Pour que les juifs libanais reposent en paix…

Honorer les sépultures de la communauté juive de Saïda et laisser les morts reposer dans le respect, tel est l’objectif de l’opération commanditée par un expatrié libanais juif, Isaac Diwan. Les travaux, qui ont été supervisés par Nagi Gergi Zeidan, chercheur et historien, rédigeant actuellement un ouvrage sur les juifs du Liban, n’ont pas rencontré d’opposition de la part des autorités locales. « Nous n’avons eu aucun problème, mais nous avons également été très discrets. Cela a été notre façon de travailler », souligne-t-il.
Situé à la périphérie de la ville côtière, le cimetière abrite 313 tombes dispersées sur 20 000 mètres carrés. Zeidan relève que les lieux ont subi des dégâts et ont été profanés au cours des décennies, principalement en juin 1967 lors de la guerre des Six-Jours ; puis en 1978, quand des familles palestiniennes fuyant le camp de Rachidiyé ont squatté les lieux. « En 1982, lors de l’invasion du Liban, l’armée israélienne a érigé une clôture, construit un portail et asphalté les allées. L’espace est resté fonctionnel jusqu’en février 1985. » Depuis, il a vieilli, abandonné « au milieu d’une végétation galopante, d’un amas d’ordures, d’une couche de saleté ressemblant à un tapis de mousse d’une épaisseur de 15 centimètres ». Sur plusieurs tombes, d’importantes dégradations ont été constatées : pierres cassées ou criblées de balles, ornements arrachés, pourtours en marbre dérobés et certaines épitaphes gravées étaient devenues quasiment illisibles. « J’ai dû éplucher les registres locaux de naissance et de décès pour dresser la liste exhaustive des membres de la communauté enterrée ici », dit Nagi Gergi Zeidan.

Sous la houlette de Nagi Zeidan, opération nettoyage du cimetière juif de Saïda.
Sous la houlette de Nagi Zeidan, opération nettoyage du cimetière juif de Saïda.

Selon lui, la présence des juifs au Liban-Sud remonterait très loin dans le temps. S’appuyant sur des récits historiques, M. Zeidan affirme que l’antique cimetière était localisé à Aïn el-Héloué et qu’il daterait d’avant 47 de l’ère chrétienne. L’actuel cimetière serait de l’année 922 après J.-C. Il était situé en bordure de mer. Un terrain acheté le 31 août 1868 par Simha Farhi, fille de Youssef Farhi, et offert au Wakf juif, lui fut rattaché. À Saïda, où des propriétés sont encore au nom des Nigri, des Hadid et des Balanciano, la communauté comptait près de 1 100 personnes en 1956 ; depuis 1985, il ne reste plus personne. La synagogue, construite en 1850, est aujourd’hui squattée et dans un état de délabrement avancé.
Pour la petite histoire, Zeidan raconte qu’en mars 1965, un soldat israélien d’origine libanaise, Robert Zaki Hallak, avait traversé la frontière pour assister au mariage de son frère Joseph, à Beyrouth. Il fut tué par l’armée libanaise et enterré à Saïda. En 1982, l’armée de l’État hébreu a transféré sa dépouille en Israël.

Cimetière de Beyrouth

L’opération de nettoyage s’étendra bientôt au cimetière de Ras el-Nabeh, à Beyrouth, où 3 707 tombes ont été recensées. Construites en pierre, en marbre ou encore en béton, elles ont été endommagées par les roquettes durant la guerre libanaise de 1975-1990, « mais elles n’ont jamais été profanées », affirme Nagi Gergi Zeidan. Il indique que les inscriptions gravées sur la pierre tombale sont souvent trilingues, en hébreu, français et arabe. Quant aux dates de naissance et de décès, elles sont parfois rapportées selon le calendrier hébraïque. La reproduction de l’étoile de David est présente sur la majorité des tombes. La plus ancienne est datée de 1829 : elle est celle du rabbin Moïse Yedid.

