Le pape François et Hassan Rohani en voyage, par Sarah Cattan

Le dimanche 17 janvier, le rabbin Ratzon Arusi, à la tête d’une délégation des rabbins israéliens présents lors de la première visite du pape François à la Grande Synagogue de Rome, avait interpelé le souverain pontife et lui avait demandé que « l’Eglise reconnaisse l’Etat d’Israël comme l’Etat du Peuple Juif, [et ce…] en vertu de la Bible », sans pour autant lui demander de dire, -et nous nous en félicitons-,  que « les Palestiniens n’auraient droit à aucun état. »

Pour Ratzon Arusi, en parlant de la « Terre Sainte » et non de « l’Etat d’Israël », « l’Eglise ne tenait pas compte de l’état d’Israël comme étant l’Etat du peuple juif ». Arusi avait le même jour demandé au Vatican de se positionner au-delà de ses déclarations trop générales sur l’antisémitisme, et de préciser l’idée d’un antisémitisme féroce construit sur la base du conflit israélo-palestinien: « J’ai appelé le pape », avait dit le rabbin, à être « le Balfour de l’Eglise catholique.»

Rappelons que la Déclaration Balfour de 1917 fut une lettre ouverte signée par Arthur Balfour, Secrétaire d’état des affaires étrangères britanniques, adressée à Lord Lionel Walter Rothschild , éminence de la communauté juive britannique et financier du mouvement sioniste, lettre désignée par son auteur comme une « déclaration de sympathie à l’adresse des aspirations juives et sionistes, soumise au Parlement et approuvée par lui.»

Un foyer national pour le peuple juif

« Le gouvernement de Sa Majesté », écrivait Arthur Balfour, « envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les Juifs jouissent dans tout autre pays. »

photo :  (ARBEN CELI / REUTERS)
photo : (ARBEN CELI / REUTERS)

Le Vatican avait signé le 26 juin 2015[1] un accord historique avec les Palestiniens -accord signé malgré l’opposition d’Israël-, deux ans après que l’Eglise eût reconnu les « Territoires Palestiniens » comme un « Etat souverain ».

Cette signature avait été jugée par Israël comme une « mesure précipitée » susceptible de  nuire à un éventuel accord de paix entre les parties, et le Ministère des Affaires Etrangères avait précisé[2] qu’Israël en étudierait les « implications sur la coopération future » avec le Saint-Siège.

En réalité le pape François ne restait-il pas dans son exacte fonction en multipliant les appels au respect mutuel. Il avait auparavant, devant le Mur des Lamentations le 26 mai 2014, exhorté « Juifs et Musulmans à travailler ensemble pour la justice et la paix », comme il appela à lutter « contre la haine, l’antisémitisme et le terrorisme. »

En ranimant la flamme du souvenir au Mémorial de Yad Vashem consacré aux victimes de la Shoah, le chef de l’Eglise catholique avait fait oublier le discours de son prédécesseur Benoït XVI, et en déposant une gerbe sur le tombeau de Théodore Herzl, le pape argentin n’avait-il pas  reconnu implicitement la souveraineté d’Israël sur sa terre, et n’était-ce pas à entendre comme un gage de soutien pour Israël qui faisait – et fait encore- l’objet d’une campagne de boycottage.

Pouvait-on d’ailleurs attendre davantage d’un pape dont le rôle ne se résume, selon la formule de Paul VI, qu’à une « minuscule et quasi-symbolique souveraineté temporelle. »

Rappelons que le pape François, alors qu’il s’était rangé au service de l’unité chrétienne en rencontrant des responsables d’autres églises, comme le primat anglican Rowan Williams, s’était voulu aussi, d’emblée, un moteur de dialogue avec les autres religions, en particulier l’islam.

Le dialogue dans la raison

Déjà le 13 Septembre 2006, Joseph Ratzinger, alors Benoît XVI, avait prononcé à l’Université de Ratisbonne -où il avait jadis enseigné- un discours mémorable, qui résonne encore aujourd’hui avec force, dans lequel il parlait de la vocation naturelle des religions pour la justice et la paix,  une paix dont la réalisation [dépendrait]  de la juste articulation entre foi et raison, et il avait souligné le danger, lorsque le dialogue échoue, de voir naître les pathologies de la raison et de la religion qui mènent au fanatisme[3].

