Interview exclusive «Tablet» de Marine Le Pen, traduit et adapté par Victor Kuperminc

Article publié en Aout 2014 sur TABLET.
Le Front national, le parti populiste et xénophobe, à l’avant garde de la lutte anti islamiste en France, fait son possible, ces jours-ci, pour attirer les Juifs Français. Au moment où j’écris ces lignes, une des figures les plus marquantes du Parti, Gilbert Collard, s’exprime comme le défenseur d’Israël contre les démonstrations pro palestiniennes. Le siège du Front , où j’ai interviewé le mois dernier sa présidente, Marine Le Pen, est situé dans une affreuse bâtisse de béton de deux étages à Nanterre, une banlieue triste, à l’ombre des gratte ciel de verre de La Défense, toute proche.

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Crédit flickr

Vous traversez la cour de graviers, vous arrivez à un poste de garde sous un immense drapeau français. En face de la porte de verre, en armure et brandissant un autre drapeau, une statue dorée, grandeur nature, de Jeanne d’Arc – la reproduction de l’illustration des manuels d’histoire des écoles primaires* Depuis le hall, où la sécurité procède à la fouille, vous admirez le gigantesque coq, aux chatoyantes couleurs, érigé au milieu de la pelouse ; c’est bien sur, le symbole de la France.
Mon premier souvenir de la résidence Le Pen, qui est maintenant le siège d’un des plus grands partis politiques français, est, par contraste, le luxe de la villa de Saint-Cloud, où, le fondateur du Front national, Jean-Marie Le Pen vit toujours ; c’est là qu’il me reçut, il y 32 ans. De lourds canapés de cuir, de lourds luminaires, de lourdes statues d’esclaves noirs portant de lourds chandeliers évoquaient ostensiblement l’opulence du châtelain.
Mon second souvenir n’est pas ce que Le Pen me dit en 1983 – que j’ai complètement oublié -, mais la confusion où je me trouvai à la fin de l’interview. Le Front National était, à l’époque, une formation marginale, avec de microscopiques résultats électoraux ; moins qu’un parti, plutôt une poignée de fascistes rampants. Le cœur du parti, dont les membres pouvaient se compter généreusement à quelques centaines, étaient les anciens membres de la Division Charlemagne, la
Compagnie française de la Waffen SS ; et quelques membres de l’ex OAS. Autour d’eux gravitaient quelques étudiants, nostalgiques de l’ère nazie. Le Pen lui-même n’était qu’une caricature exotique, le Monsieur Loyal des anti immigrés, connu surtout pour le bandeau noir qu’il portait sur l’œil ; et pour son passé de tortionnaire durant la guerre d’Algérie. Comme homme politique, personne ne le prenait au sérieux.
Mais, à l’automne 1983, à Dreux, une petite ville à 80 km de Paris, son parti fit un étonnant score de 17% au premier tour des élections municipales. Et, grâce à l’alliance avec le RPR, il obtint la majorité. J’étais à Dreux le soir des résultats, et je peux témoigner du psychodrame vécu par le candidat socialiste battu, en larmes, parmi la foule de ses supporteurs qui se retrouvèrent dans une démonstration improvisée contre la résurrection du nazisme. C’est dans ces circonstances que je fus le premier journaliste en France qui interviewa Le Pen.
J’ai passé deux heures avec Le Pen, luttant pour garder intact mon sens moral et mon jugement politique. Je tentai de résister à sa brutale énergie, que j’appréciai ; son humour dévastateur, son anarchique talent provocateur ; et même sa drôlerie. Sans parler de la qualité de son français qui témoignait de sa culture largement supérieure à la moyenne du personnel politique. En d’autres termes, qui il était ne correspondait pas ce qu’il était.
Ce qui est un poison mortel pour les bons citoyens est souvent un nectar pour les écrivains. Le Pen fut mon premier « méchant ». Bien que je fus trop jeune, à 23 ans, pour comprendre, son pouvoir d’attraction.
Aujourd’hui, bien sur, considérant la position centrale du Front National, l’élection de Dreux, semble être, ou bien un avertissement, ou mieux, une blague. Jean-Marie Le Pen, 86 ans, est à la retraite ; sa fille, Marine, a pris le pouvoir, en 2011. Le Front national est devenu le premier parti en France. Et si l’économie française ne s’améliore pas, la victoire du Front est possible, en 2017. Même si sa défaite est probable, elle deviendrait, ipso facto, le leader de l’opposition, cela la placerait en « pole position » pour 2022.
