Kurt Hilkovec, héros méconnu par Jean-Paul Fhima

La décision du président russe Poutine de libérer, vendredi 20 décembre 2013, l’opposant politique Mikaël Khodorkovski après dix ans de détention, n’est pas étrangère à l’organisation des prochains jeux olympiques d’hiver à Sotchi.
Le sport parfois est une belle idée d’ouverture et de tolérance, capable de transformer en vingt-quatre heures un dictateur en démocrate.
Parce qu’il divertit et rassemble, dépasse les frontières et les cultures, véhicule un message humaniste d’espoir et de paix, le sport vante les mérites d’un soft power exemplaire et diablement efficace.
Régulièrement le cinéma s’empare de la figure mythique de sportifs plus ou moins connus. On pense à la sortie récente du film sur le boxeur juif tunisien ‘’Young Perez’’ ou à l’annonce d’un prochain biopic prévu pour 2014 sur l’athlète noir Jesse Owens, quadruple médaillé olympique aux jeux de Berlin en 1936.
Peut-être verra-t-on bientôt sur grand écran l’histoire d’un héros méconnu, le footballeur Kurt Hilkovec.

Voilà son histoire.

A la fin de l’année 1939, les juifs fuyaient l’Anschluss et la mise au pas de l’Europe par le pouvoir nazi. Les lois de Nuremberg et les exactions criminelles pendant la Nuit de Cristal ne laissaient aucun doute sur les humiliations à venir. Rejoindre Eretz Israël par le delta du Danube était une excellente idée mais les places étaient chères, la route semée d’embûches et longue. Il fallait se dépêcher pour survivre. Le mouvement des pionniers du He’Ha’lutz, mouvement sioniste de la Jeunesse, avait trouvé des bateaux d’excursion souvent en triste état, qui devaient descendre le cours du fleuve jusqu’en Roumanie, à l’embouchure de la Mer Noire.
Rejoindre la Palestine, alors sous mandat britannique, n’était pas facile pour des Juifs allemands, ressortissants d’un pays ennemi. Triste ironie du sort. Leur vie dépendait de précieux et rares certificats d’immigration.
A mi-chemin, à la frontière avec la Yougoslavie, le fleuve gelé était impraticable. Les réfugiés furent stoppés et mis en quarantaine sur leurs bateaux. Personne ne voulait d’eux mais personne non plus ne voulait les laisser passer. Comme les conditions de vie devenaient précaires et que la Roumanie tardait à autoriser le passage sur son territoire, ils purent enfin débarquer sur la terre ferme.
Sabac camp
Au printemps 1940, on les rassembla dans deux vastes entrepôts désaffectés à Šabac, à quelques kilomètres seulement en aval du village de Kladovo. La vie reprenait son cours. Les pionniers organisaient des activités culturelles et des classes pour les enfants, des kermesses et même des compétitions sportives entre les habitants du village et les réfugiés.

Club de foot FK Mačka de Sabač
Club de foot FK Mačka de Sabač

Kurt Hilkovec était un excellent joueur de foot né à Brème. Ce père de famille faisait partie des migrants installés à Šabac. C’était un petit homme incroyablement doué de ses jambes, un dribbleur du tonnerre disait-on, un sacré buteur aussi. On lui permit d’incorporer le club de foot local, le FC Mačva. Du jour au lendemain, ce club minable fit des exploits. L’équipe cumula les victoires grâce à ce petit homme qui était à chaque fin de match porté en triomphe par ses camarades serbes.
Avant de redevenir une bête traquée et un juif en sursis, Hilkovec devint une vedette éphémère du ballon rond qui signait des autographes à chaque coin de rue. Le destin semblait vouloir lui donner une nouvelle chance.
En mars 1941, toutes les autorisations furent enfin obtenues pour quitter Šabac. Mais il était trop tard. Quelques jours après, les Nazis occupaient la Serbie centrale et une partie de la région de Voïvodine. Fini les matches de foot et les kermesses de quartier, les amourettes et même les mariages mixtes. A l’emplacement d’une ancienne forteresse, on construisit un camp de transit, Durchgangsläger Šabac, appelé Dulag 183. Les Juifs du Danube y furent internés.
Un jour, les prisonniers hommes furent rassemblés et transférés à pied en Croatie avant d’être fusillés. Parmi eux, il y avait Hilkovec, le champion de foot. D’autres furent exécutés dans le village de Zasavica, à quelques kilomètres seulement de Šabac. Au mois de janvier 1942, les femmes et les enfants furent à leur tour déplacés près de Belgrade, dans un parc d’exposition, Sajmiste Zemun rebaptisé Anhalteläger Semin, de triste mémoire. Le Vel d’Hiv serbe.
camion à gaz
Soit les familles furent envoyées à Jasenovac, le camp d’extermination du pays, soit elles furent gazées sur place dans des camions bâchés.
En treize mois, d’avril 1941 à mai 1942, la plupart des 80 000 Juifs recensés en Yougoslavie ont été assassinés de cette façon.
C’est en Serbie que la Solution finale a commencé.
Un seul bateau des réfugiés de Šabac arriva à bon port à Tulcea, en Roumanie. Les familles rescapées embarquèrent sur une épave grecque, le Milos, avant d’arriver à Istanbul, puis Heraklion et Chypre, enfin à Haïfa en Palestine. On s’installa pendant la guerre dans le petit village de Kirjat Haim. Ces familles et leurs descendants vivent aujourd’hui en Israël.
Aucun membre de la famille d’Hilkovec n’a survécu.
400px-Kurthilkovic1_medium
Kurt Hilkovec

