De Bethléem au Vatican, prières pour la paix. par Jean-Paul Fhima

Shimon Peres et Mahmoud Abbas

se sont rencontrés au Vatican le dimanche 8 juin.

Cette « invocation pour la paix » fait suite au récent voyage de François en terre sainte du 24 au 26 mai dernier.  
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On se souvient que c’est à Bethléem que le pape a fait cette invitation « pour prier ensemble ». La presse internationale quasi unanime avait à cette occasion salué « une main tendue pour dépasser les vieilles querelles ».
C’est dans un esprit de concorde œcuménique que cette rencontre exceptionnelle vient d’avoir lieu ce dimanche. « La prière peut tout » a soutenu le pape dont le séjour au Proche-Orient était une tentative de ‘’remédiation symbolique’’. En comprendre la portée aujourd’hui nous conduit à revenir sur ces quelques jours passés en terre sainte.
François aurait marché « sans encombre » dans un champ miné, fait preuve de beaucoup de tact et de propos équilibrés.
Certes, le Souverain pontife a pris soin, au cours de ce voyage, d’appeler à « la reconnaissance de la part de tous du droit de deux Etats à exister et jouir de la paix et de la sécurité dans des frontières internationalement reconnues ». Il a parlé de « situation inacceptable » pour les Palestiniens mais aussi rappelé « la tragédie incommensurable » de la Shoah et « l’abîme » qu’elle a représenté.
Pèlerin au visage grave parfois fermé ou las, à la démarche mesurée parfois lente et difficile, le chef de l’Eglise catholique a aussi montré enthousiasme et bonne mine, soucieux d’apparaître comme un intercesseur entre deux peuples dont il a reconnu des droits identiques et légitimes. A une réalité crue faite de conflits et d’incompréhension réciproque, il a tâché d’apporter une sorte d’onction réparatrice.
Dans son discours place de la mangeoire à Bethléem, il évoquait à plusieurs reprises « l’Etat de Palestine », et admettait que les Palestiniens sont « prisonniers », ajoutant que « votre sort terrible occupe nos esprits et nous fait mal ». Il a aussi rendu hommage à la tombe de Théodor Herzl, fondateur du sionisme, ce qu’aucun pape n’avait fait avant lui.
« Les Palestiniens subissent l’occupation, les Juifs d’Israël subissent une violence aveugle » a-t-il dit. Beaucoup de médias ont souligné son « habileté », son sens pastoral de la fraternité, sa subtile façon de donner à l’Eglise une « victoire ».

Manifestement, le pape ne voulait froisser personne

et contenter tout le monde.

Mission … pas forcément réussie.

 A la basilique de la Nativité, le Saint Père comparait le sort des Palestiniens à celui des premiers Chrétiens et voyait dans le Christ « un prince de la paix ».  Mais pas un mot n’était prononcé sur le sort tragique des Chrétiens d’Orient persécutés actuellement en terre arabe. Oubli fâcheux ou omission diplomatique ?
L’image de François se recueillant devant la barrière de sécurité israélienne, à côté d’une petite fille tenant un drapeau palestinien et au pied d’un tag « Free Palestine » associant le sort de la Cisjordanie à celui du ghetto de Varsovie, a évidemment transformé le pèlerinage religieux en visite hautement politique.
L’agence Wafa a titré « Le pape du Vatican s’arrête au mur raciste à Bethléem » (25 mai 2014). Pour Mohammed Dahlane, ancien homme fort à Gaza, « le pape a vu (…) la catastrophe de tout un peuple [qui marche] dans les pas du Messie sur la route du Golgotha ». Un timbre à l’effigie du souverain pontife devant la barrière de sécurité sera bientôt édité par l’autorité palestinienne ravie de trouver un si prestigieux défenseur de sa cause.
Cette visite qualifiée de « partisane » a été péniblement réparée par un passage improvisé au mémorial des victimes israéliennes du terrorisme. « Mesure compensatoire de rattrapage » (JForum, 26 mai 2014).
Une impression de cafouillage et d’approximation a parfois dominé dans ce voyage diversement apprécié. Certains, en Israël, ont même vu « un pape plus faible et manipulable que prévu » (Le Monde Juif.info, 25 mai 2014).
L’arrêt au mur de sécurité se voulait un symbole. Ce qu’il fut bien, au-delà du message religieux.
Le pape « est un substitut d’une réalité supérieure, toutes ses déclarations et ses actions sont consciemment entreprises dans le cadre de son rôle symbolique » (Times of Israël, 29 mai 2014).
Bien plus que les discours, ce sont les images qui ont retenu l’attention. Celles du chef du Vatican se recueillant indifféremment devant un mur comme devant un autre, quelle qu’en soit la nature, ont sans doute brouillé le sens réel donné à ce voyage ‘’hors normes’’. Tous les symboles se valent-ils ?

