Bientôt une Europe hongroise ? par Jean-Paul Fhima

L’extrême-droite émerge  dans un odieux

mais possible rôle d’alternance politique

drapeau
Les élections européennes, le 25 mai prochain, nous réservent une surprise probable, annoncée et inquiétante : la percée de l’extrême-droite.
Le déficit de crédibilité et de confiance à propos de l’Union européenne soulève des mécontentements qui profitent aux eurosceptiques les plus radicaux. En Hongrie, les forces nationalistes et autoritaires qui émergent, aussi bien dans le gouvernement que dans l’opposition, défient les valeurs démocratiques et tolérantes de l’Europe. Elles défient aussi les Juifs.
Car l’antisémitisme discret du parti Fidesz de Viktor Orbán, au pouvoir depuis 2010, comme l’antisémitisme assumé et violent du parti radical Jobbik de Gábor Vona, mettent chacun devant ses responsabilités.
Les thèses de l’extrême droite ne sont plus marginales en Europe. Elles séduisent de plus en plus les électeurs et ne font plus peur aux élus.
Le cas hongrois est, à ce titre, révélateur des enjeux à venir.
La Hongrie doit élire 21 députés au Parlement européen. Selon les derniers sondages (Ipsos-Tárki-Medián, des 9-29 janvier 2014), le Fidesz-KDNP (Union civique hongroise-Parti populaire démocrate-chrétien) devrait obtenir 10 sièges (estimation des voix à 48 %), le Jobbik (Mouvement pour une meilleure Hongrie, estimation des voix à 12%) devrait en avoir 3.
Le Fidesz-KDNP dispose d’une large majorité, ce qui lui permet de poursuivre une « guerre d’indépendance » face aux diktats économiques de l’UE que le premier ministre, Viktor Orbán, compare à l’ancienne Union soviétique (Samuel Carcanague, chercheur à l’IRIS).
Une véritable propagande anti-européenne a été engagée, largement soutenue par la population et habilement organisée par le pouvoir en place dans de réguliers forums et meetings, des appels à signatures, un activisme militant et un rigoureux contrôle des médias. Le gouvernement hongrois s’est déclaré contre « les multinationales, les banques et à la bureaucratie de Bruxelles dont les offensives et les injustices seraient incompatibles avec l’intérêt national » (Viktor Orbán). Ainsi, menant une sorte de poujadisme magyar, le Fidesz a résolument choisi un protectionnisme dur en faveur des classes moyennes et des ménages (baisse des prix du gaz, de l’électricité, du chauffage domestique).
D’autre part, la nouvelle constitution appelée Loi fondamentale, insiste sur l’identité culturelle et chrétienne du pays, sur les valeurs familiales et le patriotisme économique.
Fier d’un déficit maitrisé, d’une inflation historiquement basse, d’un chômage en chute libre et d’un équilibre budgétaire que nombre de pays dont la France lui envient, le premier ministre s’est déclaré farouchement engagé à défendre « les intérêts nationaux qui ne peuvent être dictés ailleurs et par d’autres ». Orbán n’aime pas l’Europe, et il le fait savoir.
Son gouvernement a opéré « une prise de contrôle tentaculaire » (Le Monde, 7 avril 2014) en faisant voter depuis quatre ans 850 lois sans débat au Parlement (appelé Diète en Hongrie), en muselant les institutions comme la justice, et les libertés d’expression comme la presse et la culture, en réformant à son avantage les circonscriptions électorales. L’opposition de centre-gauche, accusée d’être inféodée à Bruxelles (Marianne, 27 juillet 2013) parait bien démunie. Appelant à un front uni des forces démocratiques, elle se contente de mettre en garde contre « des orientations irresponsables et préjudiciables » (AFP, 10 janvier 2013).
Cette option politique est revendiquée comme une nouvelle forme d’idéologie. Nous y voilà. Les déviances autoritaristes et les dérives nationalistes flirtent dangereusement avec les thèses de l’extrême droite. Viktor Orbán en personne avouait en décembre 2013 : « En Hongrie, si vous voulez que votre voix porte, vous devez marteler des messages simples » (‘’Populisme, l’Europe en danger’’ d’Antoine Vitkine, diffusé sur Arte le 8 avril). Une recette que connait bien l’extrême droite.
Le Jobbik, troisième force politique du pays, n’a pas peur de manipuler les clichés et les caricatures. Ce parti ouvertement néonazi et brutal, xénophobe et particulièrement antisémite, est considéré comme l’une des pires organisations extrémistes d’Europe.
Márton Gyöngyösi, un de ses leaders, a demandé le 26 novembre 2012 au sein même de la Diète, d’établir « de toute urgence » une liste des Juifs du pays qui seraient à ses yeux un « risque pour la sécurité nationale ». Le même homme soutenait déjà dans la revue française « Politique internationale » (n°131, printemps 2011) que « l’Etat d’Israël est en train d’acheter la Hongrie », ouvrant ainsi la porte à toutes les dérives. A la demande de son parti et face au tollé général, Gyöngyösi a tenté de minimiser ses paroles avant de présenter ses excuses pour éviter son limogeage.
Gusztáv Zoltai, directeur de la Fédération des consistoires juifs de Hongrie, a parlé d’« une peur viscérale » qui s’est installée dans la communauté. « Une idéologie ouvertement nazie » se répand dans le pays (Slomó Köves, grand rabbin du Consistoire juif uni de Hongrie). Il faut dire que l’organisation paramilitaire du parti, créée en 2007 par des dirigeants Jobbik, interdite en 2009 pour cause de violences et même de meurtres, réorganisée aujourd’hui sous le nom de ‘’Nouvelle Garde’’, rappelle avec effroi la sinistre milice des Croix fléchées. Ce parti nazi hongrois, fondé en 1935, a massacré massivement les Juifs de Budapest du 16 octobre 1944 à la fin mars 1945.