Ce héros méconnu a triomphé un temps de la tragédie, au plus fort du chaos et de la haine. Seul le souvenir de cet homme demeure et avec lui un bel exemple d’humanisme sportif.
La vie de Kurt Hilkovec devrait faire réfléchir l’UNESCO, éminente organisation onusienne qui siège en plein cœur de Paris et pilote différents programmes sportifs dans le monde entier.
Dans un billet d’humeur paru le 3 octobre dernier dans le Huffington Post, Samuel Pisar, ambassadeur honoraire de l’UNESCO, regrettait la perte d’un quart du budget de son institution à la suite d’une décision des Etats-Unis de suspendre leur contribution financière. Samuel Pisar est un rescapé des camps de la mort et un ancien conseiller de J.F.Kennedy à la Maison Blanche. Il demandait dans sa lettre ouverte au président Obama d’annuler ce retrait financier pour continuer les actions culturelles et sportives auprès des jeunes des pays en développement. Sans en contester la légitimité, monsieur Pisar savait que cette décision américaine faisait suite de la reconnaissance illégale par l’UNESCO en novembre 2011 d’un Etat arabe dit palestinien, en contradiction totale avec la charte de l’ONU réglementant strictement la définition d’un Etat-membre.
Quand on parle de sport, il n’est pas inutile de rappeler que, lorsque les règles du jeu ne sont pas respectées, on se voit naturellement adresser un carton rouge.
Il faut bien reconnaitre que l’ONU elle-même n’a pas toujours été exemplaire dans le fairplay et l’arbitrage impartial. On se souvient qu’en décembre 1991 l’Assemblée générale siégeant à New York créait un précédent unique dans l’histoire : annuler une résolution qu’elle avait elle-même votée seize ans plus tôt. Cette résolution 3379 du 10 novembre 1975 déclarait que « le sionisme est une forme de racisme ». Le regretté Leonard Garment, ex-conseiller du président Nixon et décédé cette année, avait solennellement déclaré qu’il s’agissait là d’une erreur, réduisant le racisme dans le monde à une épithète sans force ni morale. Kofi Annan, ancien secrétaire général à l’ONU, assimila cette décision à de l’antisémitisme international dont les conséquences pouvaient être très graves.
Ainsi, s’opposent parfois l’esprit et la lettre. Promouvoir des règles d’un côté qu’on ne respecte pas de l’autre. Curieuse façon de rassembler les peuples.
L’ONU a reconnu ses torts. L’UNESCO antisioniste pas encore. Et ça fait désordre.
Même quand il y a du monde dans le stade et que l’on parle dans un haut-parleur, ça ne veut pas dire qu’on a forcément raison.
Contribuer à l’isolement injuste d’Israël, fondé par les compagnons de route d’Hilkovec, diffuse un message bien différent de l’humanisme sportif.

La Shoah en Serbie, Croatie et Bosnie-Herzégovine

de 1941 à 1945.

Du 23 au 30 mars prochain, le Mémorial de la Shoah organisera un colloque sur la Shoah en Serbie, Croatie et Bosnie-Herzégovine entre 1941 et 1945. Il sera sûrement question du village de Kladovo et de Kurt Hilkovec.
En attendant, il n’est pas interdit de penser, dans la ferveur de la mémoire et dans le respect de nos morts, à ce bel exemple du sport qui un jour peut-être l’emportera sur la politique.
 
Jean-Paul Fhima
JPF-Signa
 
 
 
 

Le colloque est ouvert au public sur inscription.
Mémorial de la Shoah
17, rue Geoffroy-l’Asnier, 75004 Paris
Tél. : +(0)1 42 77 44 72
e-mail : contact@memorialdelashoah.org
site web : www.memorialdelashoah.org
 

 

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*