Marine rêve de diriger la France. Elle s’assoit confortablement dans son fauteuil, joint les mains, pour préparer, semble-t-il, sa réponse à ma question (« Si vous êtes élue, quelle sera la ligne directrice de votre politique au Moyen Orient ? »). Où est-ce pour savourer la perspective de sa prochaine victoire, elle, la première femme Président de la République Française ? Elle est blonde, grande, porte une veste masculine. Elle ressemble moins à son père qu’il ne paraît à la télévision. La silhouette massive, le visage lourd, sont les mêmes.. Même quand elle éclate à propos du « système », propos qui revient à chaque minute de notre entretien ; sa sauvagerie verbale n’a rien à voir avec le discours de son père qui m’avait tant amusé.
« La France, dit-elle solennellement, a toujours eu une position modérée dans les conflits du monde. J’ai l’intention de maintenir la position de De Gaulle en faveur d’un monde multipolaire ». Je lui fais remarquer que De Gaulle n’a jamais employé cette formule. « Je voulais parler des pays non alignés » répond-elle sèchement.
En ce qui concerne les Etats-Unis, elle est inévitablement beaucoup plus dure. Elle se définit comme modérément anti-américaine. Elle affirme que les Etats-Unis ne pensent qu’à leur propre intérêt. « Je reproche à la France de ne pas mieux vous résister », me dit-elle.
Une fois au pouvoir, Marine Le Pen à l’intention de « restaurer la grandeur de la France. » Le Front quittera la zone Euro pour revenir au Franc. Un retrait que les Français ne semblent pas enclins à faire. Une seconde priorité concernerait les Juifs de France. Ce qui est déconcertant. Avec un effectif de 600,000, pas plus de 0,7 % de la population totale, ce n’est pas une menace électorale sérieuse.
Aujourd’hui, avec Manuel Valls à gauche, Marine le Pen apparaît comme la plus déterminée des candidates. Elle a dénoncé depuis longtemps le « fascisme islamique » ; et si vous ne prêtez pas attention aux ignobles courants souterrains de son parti, il est difficile de ne pas être d’accord avec elle. Aussi, depuis début 2000, certains juifs pourraient la considérer comme le recours contre le danger islamiste. Obtenir une part de l’électorat juif serait, pour elle, « la cerise sur le gâteau ».
Et, sans transition évidente, elle se livre à une violente attaque contre le CRIF, qui est coupable, selon elle, de manipuler l’opinion juive. « Il existe, dit-elle, une suspicion d’antisémitisme envers le Front. Le réel danger vient de l’immigration de masse et la montée de l’islamisme. Et ceci pose le problème du jeu auquel se livrent les organisations juives françaises ».
Je réponds : « Comment ça ?, Les Juifs français ne dénoncent-ils pas l’islamisme ? » Elle hurle : “Non ! Absolument pas ! C’est absolument faux ! L’Islam n’est pas un problème pour eux ! C’est un problème mineur pour eux ! Les organisations juives ne veulent pas voir le réel danger, ils ne font rien qu’à nous attaquer ! Ils sont copains avec les socialistes, et aussi avec la droite ; ils sont… (elle s’étrangle) communautaristes !”
Je demande :« Que voulez-vous dire ? (je pensais au représentant du CRIF de Toulouse après le massacre d’Ozer Ha Torah) ». Elle répond, toujours sur le même ton : « Ils ne pensent qu’à leur propre intérêt ! »Je questionne : « Et en quoi ceci est-il répréhensible ? »
« Je ne reconnais qu’une seule communauté, la nation. La république est une et indivisible. C’est dans notre Constitution. C’est aussi vrai pour les Musulmans ! Permettre une représentation aux Juifs, n’est pas acceptable ! »
Et pourtant, c’est Napoléon qui a permis l’organisation des Juifs de France, à la suite de leur émancipation voulue par la Révolution Française **; ce fut la première émancipation de ce type, et ses effets se sont fait sentir dans toute l’Europe, avec l’ouverture des ghettos, et l’émergence d’une élite juive.
Aussi, il me semble farfelu d’affirmer que l’obsession d’antisémitisme aurait quelque chose à voir avec une décision révolutionnaire. Et cela justifie-t-il la violente colère de Marine Le Pen ?
Victor Kuperminc
http://www.tabletmag.com/jewish-news-and-politics/183350/frances-toxic-hate-4-le-pen-2
* probablement la copie de la statue de la place des Pyramides à Paris, devant laquelle le FN manifeste le premier mai de chaque année. (NdT)
** L’auteur confond-il le CRIF (né pendant la Seconde Guerre Mondiale), et le Consistoire créé par le Grand Sanhédrin de 1807 ? (NDT)

 
 
 
 
 
 
 
 
 

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