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La Nouvelle Garde hongroise, milice du Jobbik.

Le Jobbik soutient officiellement des thèses négationnistes. En février dernier, à Debrecen, deuxième ville du pays à 220 km à l’est de Budapest, l’Holocauste a été qualifié au cours d’un discours commémoratif de « mensonge », ce qui est un délit passible d’une peine de prison de trois ans (article 33 du Code civil hongrois, source Vagy.hu).  A Esztergom, situé au bord du Danube à la frontière slovaque, un meeting du parti a été organisé dans une ancienne synagogue (AFP).
Les actes de vandalisme antijuif se sont multipliés, comme la profanation d’un cimetière en juillet 2012 à Kaposvar, à 200 km au sud-ouest de la capitale ou encore en mars dernier dans la ville de Tatabanya, à 65 km à l’ouest de la capitale. A la peinture rouge sur les tombes, on a pu lire des insanités comme « sales juifs » ou encore « l’Holocauste n’a jamais eu lieu mais il se produira dans le futur » (Figaro, 17 mars 2014).
Le Jobbik, créé en 2003, a obtenu 20,5 % des voix aux dernières élections nationales (6 avril 2014) soit 3,5 points de plus qu’en 2010, date de sa toute première participation aux législatives. Ce vote protestataire atteint 30% parmi les électeurs de moins de 35 ans dans certaines régions de l’Est et dans les campagnes. Le dirigeant actuel du parti, Gábor Vona, a déclaré en janvier dernier qu’il était prêt à gouverner la Hongrie. Quitte à arrondir les angles pour paraître moins effrayant.
L’hebdo Heti Világgazdaság (dit HVG, d’inspiration libérale de gauche) révélait, en juillet 2012, que l’un des membres fondateurs du parti, eurodéputé depuis 2009, était juif, ce qu’il ignorait semble-t-il lui-même.  Sa grand-mère maternelle, Magdolna Klein, 93 ans, est même une rescapée d’Auschwitz. L’intéressé, d’abord invité à démissionner, est finalement resté élu d’extrême droite et s’est même ‘’converti’’ au judaïsme en 2013. « Vous voyez bien, nous ne sommes pas antisémites !» affirment maintenant les militants du Jobbik, ravis de l’aubaine de se refaire une santé politique avant les échéances européennes.
Pour Eric Freymond de Mediapart, le premier ministre Viktor Orbán s’emploierait activement à mater l’antisémitisme. Il encouragerait une réconciliation nationale à coup de « devoir de mémoire » et de moralisation du débat public. La Hongrie s’est même vue attribuer la présidence pour 2015 de l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah. Mais tentée de cueillir des voix sur le terrain glissant de son principal adversaire, la majorité Fidesz flirte dangereusement avec les thématiques extrémistes.
Csanád Szegedi , eurodéputé Jobbik, est juif … pratiquant !
Csanád Szegedi , eurodéputé Jobbik, est juif … pratiquant !

