Pour Tsahal, la prochaine guerre a déjà commencé, par Maxime Perez

Avant même d’avoir tiré les enseignements de la dernière opération à Gaza, l’armée israélienne a bataillé ferme pour obtenir un nouveau « budget de guerre ». Elle sait sa force de dissuasion érodée et doit rapidement bâtir une nouvelle doctrine.

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15,6 milliards de dollars : c’est donc l’enveloppe attribuée à Tsahal pour l’exercice 2015. Un budget qui intègre une hausse de 1,6 milliards de dollars pour les dépenses militaires à venir, mais faussé par les quelques 2 milliards de dollars injectés pour couvrir les frais de l’opération « Bordure protectrice ». En fin de compte, les moyens attribués à la défense restent assez similaires à ceux des années précédentes. Un moindre mal alors que l’armée israélienne devait être soumise à une cure d’austérité jusqu’en 2016.
Evidemment, personne n’avait prédit que le conflit face au Hamas durerait 50 jours, ni que Tsahal se montrerait aussi dépensier. Mais face aux atermoiements de l’échelon politique et au choix de Benyamin Netanyahou – trop prudent ? – d’opter pour une guerre d’usure, pouvait-il en être autrement ? D’importants stocks de munitions ont été utilisés pendant les frappes aériennes et l’offensive terrestre, la mobilisation de 80.000 réservistes a nécessité une logistique hors-norme, tandis que les missiles intercepteurs du système Dôme de fer, dont 9 batteries furent déployées, ont largement contribué à créer un trou financier.
La querelle du budget résolue, l’armée israélienne peut donc aborder sereinement un nouveau cycle de préparation… à la prochaine guerre. Dans un Moyen-Orient toujours aussi effervescent, les défis sécuritaires ne manquent pas aux frontières d’Israël. A première vue, la formation d’une coalition anti-djihadiste autour des Etats-Unis est de nature à rassurer l’Etat hébreu. A condition que les frappes visant les bastions de l’Etat islamique, et plus discrètement, ceux du Front al Nosra, ne renforcent pas trop l’axe chiite « Iran-Assad-Hezbollah ». « Vaincre le groupe Etat islamique et laisser l’Iran obtenir la bombe atomique serait comme gagner une bataille et perdre la guerre », a lancé Benyamin Netanyahou, lundi, à la tribune des Nations Unies.

OBJECTIF : HEZBOLLAH ?

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Voir le régime des Mollahs se doter d’ogives nucléaires reste la hantise des responsables israéliens. Mais pour Tsahal, une menace se mesure d’abord en capacités militaires concrètes. Celles de l’Iran se résument pour l’instant à ces missiles balistiques « Shihab », potentiellement non-conventionnels, dont quelques 400 exemplaires seraient dirigés de façon permanente vers le territoire israélien. A priori, les batteries du système Arrow-2 et celles du Arrow-3, bientôt opérationnel, devraient permettre une interception des engins balistiques iraniens au dessus de la Jordanie, 7 minutes après leur envol.
Sans minimiser cette menace balistique, il en existe une nettement plus redoutable pour l’Etat hébreu : le Hezbollah. L’organisation chiite libanaise a beau être embourbée dans le conflit syrien, elle dispose d’un arsenal de 100.000 roquettes et missiles, le plus impressionnant du monde arabe. Tout en subissant de lourdes pertes, le « Hezb » s’est aguerri en combattant aux côtés de l’armée d’Assad. Il n’est plus uniquement une force de guérilla, mais peut mener des contre-offensives en coordonnant ses mouvements avec des tanks ou des avions de combat, comme ce fut le cas dans toutes les villes reconquises par le régime syrien : Qalamoun, Qousseir et Yabroud.
Les capacités du Hezbollah posent aujourd’hui question, à tel point que le commandement nord de Tsahal n’exclut pas que la milice chiite soit, à terme, tentée de mettre à exécution un plan d’invasion d’une partie de la Galilée – via des tunnels ? – qui fut dévoilé en 2011, avant le déclenchement des troubles en Syrie. Parmi les scénarios noirs envisagés par l’armée israélienne, l’avancée des combattants du Hezbollah serait couverte par le pilonnage de roquettes « Vulcano ». Ces projectiles artisanaux syriens, d’une portée maximale de 3 km, peuvent transporter jusqu’à 500 kg d’explosifs. A Homs, ex-bastion de la rébellion syrienne, des quartiers entiers ont été rayés de la carte sous le feu des « Vulcano ».

