Gagner la guerre … Gagner la paix ? par Jose Ainouz

Depuis le début des opérations militaires à Gaza, l’agitation spéculative de certains observateurs me rappelle souvent la phrase de Pascal : « Quand tous vont vers le débordement, nul n’y semble y aller. Celui qui s’arrête, fait remarquer l’emportement des autres comme un point fixe ». (1)
Nous sommes face l’effondrement abrupt et total du raisonnement logique, de l’intelligence sceptique et du jugement moral ordinaire. (2)
Il est parfois utile, dans ces temps difficiles, de marquer un temps d’arrêt et de s’interroger sur le concept de guerre, ses fins, ses moyens. (3)
Depuis plusieurs jours, Raymond Aron et Clausewitz conduisent ma réflexion. Ces deux auteurs apportent un éclairage philosophique qui évite la confusion des moyens et des fins de la guerre.
je voudrais rappeler ici quelques idées essentielles de la conceptualisation clausewitzienne qui permettent de réfléchir en toute lucidité au concept de guerre et à la réalité de la guerre.
La guerre n’est pas une fin en soi, elle est un des moments du politique, « elle est la continuation de la politique par d’autres moyens ». Elle peut monter aux extrêmes si les acteurs oublient les raisons politiques qui ont conduit à l’affrontement. La fin politique commande toute la conduite de la guerre . Cette idée essentielle, Clausewitz l’a construite en s’appuyant sur une méthode et sur une observation de la réalité politique européenne de la fin du 18ème et du début du 19ème siècle.

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Clausewitz

Clausewitz (1780 -1831) a pratiqué toute sa vie la méthode suggérée en 1805 (Critique des définitions de von Bülow) qui prend pour point de départ les extrêmes, les oppositions parfaites. « Nous devons faire remarquer une fois de plus, précise-t-il, que pour donner aux notions (concepts) de la clarté, de la précision, de la force, nous n’avons pour objet de notre considération que des oppositions parfaites, donc des extrêmes de chaque sorte, en revanche, le cas concret de la guerre se situe le plus souvent au milieu et n’est commandé par cet extrême que dans la mesure où il s’en rapproche ». (4)
Parce que la guerre est une activité sociale, Clausewitz se réfère à l’intention ou à la fin des acteurs. Il recourt ainsi d’une manière permanente au couple moyen- fin, couple qui lui permet de penser l’action et, en particulier, l’action guerrière.
Dans une note écrite le 10 juillet 1827, Clausewitz précisait : « je considère deux types de guerre : l’une a pour fin d’abattre l’adversaire, soit pour l’anéantir politiquement, soit pour le désarmer seulement en l’obligeant à accepter la paix à tout prix ; dans l’autre, il suffit de quelques conquêtes aux frontières du pays, soit qu’on veuille les conserver, soit qu’on veuille s’en servir comme monnaie d’échange au moment de la paix. Il faudra naturellement respecter les genres intermédiaires, mais la nature entièrement différente devra apparaître partout et marquer la séparation entre les éléments inconciliables”… “En plus de cette différence de fait, il faudra souligner expressément et exactement l’opinion tout aussi nécessaire en pratique d’après laquelle la guerre n’est rien d’autre que la

poursuite de la politique d’état

par d’autres moyens”.

Cette citation, outre qu’elle est explicite, présente un double intérêt :
– elle réaffirme la primauté de la politique mise en évidence en 1827 : la fin politique (ou modalité de retour à la paix) commande toute la conduite de la guerre.
– la distinction des deux espèces de guerre opérée au livre VI, chapitre 30, est confirmée en référence à la fin politique. C’est la modalité de retour à la paix qui commande la distinction des deux espèces de guerre. Paix négociée lorsque les deux antagonistes comptent les points, paix dictée lorsque l’un des deux anéantit l’autre politiquement ou militairement.