D’un côté, le Fidesz tente d’isoler l’extrême droite, de l’autre, sa politique conservatrice marche sur les plates-bandes du Jobbik et prête le flanc aux sujets favoris de ce dernier au lieu de les desservir.
Si le parti gouvernemental a condamné il y a peu les déclarations d’un dirigeant du Jobbik, Előd Novák qui a critiqué « l’industrie de la Shoah », les allusions contradictoires des élus Fidesz créent une certaine ambiguïté ou sèment franchement le trouble.
Les déclarations d’un député de la majorité, János Hargitai, associant le FMI à la finance juive et aux ennemis de l’indépendance du pays, ont été copieusement applaudies au Parlement par … les députés Jobbik (AFP Budapest).
L’Assemblée nationale hongroise est régulièrement le théâtre de remarques et d’insultes antisémites venant de tous bords, y compris des amis du gouvernement. Même les partis plus modérés ont tendance à utiliser « le lexique extrémiste », ce qui laisse entendre que la rhétorique antisémite est devenue courante dans le discours politique (JTA, 27 mars 2014). Une surenchère s’installe en ce moment même entre Fidesz et Jobbik. « Pour le gouvernement, il s’agit d’affaiblir le Jobbik en reprenant son programme » (Eva Balogh, historienne). Etrange et périlleuse manœuvre.
Dans ce contexte tendu, révisionniste et troublant, on assiste à une régénération des clichés antijuifs et des contre-vérités historiques douteuses, par exemple la réhabilitation officielle de l’allié hongrois d’Hitler, Miklós Horthy. Le maire de Budapest István Tarlós, membre Fidesz, a même envisagé un temps de donner à une rue de la capitale le nom d’un auteur antisémite. Plus grave, des tensions apparaissent entre la communauté juive et l’Etat.
A l’occasion des 70 ans de la Shoah hongroise, le choix controversé d’un monument commémoratif a donné lieu à une polémique entre la première organisation juive du pays, Mazsihisz, et le gouvernement (19 mars 2014, European Jewish Press). Ce dernier est suspecté de vouloir blanchir les autorités de l’époque, et de mettre sur le même plan responsables et victimes.  La manifestation a finalement été annulée et reportée sine die. Le chef de cabinet du premier ministre, János Lázár, a qualifié cet incident d’« ultimatum au gouvernement [qui] devrait avoir un impact sur la coexistence entre Juifs et Hongrois » (AFP). Menace à peine déguisée.
Difficile de distinguer entre l’euroscepticisme du Fidesz et l’europhobie du Jobbik. Les deux partis menacent l’Europe d’une politique de ‘’vengeance’’, accusent leurs opposants d’être des « corrompus, vendus à l’Occident (… qui) bradent l’intérêt national » (20 Minutes, 7 avril 2014).
Viktor Orbán, premier ministre hongrois.
Viktor Orbán, premier ministre hongrois.

La porosité entre les programmes et les tendances politiques se généralise en Europe. Au détriment des partis conservateurs. A l’avantage des partis radicaux.
Dans la prochaine Assemblée européenne, l’extrême droite pourrait atteindre 90 députés sur 764, soit trente députés de plus qu’actuellement (47 députés). Les pro-européens, sociaux-démocrates (PSE), Verts, libéraux, chrétiens-démocrates (PPE), seraient au moins 530, contre 610 actuellement. Les députés extrémistes viendront principalement de petits Etats disposant de peu de sièges.
« La dernière étude Eurobaromètre publiée en décembre 2013 a révélé la dégradation de l’image de l’UE, positive pour seulement 31% des personnes interrogées alors qu’ils étaient 48% au printemps 2008 » (Marion Decome, Fondation Robert Schuman, 24 avril 2014). La participation moyenne aux élections européennes n’était que de 42,5% en 2009 (59.37% en France) contre 62% en 1979.
Les partis radicaux profitent des mécontentements et des critiques contre l’ultralibéralisme et la globalisation. Dans un contexte de crise économique et sociale, ils risquent de peser lourd dans le fonctionnement et les décisions du futur Parlement.
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Le parlement européen de Strasbourg.

« L’extrême droite à l’assaut de Strasbourg » (Figaro, 27 avril 2014) s’apprêterait à former un groupe parlementaire susceptible de participer plus activement aux commissions de travail.  On peut estimer qu’elle n’aura aucun mal cette fois à rassembler le minimum requis de 25 députés issus d’au moins 7 pays.
Si c’est le cas, ce nouveau groupe exercera une influence conséquente dans les débats et les décisions parlementaires, bénéficiera de collaborateurs, d’un secrétariat et de budgets, deviendra un partenaire ‘’comme les autres’’ avec lequel il faudra composer ou tout au moins discuter.  Cette nouvelle visibilité va rendre celui-ci plus légitime, quoiqu’on en dise.

Les idées radicales se banalisent.

On ne cherche plus à les combattre, seulement à les contenir.

Une mauvaise nouvelle.