Il y a les mots qui causent

et les gestes qui ne trompent pas.

Au mémorial des victimes du terrorisme palestinien
Au mémorial des victimes du terrorisme palestinien

 
Devant la barrière de sécurité à Bethléem
Devant la barrière de sécurité à Bethléem

 
Au mur des Lamentations
Au mur des Lamentations

Après le charisme personnel de Jean-Paul II et l’amplitude intellectuelle de Benoît XVI, nous voilà donc en présence du message symbolique de François.

Pour ce pape déroutant, l’attachement aux symboles semble essentiel pour comprendre le monde, réparer les injustices et créer le dialogue.

A ses yeux, tous les murs se ressemblent. Au-delà des apparences qui en font une cloison qui ferme et oppose, c’est un lien invisible entre les hommes, un symbole multivalent (car il a plusieurs fonctions) mais aussi multiple (car il suggère l’antinomie) : il sépare et en même temps, il réunit.
C’est donc de bonne grâce que François s’est laissé prendre en terre sainte à ‘’ce jeu des murs’’ totalement conforme à son message.

Mieux que quiconque,

le souverain pontife maitrise l’art du symbole.

Le mot grec symbolon veut dire joindre, reconnaître. Etymologiquement, il rassemble les deux parties d’un tout coupé en deux.

Dans le langage symbolique, l’image et le sens ne font qu’un. Mais si l’image est une, le sens peut varier selon la valeur et le contenu que lui donne le groupe qui le regarde. Eminemment social et historique, culturel et religieux, il est à la fois objet de consensus et sujet à interprétation.
Peu importe nous dit le pape, le symbole dépasse la dualité et les malentendus. Il est au-dessus des frontières et des empêchements. Si le mur est cloison qui oppose et emprisonne, le pape prend un hélicoptère et survole ce mur dont l’usage premier est caduc.
La clôture de sécurité est une muraille qui signifie oppression et absence de liberté ? François la transforme en barrière franchissable et fragile, provisoire et sans importance. Le mur de séparation est rejet et exclusion, l’expression du pouvoir et de la contrainte ? Il en fait un lieu de prière et de paix, l’expression d’un dépassement toujours possible.
Le mur-cloison qui divise est aussi le mur-passerelle qui rassemble. Quoi de plus évident quand les images des murs se juxtaposent. Le mur-symbole devient l’expression double d’un peuple et de son identité. D’un côté les Palestiniens, de l’autre, les Juifs. Les deux côtés d’un seul et même symbole.

         Le mur des Lamentations, symbole de paix.

L’emplacement du Kotel, mur occidental du Second Temple construit sous Hérode (1er siècle après JC), est le symbole par excellence du judaïsme. Il est passage entre le profane et le sacré, l’attente et l’espoir. Le petit papier glissé dans la fente du mur est Ô combien l’expression de cette correspondance : l’espoir de paix écrit par le pape assorti d’une prière pour exaucer ses vœux concrétise symboliquement le rêve de réconciliation entre Juifs et Arabes.
Le mur sacré des Juifs a été intégré au VII siècle à la construction du mur d’enceinte du Dôme du Rocher et de la mosquée al-Aqsa. Par une sorte analogie interreligieuse, le mur-lien dépasse les conflits. Son message est universel.
Ici nullement de cloison ou de barrière. Le mur est une porte ouverte entre spirituel et temporel avec une partie visible, 57 mètres de paroi accessible, et deux parties invisibles, l’une faite de tunnels souterrains sur 200 mètres, l’autre servant de soubassement aux maisons. Le mur est vestige et fondation à la fois, autrement dit début et continuité, passé et futur.  Il efface les différences dans l’espace comme dans le temps.
Le Mur occidental est aussi un haut lieu de pèlerinage laïque. Symbole national israélien, on y commémore les soldats morts pour la patrie et les victimes du terrorisme. Loin d’être une fin en soi, c’est un passage entre le présent et le passé, la mémoire et l’histoire.
Le problème n’est pas dans ce que le pape a voulu dire à travers ce beau message symbolique, mais plutôt comment ce message a été compris. Et là, malheureusement, l’idéal se brise au contact de l’intelligible.
Dans l’esprit de beaucoup, le mur n’oppose pas des ennemis qui se reconnaissent et peuvent un jour pactiser. L’existence du mur légitime la violence, elle ne l’empêche pas. Détruire le mur c’est détruire celui qui est derrière, c’est éradiquer sa présence et prendre sa place.
Le mur devient le symbole d’une guerre de survie pour chacun des deux camps que tout oppose car tous les murs ne se ressemblent pas.
Les Israéliens repoussent le danger du terrorisme mais n’effacent pas la présence de l’autre, ils n’en nient pas l’existence au contraire, ils la prennent en considération parce qu’ils s’en protègent.
Pour les supporters du Hamas, le refus acharné d’admettre l’existence d’un Etat juif en Palestine est aussi une forme de mur invisible mais bien réel, dressé depuis 66 ans. La présence juive est la cause de la « nakba » commémorée chaque année en mai par la nation palestinienne. Faut-il rappeler que la destruction d’Israël est inscrite dans la charte du Hamas ?

 Le mur, symbole de paix, est aussi symbole de guerre.

A qui la faute ? Fameux paradoxe de l’œuf et de la poule.

Qui le premier a accouché du mur ?

Frédéric Niel, journaliste au Pélerin, a la réponse. Les journalistes ont toujours une réponse.

Son livre « Contre les murs » (Paris, 2011) dit que la barrière de sécurité israélienne « modifie la représentation de l’autre ». Elle illustre, dit-il encore, une tendance à « l’encastellement » digne de l’obsession sécuritaire du Moyen-Age. S’appuyant sur une enquête effectuée auprès des Palestiniens, Frédéric Niel affirme que la disparition des contacts due à la présence du mur-frontière renforce l’impression de menace et d’oppression (…) exacerbe le ressentiment et la radicalité des jeunes qui ne croient simplement plus en une possibilité de vivre avec leur voisin israélien ». Non monsieur Niel.

Ce n’est pas le mur qui crée la guerre,

c’est la guerre qui crée le mur !

Camp de réfugiés de Shu'fat (photo de J. Koudelka).
Camp de réfugiés de Shu’fat (photo de J. Koudelka).

Dans son livre de photos « Wall » (Paris, novembre 2013), Joseph Koudelka a montré les dommages créés par la construction du mur dans le paysage de Cisjordanie. Ce « livre réquisitoire » (Nouvel observateur, 21 décembre 2013), évoque une sorte d’ ‘’écolo-terrorisme’’ qui détruit la relation entre l’homme et son milieu. Pour lui, « seuls les Israéliens peuvent trouver une solution au conflit » sinon, dit-il, « ce sera une tragédie ». Non, monsieur Koudelka.

Le mur ne provoque pas des « dommages irréparables »,

il les évite !