Benoît XVI lançait alors un défi aux musulmans, les sommant de condamner la violence comme moyen d’imposer la foi, sans exonérer par ailleurs les chrétiens.

Ce disant, il avait touché un point sensible : le monde médiatique et intellectuel  d’Occident, celui-là même qui se dit  expression de tolérance et de liberté, se déchaîna avec une violence irrationnelle contre lui, le taxant de fanatique et de provocateur, alors même qu’il avait adressé une invitation  convaincante au dialogue dans la raison.  En face, ceux qui trahissent et pervertissent le Coran répondirent en lançant des condamnations incendiaires appelant à davantage encore de violence.

Ces deux réactions avaient alors donné raison à Ratzinger en illustrant combien leurs auteurs étaient porteurs des pathologies décrites dans le discours de Ratisbonne.

Il fut, heureusement, des dirigeants et intellectuels musulmans pour signer une lettre dans laquelle ils relevèrent le défi du dialogue[4] et condamnèrent tous ceux qui prétendaient imposer par la violence « des rêves utopiques dans lesquels la fin justifie les moyens ».

Pas de nus, pas de vin pour Hassan Rohani

12 jours après la visite du pape à la Grande Synagogue de Rome, le 25 janvier précisément, la première visite officielle en Europe du président iranien  débutait par une première étape en Italie où, entre le Forum et le Vatican, étaient prévues des visites au musée du Capitole qui abrite notamment La Louve capitoline[5] : une « mesure de pudeur » fut prise exceptionnellement à la demande expresse de l’Iranien, rapporte le Corriere della Sera, et certaines Vénus dénudées furent soustraites à ce prude regard, recouvertes de grands coffres en bois. Cachez ce sein que je ne saurais voir[6] , aurait en somme exigé et obtenu[7] ce colon en Europe.

Hassan Rohani rencontra ensuite le pape François, l’unique visite officielle d’un président iranien au Vatican remontant à 1999, lorsque Mohammad Khatami avait été accueilli par Jean-Paul II, lors d’une visite qualifiée alors d’historique.[8]

Téhéran et le Saint-Siège poursuivirent donc le dialogue interreligieux alors que les collaborateurs du pape en charge de la diplomatie devaient :

– saluer le retour de Téhéran sur la scène internationale après l’accord nucléaire et la fin des sanctions,

– aborder avec  Rohani la crise au Moyen-Orient et son soutien ambigu au régime syrien,

– inviter enfin Téhéran  à l’apaisement avec Israël[9].

Au menu des discussions devaient aussi figurer aussi les violations de la liberté religieuse des minorités, à commencer par les catholiques, qui sont quelques milliers dans la République islamique.

Les honneurs militaires en France !

Le président iranien Hassan Rohani, avec Laurent Fabius, le 28 janvier lors d'une cérémonie à l'Hôtel des Invalides, a souhaité le début d'une «relation nouvelle» entre l'Iran et la France. REUTERS/Michel Euler/Pool
Le président iranien Hassan Rohani, avec Laurent Fabius, le 28 janvier lors d’une cérémonie à l’Hôtel des Invalides, a souhaité le début d’une «relation nouvelle» entre l’Iran et la France.
REUTERS/Michel Euler/Pool

On notera enfin qu’alors que les honneurs militaires lui furent rendus aux Invalides aujourd’hui 28 janvier juste avant que le Président iranien fût recu à l’Elysée, une lettre ouverte[10] de députés de la majorité et de l’opposition demandait au Président Hollande de faire preuve de fermeté et cohérence envers son visiteur, soulignant le bilan accablant de la théocratie iranienne qualifiée d’un des régimes « les plus liberticides de la planète » : en effet ont eu lieu en Iran dix-neuf exécutions pour le seul mois de janvier 2016 dont trois pendaisons publiques, certains des suppliciés ayant été exécutés pour des motifs aussi ubuesques que « l’inimitié à l’égard de Dieu[11] » ou la propagation de la « corruption sur terre » ; rappelons que la version révisée du code pénal iranien continue de prévoir la lapidation des femmes jugées coupables d’adultère, ou permet à un homme d’épouser sa fille adoptive dès que celle-ci atteint l’âge de 13 ans[12].