“La guerre est un acte de violence

destiné à contraindre l’adversaire

à exécuter notre volonté”

En introduisant la violence physique dans sa définition “car il n’y a pas de violence morale en dehors du concept de l’État et de loi”, Clausewitz postule au point de départ une opposition radicale entre la guerre et la paix, et que la fin de la guerre est la paix.
À ce point, Clausewitz précise sa définition : “la guerre est un acte de violence, et il n’y a pas de limite à la manifestation de cette violence, chacun des adversaires fait la loi de l’autre, d’où résulte une action réciproque qui, en tant que concept, doit aller aux extrêmes”.
Pourquoi la guerre selon cette considération abstraite conduit-elle nécessairement aux extrêmes ? La raison est l’action réciproque des forces et des volontés aux prises. Puisque chacun des deux lutteurs cherche à imposer sa loi à l’autre, puisqu’aucun des deux ne peut faire moins que l’autre, ils seront amenés logiquement à faire l’un et l’autre le maximum. Cette action réciproque prend trois formes : intention hostile, aspect physique de la lutte, aspect moral de la lutte.

Le degré de violence ne dépend pas

en dernière analyse du degré de civilisation,

mais de l’importance des intérêts en jeu.

L’intention politique est la fin de la guerre et jamais le moyen ne peut être pensé sans la fin. L’instrument, le moyen exerce à coup sûr une influence en retour sur l’intention politique, mais il ne s’agit là que d’une modification de celle-ci. Toute guerre contient, dans des proportions variables, violence originelle, jeu de probabilité, entendement politique.
Revenons au Moyen Orient à la lumière de ces enseignements et au dernier affrontement entre le Hamas et Israël.
!La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens… encore ne faut-il pas inverser la formule comme le fait le Hamas.
Pour ce dernier, la politique est la continuation de la guerre. L’idée est d’abord de détruire Israël, cette bataille n’est qu’un moment de ce combat. La fin justifie les moyens . Mettre des enfants comme boucliers humains, c’est un acte barbare qui montre la nature profonde de ce parti.
Inverser la formule de Clausewitz est le fait des partis idéologiques ou totalitaires. C’est une menace pour la vie des hommes qui souhaitent vivre en paix et se donner les moyens par la négociation d’y arriver.
!Il est toujours important de définir les objectifs de guerre des belligérants.
simplement …
Israël :
Protéger sa population
Diminuer l’importance du Hamas aux yeux des Gazaouis
Montrer au monde la nature barbare du Hamas (boucliers humains, etc …) !
Israël a gagné le premier terme de ces objectifs et les deux autres ne seront lisibles qu’après les négociations.
le Hamas :
Instrumentaliser la stratégie d’Israël en montrant les dommages des bombardements sur les populations civiles
Montrer que les roquettes pouvaient atteindre tout le territoire israélien… Des roquettes avec une charge chimique pourraient avoir un effet désastreux pour la survie d’Israël.
Pour le Hamas , cette bataille n’est qu’un des moments de reconquête d’Israël . !
Il est clair que le deuxième objectif est atteint, le premier est de plus en plus remis en question par l’instrumentalisation des médias.
La nature politique du Hamas induit sa stratégie.
L’éditorial de “The Economist” sur la guerre de Gaza reconnaît que le Hamas est antisémite et barbare, et qu’Israël est à la fois une véritable démocratie et un succès économique. Il admet que les critiques d’Israël appliquent des standards différents à Israël et aux autres démocraties en guerre, que la campagne des médias ne s’en prend pas seulement à l’occupation, mais aussi à l’existence même d’Israël comme qu’État-nation juif et que les manifestations anti-guerre en France ont dégénéré en actes de vandalisme antisémite.
L’inversion par le Hamas de la proposition de Clausewitz : « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens » nous renseigne sur la nature de ce parti et de la stratégie qu’il compte mener dans les années à venir … Faire la paix entre des acteurs qui ne mettent pas le même sens dans les mots est très difficile et suppose que l’on envisage en permanence les deux sens donnés aux termes des négociations.
Prudence aux négociateurs !
José AINOUZ
Documentariste, Réalisateur
1. P Pascal, Pensées ,livre de poche n°823 et 824
2. Bret Stephens, chroniqueur du Wall Street Journal
3. Jai écrit une thèse sur la conceptualisation et la guerre d’Algérie en 1981 à l’EHESS département R. Aron
4. R. Aron : “Paix et guerre entre les nations” et penser la guerre clausewitz ».

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