L’exode

Cela fait déjà quinze ans que Nagi Zeidan mène un travail de recherche sur l’histoire de la communauté juive libanaise. Pour ce faire, « j’ai décortiqué les archives de l’Institut des études palestiniennes à Beyrouth, celles de la bibliothèque nationale de France et j’ai puisé dans les sources historiques ». Cet intérêt pour le sujet a surpris plus d’un. « Et pourquoi donc ?
Les juifs sont des citoyens libanais au même titre que vous et moi, relève-t-il. Ils avaient décidé de faire du Liban leur pays et avaient contribué à sa vie socio-économique. Cette communauté fait partie d’une page de notre mémoire qu’on ne peut pas biffer ni ignorer. C’est pour cette raison que j’écris son histoire. Je suis déjà à la 435e page de mon livre et mes articles ont été publiés sur le site farhi.org. ».
À L’Orient-Le Jour, il livre en vrac quelques chiffres et récits.
Se basant sur l’encyclopédie juive publiée à New York en 1905, il révèle qu’en 1799, il n’y avait que cinq juifs installés à Beyrouth. Tous étaient de la famille Levy. En 1832, selon une répartition transmise par le consul de France, Ghys, leur nombre a atteint les 200. En 1936, il a augmenté à 5 000. Puis le chiffre a chuté de 7 000 en 1967 à 1 800 en 1974 puis à 35 en 2006, selon M. Zeidan. « Ils ont quitté progressivement vers Israël, le Brésil, l’Europe ou les États-Unis, mais l’exode s’est accéléré en 1967 après la défaite arabe, puis en 1982 suite à l’invasion israélienne. »

Les synagogues du Liban

Misgab Ladakh est le nom de la première synagogue de Beyrouth. Construite vers 1807, elle fut rasée en 1930. Elle était située entre l’église catholique Saint-Élie et la mosquée Assaf, dans un quartier appelé « Haret al-yahoud », où résidaient 105 familles inscrites dans les registres de Marfa’a, en 1932. À la même époque, 901 familles apparaissaient dans les registres de Minet al-Hosn, c’est-à-dire à Wadi Abou Jmil, devenu le nouveau quartier de la communauté israélite, dès 1869. « À mon avis, le premier à s’y installer était un monsieur De Picciotto venu d’Alep, qui a construit une magnifique maison », indique M. Zeidan. Il fait observer qu’il y avait des juifs libanais à Tyr, à Hasbaya, Deir el-Qamar, Tripoli et Baalbeck. Bhamdoun et Aley étaient leurs lieux de villégiature. Contrairement à certaines informations, livrées en 1905 par l’encyclopédie juive, l’historien dit avoir fait ses recherches sans trouver aucune trace de la communauté à Beiteddine, Moukhtara, Baakline ou Aïn Zhalta. Par contre, « j’ai réussi à savoir qu’il y en avait à Barouk. Ils ont quitté le village durant la guerre de 1860 entre les chrétiens et les druzes : une partie s’est installée à Beyrouth et l’autre à Aley. Les noms de ces familles seront publiés dans mon livre ».
Les synagogues tiennent une place particulière dans son ouvrage. La construction de la synagogue de Aley, par exemple, a été financée en 1892 par Ezra Anzarut, né à Alep et mort à Alexandrie en 1936. Celle de Bhamdoun fut édifiée en 1945 par cinq hommes d’affaires dont Jacob Eliaho Safra. À Beyrouth, la Maguen Abraham, à Wadi Abou Jmil, ne fut construite qu’en 1926 sous le mandat français. Elle a été restaurée il y a quelques années, mais elle est toujours fermée. L’historien signale qu’il y avait même une à Tripoli : elle a été transformée en tannerie. La plus ancienne reste cependant celle de Deir el-Qamar : elle date du XVIIe siècle.
L’historien fournit également des informations relatives aux centaines de familles qui composaient la communauté, dont les Penso, les Abadi, les banquiers Safra, les De Picciotto consuls d’Autriche, d’Italie, des États-Unis aussi bien à Alep qu’à Beyrouth, les Mizrahi, qui avaient fondé en 1929 la revue Le Commerce du Levant, cédée à la Société de Presse Libanaise quand la famille a quitté Beyrouth en 1961… L’ouvrage sera un kaléidoscope de récits et de documents historiques, promet Nagi Gergi Zeidan.
http://www.lorientlejour.com/article/944267/pour-que-les-juifs-libanais-reposent-en-paix.html

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