France qui rit, France qui pleure, par Shmuel Trigano

La sortie simultanée de deux films dans lesquels l’identité juive est en jeu nous donne à voir un phénomène social plein de signification. Je fais référence au film sur l’assassinat de Ilan Halimi, “24 jours” et à la comédie “Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu?”, deux films au destin différent, car “24 jours” quitte le circuit des grandes salles du fait d’un public limité – semble-t-il majoritairement juif (mais tout de même avec beaucoup d’absents) alors que l’autre film dépasse les 5 millions de spectateurs au point de constituer déjà un phénomène révélateur de l’état de l’opinion publique.
rit pleure
L’un décortique la mécanique terrifiante de l’assassinat d’un Juif pour la seule raison qu’il est juif. l’autre chante, sur le mode du rire et du comique, les vertus de l’assimilation, de la France métissée et du mariage mixte, avec dans le paysage, bien sûr, le personnage juif de circonstance. Et la France rit beaucoup. Le Parisien (4 mai 2014) lui consacre même sa une (“Famille, racisme, religion. Attention, fous rires”) et son article de tête avec un titre sur deux pages “Bon Dieu que cette comédie fait du bien”.
Ces deux films font système et s’éclairent l’un, l’autre en nous faisant pénétrer dans les profondeurs de la conscience collective. Deux commentaires publiés par le journal l’expriment bien. Le sociologue Gérard Neyrand : “l’engouement positif pour ce film est une réaction positive, rassurante, au discours politique dramatique de ces derniers temps… Et le fait que les gens courrent voir ce film est un pied de nez au racisme. Une façon de dire: “non, on est un peuple qui reste ouvert”. La société française est plus tolérante qu’autrefois. Cela permet de dédramatiser un certain nombre de discours…” Ce film, dit-il, “permet aux Français de se détendre, de manifetser que eux ils ne sont pas comme çà, dans la xénophobie, pas dans des tensions très vives comme on a pu en voir avec l’affaire Dieudonné ou le mariage pour tous. Çà dédramatise une vision parfois un peu négative de l’étranger”. Remarquons à propos de ce dernier terme que, dans la signalétique du film et ce qu’écrit ce sociologue, le personnage juif est compté parmi les figures de l’étranger, parmi lesquels on trouve un Noir, un Asiatique et un Musulman. Le référent “français” est censé être catholique.
En somme, si tout baigne ànce point en France, autant passer en pertes et profits de la “convivance” et du “vivre ensemble” l’antisémitisme actuel et le meurtre d’Ilan Halimi. Autant l’ignorer, ne pas se confronter à l’indice inquiétant de l’état de la société qu’il représente, autant revigorer la bonne conscience. Après tout l’antisémitisme n’est que le produit de “tensions intercommunautaires”.
Cette formule, forgée dès 2001, a eu pour effet d’occulter les faits antisémites, de les désactiver et d’en faire partager la responsabilité aux Juifs. C’est tout à fait ce qu’implique les paroles de Najat Vallaud Belkacem à propos de ce film dans le même journal “ce qui est génial dans ce film c’est qu’il ne met personne en accusation. Il montre que les préjugés, la peur de l’autre, voire une forme de racisme… est la chose la mieux partagée du monde”.
Ce n’est pas demain que la France combattra l’antisémitisme.
*A partir d’une tribune sur Radio J, le 9 mai 2014.

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