UNE NOUVELLE STRATÉGIE NÉCESSAIRE

La perspective de voir les kibboutz israéliens frontaliers du Liban soumis au même traitement de faveur fait froid dans le dos. Crédible ou pas, agiter le chiffon rouge aura permis à l’establishment sécuritaire israélien d’obtenir une hausse conséquente du budget de la défense pour l’année 2015. Le plus dur reste pourtant à accomplir : attribuer aux forces de Tsahal une nouvelle doctrine de combat.
La guerre à Gaza a d’abord relancé en Israël le débat sur une armée de métier, professionnelle, justifié d’une part par la répétition d’incidents impliquant des « tirs amis » (Friendly fire) qui ont coûté à une dizaine de soldats israéliens, mais également par la lenteur du commandement militaire. Avec ses 170.000 hommes, Tsahal est aujourd’hui une armée lourde, pléthorique, et si la mobilisation des réservistes s’effectue rapidement, leur entrée sur le champ de bataille nécessite plusieurs jours de remise à niveau et de préparation logistique, exception faite des forces spéciales.
A l’image du chef d’état-major Beny Gantz, de plus en plus de généraux israéliens plaident pour la mise en place d’une armée plus compacte, avec des unités d’infanterie polyvalentes, facilement déplaçables d’un front à un autre, et dotés d’équipements de contre-guérilla – mini-drones, simulateurs de combat, robots.
Une telle mutation, qui donne aux tanks israéliens un rôle presque secondaire, permettrait de raviver la doctrine Ashkénazi. Lorsqu’il a pris les commandes de l’armée israélienne en 2006, au lendemain de la seconde guerre du Liban, Gaby Ashkénazi avait une doctrine claire basée sur trois points fondamentaux : la conquête rapide de territoires ennemis, un engagement total dans la bataille qui, à son issue, détermine de manière irrévocable un vainqueur et un vaincu ; enfin, l’utilisation d’une puissance de feu à même de rétablir durablement la force de dissuasion israélienne. Aucun de ces paramètres n’a été totalement appliqué lors du dernier conflit à Gaza.
Aujourd’hui, la force de dissuasion israélienne est amoindrie. En cas d’échec des négociations au Caire, les factions palestiniennes pourraient reprendre leurs attaques sur le sud d’Israël et au-delà. De bout en bout lors des cinquante jours de guerre cet été, elles ont pu constater que les tirs de roquettes contre Jérusalem et Tel Aviv ne constituaient plus une ligne rouge mais une norme, au même titre que Sdérot ou Ashkélon.
Au-delà des coups infligés au Hamas et des destructions à Gaza, cette incapacité de l’armée à faire la décision a eu un impact extrêmement négatif. Pour éviter que cette situation ne se répète avec le Hezbollah, dont la puissance de feu est dix fois supérieure à celle du Hamas et du Jihad islamique, l’armée israélienne doit savoir reprendre l’initiative quand la situation l’exige.
Depuis huit ans, Tsahal entraine ses hommes à la conquête du Sud-Liban, fief de l’organisation chiite où tous les villages ont été transformés en base-arrière logistique, centres de tirs, et postes de commandement. Sauf que sans attaque préventive, Israël pourra difficilement éviter une guerre de missiles contre ses localités – dont certains experts estiment la durée à quatre mois. Un désastre en perspective pour l’économie israélienne et le tourisme. D’autre part, les quelques 5.000 missiles de longue portée du Hezbollah se trouvent aujourd’hui au cœur de Beyrouth. Comment donc les neutraliser si Tsahal n’envisage d’occuper que le Sud-Liban?
A Gaza comme au Liban, la solution ne peut être exclusivement militaire et la « hasbara » (communication) israélienne est inefficace si elle n’intervient qu’en réaction à une escalade. Si le Hezbollah a déplacé ses armes de destruction massive à Beyrouth, ne faudrait-il pas d’ores-et-déjà alerté la communauté internationale et les Etats-Unis, lesquels fournissent allégrement armes et munition à l’armée libanaise pour qu’elle repousse les djihadistes à ses frontières ? L’anticipation est aussi une clé pour ne pas échouer dans la prochaine guerre.
Maxime Perez
M PEREZ
 

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