Un prix « Mémoire & Histoire » attribué à notre ami Alain Herbeth pour sa « trilogie algérienne ». Sarah Cattan

Quel autre prix aurait pu être attribué à Alain Herbeth ? Lui qui signe régulièrement, pour Tribune Juive, un article pour la rubrique « Je me souviens », une rubrique faite sur mesure pour cet amateur d’histoire.

Cette trilogie algérienne, saluée par la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, est un ensemble de trois volumes édités chez l’Harmattan.

Le premier concerne Jacques Soustelle, « l’homme de l’intégration », le second Robert Lacoste, « le bouc-émissaire » et le troisième, sans doute le plus oublié, « Jacques Chevallier le dernier maire d’Alger. »

Celui-ci est élu maire d’Alger en 1953, il démissionnera en 1958, poussé vers la sortie par le général Salan.


Jacques Soustelle, lui, sera nommé Gouverneur général de l’Algérie par Pierre Mendès France. Il le restera une année, de février 1955 à février 1956, le temps de s’y faire aimer et de repartir vers Paris, le 2 févier, escorté par des dizaines de milliers de personnes le suppliant de ne pas les abandonner. Robert Lacoste, enfin, qui rêvait d’un grand ministère de l’économie après la victoire de Guy Mollet et du Front républicain, va pourtant devenir ministre résident en Algérie après la journée du 6 février 1956, immortalisée en « journée des tomates ».

Trois figures majeures, trois figures françaises d’une tragédie commencée le 1er Novembre 1954 et qui s’achèvera, début juillet 1962, dans le rire des vainqueurs, le sang des victimes, le silence des disparus et les larmes de ceux qui, pendant des jours ou des semaines, allaient attendre le bateau qui les arracherait à leur terre. Ils avaient compris que la menace de la « valise ou du cercueil », peinte sur les murs d’Alger ou d’Oran, devenait réalité en dépit des belles promesses inscrites dans le texte resté lettre morte des Accords d’Evian.

Ces accords, ils n’ont jamais eu la possibilité d’en discuter, écartés d’emblée de la table des négociations et perdant ainsi tout droit de regard sur leur avenir. Et ce ne sont pas les négociations de la dernière chance, menées par une OAS à bout de souffle avec une aile du FLN déjà démonétisée, avant même qu’elle le sache, qui pouvait changer quoi que ce soit. La page était désormais tournée et il n’y aurait pas d’avenir, pour eux, sur cette terre tant aimée.

Comment auraient-ils pu croire en une Algérie démocratique, ouverte à toutes les communautés, alors que l’islam était proclamée religion d’Etat, l’arabe choisi comme langue unique et que le FLN, promptement débarrassé de ses opposants, deviendra parti unique ?

Plus d’un million de pieds noirs, pris de panique, ont quitté leur terre, leurs morts, leurs souvenirs. