Reuven Rivlin : "la paix ne peut être imposée"

Le président israélien Reuven Rivlin a été reçu en audience privée au Vatican par le pape François le 3 Septembre.
C’est la première visite officielle en Italie de Reuven Rivlin, ancien président de la Knesset, élu Président de l’Etat d’Israël le 10 Juin 2014, deux jours après la Rencontre interreligieuse de prière pour la paix au Moyen-Orient que le pape avait organisée dans les jardins du Vatican, en présence du Président Peres et du président palestinien Abbas, à la suite de son voyage en Israël et en Cisjordanie.
Entretien accordé à Barbara Uglietti pour L’Avvenire.it le 2 Septembre 2015.

Credit Wikimedia
Credit Wikimedia

Cette Rencontre interreligieuse pour la paix au Vatican le 8 Juin 2014 fut un moment de partage et de fraternité. A cette occasion, François a souligné que ” faire la paix exige du courage, beaucoup plus que pour faire la guerre.” Un peu plus d’un an après cet événement, quels sont selon vous les fruits de ce qui a été semé ?
Pendant plus d’un siècle, nous avons essayé un «interrupteur magique”, un accord miraculeux qui mettrait fin à la tragédie des Juifs et des Arabes en Terre Sainte. Nous savons aujourd’hui qu’une solution réelle, une paix durable dans la région, est le bout d’une route longue et sinueuse. Les premiers pas sur cette route sont le dialogue, le respect et la compréhension mutuelle. L’initiative du pape était un geste symbolique important, qui a résonné avec force. Je crois dans le dialogue entre les différents peuples, de religions différentes. Un dialogue qui servira de pont entre les communautés : les Israéliens, les Arabes, les Juifs, les musulmans, les chrétiens. Et je crois dans les initiatives visant à promouvoir ce dialogue. Elles doivent impliquer les dirigeants politiques et la société en général. 
Vous êtes en poste depuis un peu plus d’un an, et représentez Israël dans un moment très délicat pour le pays. Comment abordez-vous cette phase sur un plan politique et personnel ?
Ma famille est arrivée en Israël en 1809. Elle était disciple du grand maître Gaon de Vilna. Elle a suivi son enseignement : « Il ne suffit pas seulement de prier trois fois par jour pour revenir à Jérusalem. Il faut vraiment revenir à Jérusalem ». Les musulmans et les chrétiens de Jérusalem ont accueilli avec bienveillance les nouveaux voisins juifs. Je me souviens quand j’étais enfant, j’entendais l’épicier musulman parler en yiddish à ses clients juifs qui, à leur tour, répondaient en arabe.
Ça, c’est Jérusalem. Ça, c’est Israël : un microcosme du monde entier qui démontre notre capacité en tant qu’êtres humains de marcher ensemble, de vivre en paix, égaux devant la loi, et créés à l’image de D.ieu.
J’ai grandi à Jérusalem entre musulmans et chrétiens : nous n’avons jamais été des étrangers les uns pour les autres, et à la maison j’entendais mon père – un érudit qui a traduit le Coran en hébreu – parler arabe avec ses amis et voisins.
De cette expérience, je tire la force de croire que nous pouvons trouver un moyen de sortir du conflit. Mais, peut-être, plus importante encore est la volonté que j’observe dans les diverses communautés d’Israël de vivre ensemble dans la paix. Chaque semaine je rencontre des juifs, des chrétiens, des musulmans, des religieux, des laïcs, jeunes et vieux qui veulent trouver ensemble un chemin commun pour le bien de tous et pour le bien de nos enfants. De cette façon, nous pouvons surmonter les obstacles et relever les défis qui nous attendent. 
Récemment, il y a eu en Israël de nombreux incidents dus à l’extrémisme religieux. Quand le bébé palestinien Ali Dawabshes a été tué, vous avez exprimé un message de condoléances sincères, disant ressentir la douleur « parce que des membres de mon peuple ont choisi la voie du terrorisme et ont perdu leur visage humain ». Vous avez aussi parlé d’un «grand fossé» qui divise le pays. Comment Israël a-t-il réagi sur cette question très sensible?
Il ya deux réponses à ce problème. Premièrement, nous devons être unis et fermes dans la lutte contre l’intégrisme sous toutes ses formes présentes et contre ses responsables, juifs ou musulmans. La Knesset et le monde politique ont décidé d’accroître les pouvoirs des forces en charge de traiter cette menace sécuritaire. J’ai pleinement confiance en eux pour qu’ils agissent avec dévouement, et de manière appropriée. Ensuite, il est tout aussi nécessaire d’exercer un leadership moral : des écoles, des universités, des médias, des synagogues, et des groupes et des communautés de jeunes, se sont élevés pour porter avec force la voix des israéliens contre ces crimes atroces.
Le processus de paix est dans une impasse. Et la communauté internationale semble concentrée sur d’autres «urgences», en particulier celles causées par le djihad qui progresse en Syrie et en Irak. Dans ce contexte, quelles perspectives de négociations voyez-vous entre Israéliens et Palestiniens?
Il ya toujours de l’espoir. Mais nous savons que la seule façon de parvenir à une solution durable ce sont les négociations directes. Un accord ne peut être forcé ou imposé. La seule façon d’y parvenir est de bâtir la confiance par le dialogue. À cet égard, je crains que l’Autorité palestinienne et ses dirigeants ne puissent aboutir à un accord qui sera accepté par leur peuple : après des années d’appel à la destruction d’Israël, ils auront du mal à faire aussi passer auprès de lui  la solution la plus favorable qui est celle à deux états. Solution que dans le passé, Israël a été en mesure d’offrir, mais qui a été rejetée ou ignorée. C’est pourquoi Abou Mazen (président de l’Autorité palestinienne –ndr) appelle à l’intervention des organisations et des institutions internationales pour voter des résolutions contre Israël. La communauté internationale a le devoir de rappeler clairement la nécessité de relancer et de rénover la négociation. C’est le seul moyen de trouver une solution. 
En Europe, on constate une montée des sentiments antisémites. Il y a de plus en plus d’initiatives en faveur du boycott d’Israël. Comment réagit l’Etat juif face à ces provocations?
Beaucoup de ceux qui soutiennent le boycott d’Israël pensent de bonne foi apporter une contribution. J’en suis sûr. La vérité est qu’ils ont tort. Boycotter ne fait que creuser le fossé entre les gens, et donner plus de force aux extrémistes. Cela n’aide pas le peuple palestinien et cela n’aide pas non plus le peuple israélien. D’autres boycotts sont guidés par un préjugé antisémite: ils représentent une nouvelle façon de montrer sa haine envers les Juifs. C’est un mal qui redresse la tête sur le sol européen et dans le monde. C’est un problème que de nombreux gouvernements – comme celui de l’Italie – combattent par l’éducation et la loi. Comme on le dit, on juge une société à la façon dont elle traite les Juifs. Et vous noterez si vous le voulez que la persécution des Juifs n’est toujours que le début de la persécution des autres sociétés et des autres cultures. Il est très inquiétant de constater que l’antisémitisme est en hausse à travers l’Europe – y compris et surtout dans les pays où il y a très peu de juifs ou dans ceux où il reste peu de juifs en vie. Je dis à l’Europe : nous sommes là, en tant que partenaires prêts à vous aider pour lutter de quelque façon que ce soit contre cette haine ancienne et destructrice.
Israël a maintes fois exprimé de vives critiques au sujet de l’accord sur le programme nucléaire de l’Iran signé en Juillet dernier à Vienne. Quels sont les dangers majeurs que vous entrevoyez dans cet accord? Quelles sont pour Israël, les options possibles pour contenir les pressions iraniennes ?
Enfin :  ces derniers mois, il y a eu un profond différend entre Israël et les États-Unis sur ce sujet. Comment Israël va-t-il évoluer sur cette question?
Nous voulons que ceci soit très clair : l’Iran continue de menacer Israël avec ou sans armes nucléaires. Il utilise le Hezbollah et le Hamas comme “armées par procuration”, avec des dizaines de milliers de missiles pointés sur Israël et prêts à être lancés. L’Iran continue à exporter son idéologie au vitriol, et soutient les actes de terrorisme, non seulement au Moyen-Orient, mais partout dans le monde. Nous craignons que cet accord ne soit une première étape vers la légitimité de cette politique et de la stratégie iranienne. Par rapport à cela nous avons exprimé notre nette réprobation. Quant aux États-Unis, le Congrès votera ou pas en faveur de l’accord, mais quoiqu’il en soit, le lien entre Israël et les Etats-Unis restera fort, fondé sur des valeurs communes de liberté et de démocratie. Les bons amis, parfois, sont en désaccord, mais nous allons continuer à travailler ensemble pour le bien commun.
Comment estimez-vous les relations actuelles entre Israël et l’Italie? Quel rôle peut jouer l’Italie pour la pacification du Moyen-Orient?
C’est une relation d’amitié très étroite. Nous sommes les héritiers de deux des plus grandes cultures du monde antique. Et aujourd’hui, nous sommes dans une dynamique de partenariat renforcé dans les domaines de la science, de la technologie et de la sécurité. Cette coopération tient non seulement entre nos gouvernements, mais entre nos peuples. L’Italie joue un rôle important dans le rapprochement des deux côtés dans cette région, et pour montrer de la fermeté dans la lutte contre le fondamentalisme. J’ai hâte de parler au président italien de cette question si importante, et de discuter avec lui des moyens d’approfondir notre amitié.
Propos recueillis par Barbara Uglietti pour L’Avvenire.it ©
http://www.avvenire.it/Mondo/Pagine/intervista-a-rivlin-presidente-israele.aspx
Adapté pour Tribune Juive par Jean Taranto
 

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*