la Corne de l’Afrique et des Grands Lacs ?

Oui, c’est possible. Israël a donné un appui par exemple en Colombie, quand le gouvernement de Bogota luttait contre la guérilla locale. Il y a eu notamment des compagnies privées israéliennes qui ont aidé la Colombie. On dit même que la libération de la candidate Ingrid Betancourt à la présidentielle de 2002 a été une opération aidée par Israël. Et donc ce genre d’opération est aussi le résultat du fait qu’Israël, malheureusement, est devenu expert dans la lutte contre le terrorisme parce que le terrorisme, depuis quarante-cinquante ans, attaque Israël, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

En ces temps de lutte anti-terroriste, peut-on parler d’un retour d’Israël sur la scène africaine ?

Oui, c’est un retour qui a été commencé d’ailleurs avec le ministre des Affaires étrangères Avidgor Liberman, après des années où l’Afrique n’avait pas été considérée comme un enjeu important dans la politique israélienne. Maintenant, je crois que le gouvernement israélien est arrivé à la conclusion que l’Afrique est un continent important. Cela, peut-être parce qu’il y a en Europe certains pays ou certains partis qui sont anti-israéliens. Aujourd’hui, certains pays asiatiques et africains sont peut-être plus proches d’Israël.

Source rfi

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