« La France, patrie des droits de l’homme », stipule par ailleurs cette Lettre ouverte, « ne peut pas […] passer sous silence les déclarations ouvertement négationnistes des dirigeants iraniens » . Rappelons en effet qu’après que son Président ait déclaré dans une interview à France 2[13] qu’ « Israël [n’était] pas un Etat légitime »,  Téhéran annonça le 14 janvier 2016, soit deux semaines avant la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste[14], le lancement d’un nouveau concours de caricatures niant la Shoah, insultant par là-même la mémoire des six millions de victimes juives du génocide nazi sous le prétexte de mettre en évidence le « deux poids deux mesures » dans le monde, en référence au soutien du droit de caricaturer le prophète musulman Mahomet.

Le pape et le Président Iranien voyagent.

France, comment te remettras-tu de cet impossible écart entre une diplomatie dite des intérêts et une diplomatie des valeurs.

France, pourras-tu, en somme, défendre tes intérêts sans renier tes valeurs fondatrices.

Sarah Cattan

[1] Le Saint-Siège signa ce vendredi 26 juin un accord sans précédent avec l’Etat de Palestine, dans un texte achevé en mai après quinze ans de négociations. Cet accord porte sur les droits de l’Eglise catholique dans les territoires régis par l’Autorité palestinienne. Par ce traité, le Vatican reconnaît l’Etat palestinien « comme lieu de naissance du christianisme et comme berceau des relations monothéistes ».
[2] Communiqué du porte-parole du ministère israélien des Affaires Etrangères, Emmanuel Nahshon, vendredi 26 juin 2015.
[3] Texte traduit par Baptiste Legrand, journaliste du nouvelobs.com, d’après la version en anglais publiée sur le site du Vatican.
[4] Une « Lettre ouverte » de 38 musulmans fut transmise au pape Benoît XVI, le 18 octobre 2006.
[5] La Louve capitoline est une sculpture en bronze des XIIème et XIIIème siècles, symbole associé à la légende Romulus et Remus et à la fondation de Rome.
[6] « On se rend compte que ce que les religions ont en commun, c’est qu’elles ont toutes un problème, dans leur version traditionnelle, avec les femmes et le féminin », déclara le rabbin Delphine Horvilleur, invitée des Grandes Gueules sur RMC, le 26 janvier,
[7] Le président iranien a assuré mercredi n’avoir fait aucune demande auprès de ses hôtes italiens : le quotidien Corriere della Sera cite des sources au sein de la délégation italienne, selon lesquelles les Venus et autres nus n’auraient pas obtenu l’aval d’une inspection préalable. La Mairie de Rome accepta donc de les dissimuler.
[8] Son successeur, l’ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad, n’a quant à lui jamais franchi les portes du petit Etat.
[9] Les dirigeants iraniens appellent régulièrement à la destruction de l’Etat d’Israël et, non contents de leur fournir missiles et roquettes, financent le Hamas, le Hezbollah et le jihad islamiste, organisations terroristes s’il en est.
[10] Lettre ouverte publiée par Le Figaro.fr le 27 janvier 2016.
[11] Ahmed Shaheed, rapporteur spécial des Nations Unies pour la question des droits de l’homme en Iran, souligne que Téhéran « continue d’exécuter plus d’individus par habitant que l’ensemble des autres pays du monde.
[12] Loi votée par le Parlement iranien en 2013, interprétée par Madame Shadi Sadr, avocate iranienne de défense des droits de l’homme, comme une « légalisation de la pédophilie ».
[13] Interview accordée à France 2, le 12 novembre 2015, à quelques jours de sa visite officielle en France.
[14] La Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste, International Holocaust Remembrance Day, a été instituée à l’initiative des ministres de l’Education des Etats membres du Conseil de l’Europe en octobre 2002. L’Organisation des Nations unies en fit le 1er novembre 2005 une résolution intitulée Mémoire de l’Holocauste, elle est célébrée chaque année le 27 janvier, à la date d’anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz.

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