Que la chance soit avec vous… Mazel tov !

En politique, dans la vie privée, en entreprise, la chance joue souvent un rôle aussi essentiel que méconnu. Un procès récent et des travaux d’économistes confirment son importance. Une inégalité difficile à combattre.
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Laurent Fabius a mené de main de maître la COP21, parvenant à un accord inespéré. Mais le ministre français des Affaires étrangère a aussi eu de la chance, lors de cette conférence sur le réchauffement climatique, d’avoir à la Maison Blanche un président américain nommé Barack Obama et non George ou Jeb Bush. Valérie Pécresse a remporté l’élection régionale en Ile-de-France après un vrai travail de fond, mais l’élue Les Républicains a aussi eu la chance d’avoir en face un candidat FN falot. François Hollande, lui, n’aurait sans doute jamais gagné l’élection présidentielle si Dominique Strauss-Kahn n’avait pas jeté son dévolu sur une femme de ménage new yorkaise un an plus tôt. En politique, la chance est essentielle.
Dans la vie aussi, elle joue un rôle majeur – et souvent sous-estimé. Pourtant, dire que « le hasard fait bien les choses », c’est admettre que le hasard contribue à fabriquer le réel. Ce hasard est partout. La vie est plus facile pour qui naît au Luxembourg plutôt qu’au Burundi, dans une famille aimante plutôt que déchirée, ou… en janvier plutôt qu’en décembre. L’économiste Julien Grenet, aujourd’hui enseignant à Paris School of Economics (PSE) et directeur adjoint de l’Institut des politiques publiques, a calculé que les salariés nés en début d’année gagnaient en moyenne 1,5 à 3% de plus que ceux nés en fin d’année . Une différence qui ne viendrait pas du zodiaque, mais de la moindre maturité à l’école primaire de ceux nés plus tard.
Il n’y a pourtant pas de déterminisme absolu dans les itinéraires personnels. C’est l’exemple classique des anti-avortements :« Une femme enceinte vient vous demander conseil. Elle est dépressive. Son mari est alcoolique et violent. Le couple vit dans la misère. La moitié de leurs enfants sont morts en bas âge. Vous pensez à une interruption de grossesse ? Bravo, vous venez de tuer Beethoven… » Symétriquement, même le gros lot à l’Euromillion, considéré comme la chance absolue, n’est pas forcément gage de bonheur. Les économistes Bénédicte Apouey et Andrew Clark, professeurs à PSE, ont examiné la santé de 11.000 gagnants au loto britannique. Ils ne vont ni mieux ni plus mal que le reste de la population – leur bien-être psychologique est plus grand, mais ils boivent et fument davantage.
En entreprise, le hasard a aussi toute sa place. L’auteur de ces lignes estime avoir une grande chance : il a été éjecté de son poste quelques mois avant que « Les Echos » n’embauchent pour renforcer ses pages Idées. Christophe de Margerie, le PDG de Total jusqu’à l’an dernier, aimait raconter qu’il avait choisi le pétrolier à la sortie de l’ESCP, une grande école de commerce, parce que c’était la plus proche de chez lui parmi les trois qui lui avaient fait une offre. Son sens de la diplomatie s’y est épanoui, l’amenant au sommet de l’entreprise, jusqu’à ce que la chance le quitte sur une piste d’aéroport moscovite. Les décès soudains, les changements de réglementations ou de gouvernement, les découvertes inopinées peuvent d’ailleurs faire la fortune ou la perte d’une firme.
A la tête de l’entreprise, les dirigeants ont souvent une attitude ambivalente face au sort. Quand ça va bien, c’est la preuve de l’efficacité de leur action, qui mérite un salaire et des bonus à la hauteur de la réussite. Quand ça va mal, c’est la faute à la conjoncture ou au destin. Mais ils peuvent changer d’avis. C’est ce qui est arrivé l’an dernier à Harold Hamm. Elevé dans les champs de coton de l’Oklahoma où travaillait son père, ce petit dernier d’une famille de treize enfants s’est lancé dans le gaz et le pétrole en 1967. Devenu l’un des pionniers du pétrole de schiste, sa fortune s’élevait en 2014 à 18 milliards de dollars. Hamm avait eu l’étrange idée d’épouser en secondes noces une avocate prénommée Sue. A leur divorce, elle a demandé au tribunal la moitié de sa fortune. Hamm a alors soutenu que son patrimoine venait… de sa chance et non de son travail. La loi en vigueur en Oklahoma distingue en effet l’appréciation « passive » du patrimoine (venant par exemple de la hausse générale des cours de Bourse ou du prix des terrains) de l’appréciation « active », qui s’explique par les décisions prises et les efforts individuels : en cas de divorce, le capital « actif » se partage et non le capital « passif ». Les avocats d’Harold ont évalué à moins de 10% la contribution de leur client à la réussite de son entreprise, le reste de sa fortune étant censé venir d’un sort favorable. Le tribunal les a suivis. Sue a touché moins d’un milliard de dollars (que les âmes sensibles se rassurent : elle a de quoi survivre après avoir encaissé un chèque de 974.790.317,17 dollars). Quant à Harold, la chute du pétrole a depuis amputé sa fortune de moitié.
Plusieurs économistes ont témoigné au procès Hamm vs. Hamm, car ils ont travaillé sur cette question de la chance. En 2001, les économistes Marianne Bertrand et Sendhil Mullainathan avaient par exemple montré que la hausse des cours du pétrole faisait grimper la valeur des firmes pétrolières et la rémunération de leurs PDG (+0,35% quand la capitalisation boursière gagne 1%) alors qu’ils n’y sont pour rien. Dans un autre article paru la même année, trois chercheurs de Harvard évaluaient l’influence d’un PDG sur la performance d’une entreprise entre 2 et 22% du total de cette performance. Le professeur Markus Fitza, professeur à l’université Texas A&M, estime dans un article publié en 2014 que les deux tiers de cette portion congrue seraient en réalité imputables à des événements hors de leur portée. La prestigieuse « Harvard Business Review » a demandé à Lars Sorensen, le patron du groupe danois Novo Nordisk, pourquoi il arrivait en 2015 en tête de son palmarès mondial des patrons les plus performants. Sa réponse est la même que celle des chercheurs : « La chance ».
Retrouvez les références des études citées dans cet article sur lesechos.fr
Jean-Marc Vittori
http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/021557448072-que-la-chance-soit-avec-vous-1184503.php

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