"Nous payons les dénis successifs de réalité"

Le responsable éditorial du Mémorial de la Shoah décrit le phénomène de déliquescence de la nation qui a entraîné des jeunes Français à rejoindre les combattants de l’État islamique et à préparer l’attaque barbare du 13 novembre.

Le responsable éditorial du Mémorial de la Shoah décrit le phénomène de déliquescence de la nation  qui a entraîné des jeunes Français à rejoindre les combattants de l’État islamique  et à préparer l’attaque barbare du 13 novembre.
Le responsable éditorial du Mémorial de la Shoah décrit le phénomène de déliquescence de la nation
qui a entraîné des jeunes Français à rejoindre les combattants de l’État islamique
et à préparer l’attaque barbare du 13 novembre.

Le FIGARO.- Plusieurs terroristes de la tuerie du Bataclan étaient d’anciens délinquants de banlieue. Y voyez-vous une nouvelle preuve de l’existence de «territoires perdus de la République»?
Georges BENSOUSSAN.– Il semble que la majorité des terroristes venait de ce que l’on appelle aujourd’hui les «territoires perdus de la République», un livre de 2002 et une expression passée dans le langage courant, mais où nos détracteurs ont vu des relents de guerre coloniale. Une interprétation violente qui dit d’abord l’imaginaire de boutefeux obsédés par la guerre d’Algérie qu’ils pensent inachevable.
Comment en est-on arrivé là ?
C’est banalement la conjugaison de plusieurs facteurs qui est à l’origine du désastre. Pourquoi et comment se sont formés des ghettos sociaux et ethniques ? Comment le chômage de masse a joué son rôle, couplé à des formes sournoises de discrimination. Pour autant, l’explication est très insuffisante, entre autres, parce que l’immigration renvoie à bien d’autres populations où elle ne génère pas cette ultraviolence.
Comment le pays d’accueil pouvait-il intégrer quand une partie de ses élites intellectuelles et médiatiques croyait elle-même si peu à la transmission de son patrimoine culturel ? Quand une partie de la classe politique qui était informée de l’ampleur des problèmes d’intégration s’est tue. En laissant entendre qu’en investissant massivement dans ces banlieues, on viendrait à bout d’un problème réduit à sa seule dimension sociale.
«La méconnaissance de l’anthropologie du monde arabo-musulman aggrave les problèmes d’intégration, tout autant que le déni du culturel ou la frilosité de la réflexion dès qu’il s’agit de l’islam, deuxième religion du pays.»
La mauvaise conscience coloniale et la rupture intellectuelle post-1968 (sa postérité gauchiste surtout) ont contribué à mal poser la question de l’intégration culturelle. Là où il fallait insister sur l’appartenance commune à la nation, on a mis en avant la diversité (surtout pour les autres d’ailleurs). Comme on a abaissé le niveau des exigences nationales (qu’est-ce qu’être français ?) et culturelles, comme on a sous-estimé la pression de la communauté sur les individus qu’il fallait aider à s’émanciper du groupe d’origine. À cet égard, l’une des rares embellies fut la loi sur le voile en 2004 qui a libéré un grand nombre de musulmanes autant que de musulmans de France.
Le second volet de la question est la nécessaire réforme de l’islam eu égard à l’univers démocratique qui l’accueille en Occident, à ces sociétés sécularisées marquées par ce que, à la suite de Max Weber, Marcel Gauchet nommait le désenchantement du monde.
Pour beaucoup, les racines du mal sont sociales. Partagez-vous ce point de vue ?
Une partie des causes sont sociales. Pour autant, alors que l’immigration vient aussi d’Asie, d’Afrique et même d’Europe, pourquoi est-ce surtout de l’immigration arabo-musulmane qu’est venue cette hyperviolence? Pour rappel, c’est de cette même immigration qu’étaient issus la plupart des fanatiques islamistes, de Khaled Kelkal en 1995, à Nemmouche au Musée juif de Bruxelles en 2014, en passant par Merah en 2012 et les frères Kouachi en 2015? La méconnaissance de l’anthropologie du monde arabo-musulman aggrave les problèmes d’intégration, tout autant que le déni du culturel ou la frilosité de la réflexion dès qu’il s’agit de l’islam, deuxième religion du pays.
Ce sont des Français qui ont tiré contre d’autres Français…
«Ce ne sont pas là des ‘gestes fous’, ce sont des gestes qui relèvent d’un autre univers mental et culturel.»
Une partie de la population française ne se reconnaît plus dans les valeurs démocratiques et républicaines de la France. Et encore moins dans son histoire. Cette part-là de la population semble faire sécession en assurant qu’elle «n’est pas Charlie». Du coup, la radicalisation islamiste de certains, et l’approbation apportée par les mêmes aux attentats de janvier 2015 évoquent les germes d’une guerre civile. Si bien que la guerre menée à l’extérieur contre l’État islamique se double dans la société française d’une guerre bien peu classique, et plus angoissante encore, quand le front, désormais, est aussi intérieur.
L’oubli des matrices culturelles, comme l’idée que l’humanité tout entière partagerait les mêmes valeurs, relève d’une pieuse illusion. Ne pas comprendre, par exemple, la mystique du sacrifice (shahid) dans l’islam, c’est se refuser d’entendre pourquoi des hommes jeunes cherchent à assassiner un maximum d’hommes et de femmes tout aussi jeunes qu’eux (parlant la même langue, et nés sur le même sol), avant de se faire exploser. Ce ne sont pas là des «gestes fous», ce sont des gestes qui relèvent d’un autre univers mental et culturel.
La question des responsabilités mettra un jour en lumière les dénis successifs de réalité. Si l’émotion qui accompagne ce carnage n’ouvre pas du côté des élites politiques, intellectuelles et médiatiques sur une parole vraie et un peu plus courageuse qu’à l’ordinaire, et qui mette en accusation l’islam radical qui détourne une partie de la jeunesse française pour en faire un «ennemi de l’intérieur», alors il faudra se souvenir de ce mot de Bossuet dans un sermon de 1662: «Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets des maux dont ils chérissent les causes.»
«Comment en sommes-nous arrivés là?» demandiez-vous. C’est aux tenants du déni de réalité qu’il faudra demain poser la question, aux responsables du paternalisme néocolonial qui a réduit les Français d’origine étrangère à leurs racines, et les a infantilisés par une culture de l’excuse qui, in fine, leur signifiait qu’ils n’étaient pas des égaux. Alors, passée l’«étrange défaite», commencera peut-être le temps de l’analyse.
http://www.cjfai.com/eventmaster/2015/11/26/georges-bensoussan-nous-payons-les-denis-successifs-de-realite/?fb_action_ids=10207131081529788&fb_action_types=news.publishes&fb_source=other_multiline&action_object_map=%5B1023359857685706%5D&action_type_map=%5B%22news.publishes%22%5D&action_ref_map=%5B%5D

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