Bien sûr, qu’il soit de béton, d’acier ou de barbelé (ou les trois à la fois) le mur reste dans nos sociétés contemporaines une « solution bancale » et une triste illustration « du repli et de la peur contre les différences et l’étranger » (Nouvel observateur, 10 novembre 2009). Mais dans un monde instable et dangereux où la sécurité devient primordiale, ce pis-aller, en soi détestable, est un recours extrême mais inévitable, dont la pertinence en cas de survie ne se pose même pas. Et il y a beaucoup de murs dans le monde.
On se demande même si la solution israélienne, pourtant continument décriée, n’est pas en train de devenir une référence en matière de protection civile.
Un mur de 1200 km sépare les Etats-Unis et le Mexique. Un no man’s land militarisé de 248 km entre les deux Corées existe depuis 1953. Une barrière sino-coréenne de 1416 km empêche depuis 2006 la population de Corée du Nord de fuir la dernière dictature stalinienne de la planète. L‘Arabie saoudite a fait construire par EADS une frontière de sécurité qui fera à terme 9000 km (projet Miksa). Le groupe européen s’est bruyamment félicité de « ce contrat mirifique de sécurisation des frontières » (Les Echos, 2 juillet 2009).
Lutte antiterroriste et dispute de territoires sont des raisons invoquées dans de nombreux cas comme ceux du mur de sécurité entre Gaza et l’Egypte (14 km, 2008), entre l’Inde et le Cachemire (550 km, 2004), entre l’Inde et la Birmanie (1624 km, en cours de construction).
Les murs anti-migratoires sont de loin les plus nombreux : entre l’Espagne et le Maroc, à Mellila et à Ceuta, murailles métalliques de 6 mètres de haut (11 et 8 km, 1998 et 2001), entre l’Inde et le Bangladesh (en construction, 3268 km prévus), entre l’Afrique du Sud et le Mozambique (120 km, 1975), entre l’Arabie saoudite et le Yémen (75 km, 2004), entre les Emirats arabes unis et le territoire d’Oman (en construction, 410 km prévus), entre le Turkménistan et l’Ouzbékistan (1700 km, 2001).
carteIl existe aussi des murs anti-trafic de drogue, comme ceux entre l’Iran et le Pakistan (700 km, en construction) ou entre le Kazakhstan et l’Ouzbékistan (45 km, 2006).
Certains existent en plein cœur de l’Europe comme le mur de la Via Anelli à Padoue, ou le mur d’Evros entre la Grèce et la Turquie.

On aimerait tous croire au message symbolique du pape.

Mais qui peut l’entendre aujourd’hui ?

Dans la société matérialiste et utilitariste qui est la nôtre, l’usage risqué du symbole ne fait pas le poids face aux visées politiques et au savoir-faire propagandiste. Le symbole illustre la richesse spirituelle d’une société. Sorti de son contexte, il n’est plus qu’un instrument de pouvoir qui n’a ni limite ni état d’âme. Ainsi réduit au rôle d’archétype fourre-tout, simplissime et dogmatique, le symbole du mur oppose arbitrairement le bien au mal (Jacques Attali, Slate.fr, 6 novembre 2009). Et bien sûr chacun est convaincu d’être du bon côté.
Au Proche-Orient, une bataille sans concession s’est engagée depuis longtemps, ancrée dans les cœurs et les rancœurs, bien plus difficile à abattre que n’importe quelle paroi de béton et de barbelés qui peut à tout moment se déconstruire. La haine, elle, c’est une autre histoire.
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Bien sûr, une prière pour la paix est une tentative précieuse, rare et historique de rapprochement. Une chance qu’il ne faut pas laisser passer.
Shimon Peres et Mahmoud Abbas se sont aimablement serrés les deux mains après une longue accolade. Puissent tous les murs du monde tomber d’un coup dans leurs bras.
Jean-Paul Fhima 
JPF-Signa
 
 
 

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