Le parlement de Strasbourg devrait néanmoins compter sur la diversité et les divisions de ces partis extrêmes pour en voir restreindre la portée nuisible. Le Jobbik hongrois serait par exemple jugé infréquentable par certains membres de sa propre famille politique. Le Front National de Marine Le Pen a précisé qu’il ne souhaitait pas d’alliance avec lui. Mais il n’est pas sûr que cet ostracisme perdure. Les ‘’Bleu Marine’’ français pourraient réviser leurs états d’âme et inclure malgré tout le Jobbik à leur futur groupe, une fois les élections effectuées.
L’extrême droite hongroise « en quête de respectabilité» (Le Point, 15 avril 2014), profite de la période électorale pour lisser son image (Le Monde, 4 avril 2014).  Si l’accent est mis sur la sécurité, l’ordre et la protection des terres hongroises, on ne parle plus de quitter l’Europe mais de modifier par référendum l’implication de la Hongrie dans l’Union européenne. Le Jobbik prépare ses alliances et a compris son intérêt.
Le style de ses affiches de campagne est bien différent des images noir et blanc aux allures martiales utilisées en 2009. Place aux jeunes cadres, en costume cravate ou tenue décontractée, souriant sur fond coloré. Il n’est pas rare d’y croiser les portraits de Gábor Vona lui-même, trentenaire très propre sur lui, diplômé d’histoire et de psychologie, ou celui de Krisztina Morvai, chef de file Jobbik aux européennes, belle enseignante réputée de droit pénal, avocate féministe, ancienne employée de l’ONU pour les droits des femmes en Palestine.
Au lieu du compromettant « La Hongrie aux Hongrois », toutes les affiches arborent des slogans beaucoup plus consensuels : « Vous ne pouvez pas arrêter l’avenir » ou « La jeunesse est populaire ».
Du néant immonde de ce parti, émerge une figure réconfortante et aimable.

Le nouveau visage du Jobbik .
Le nouveau visage du Jobbik .

Le cas hongrois, partie émergée de l’iceberg extrémiste, n’est pas isolé en Europe. Il trouverait plus largement ses origines dans un renouveau des vieilles idées nationalistes du XIXe siècle, estime le quotidien hongrois de gauche Népszabadság (19 avril 2011). Ce que confirme le quotidien de droite, Magyar Nemzet qui parle d’une « reconquête de l’histoire ». Népszava, de tendance social-démocrate, évoque quant à lui la fin de l’ère constitutionnelle et le spectre d’un régime autoritaire (12 mars 2013) bien au-delà des frontières hongroises. « La démocratie libérale est devenue, en Europe centrale, la grande victime de la nostalgie du dirigisme» (Hospodářské noviny, quotidien économique, Prague, 16 septembre 2013).
Dans ce tableau peu réjouissant, les questions identitaires refont surface. Les Musulmans et les Roms sont souvent visés. Mais les Juifs, symbole d’une société cosmopolite, restent une cible privilégiée
Si le récent rapport Kantor (Centre du Congrès Juif Européen) a révélé qu’il y a eu en Europe l’an dernier moins d’attaques antisémites qu’en 2012 (554 actes violents tout de même), il s’inquiète de voir dans certains pays une adhésion inquiétante aux thèses extrémistes, particulièrement en Hongrie, en Grèce mais aussi … en France (Tel-Avivre, 27 avril 2014).
A part les médias, personne ne réagit. « Déprimée par les difficultés de l’euro » Bruxelles est devenue insensible (Jacek Pawlicki, Gazeta Wyborcza, Varsovie, 22 décembre 2010). En attendant, l’extrême droite dédiabolisée s’adapte et s’organise. L’exemple hongrois doit faire réfléchir.
jobbik signe
Il y a des signes qui ne trompent pas.

Pour « survivre et progresser, le Jobbik est soucieux d’un politiquement correct de circonstance et amorce une normalisation accélérée » (Athena Institute, observatoire des mouvements extrémistes en Europe). Dans ce sens, élus et militants se redéploient dans tout le pays sur le modèle de Fidesz, avec des dirigeants régionaux et des antennes locales.
Ainsi, quand le Fidesz s’inspire des idées du Jobbik, le Jobbik emprunte les méthodes du Fidesz. En résumé, on a en Hongrie ce qui est en train de se passer ailleurs : un vrai parti conservateur qui est faussement extrémiste, et un vrai parti extrémiste qui est faussement conservateur.
Dans une Europe qui n’est pas idéale et ne fait plus rêver, l’extrême droite émerge, dans un odieux mais possible rôle d’alternative politique.
 
Jean-Paul Fhima
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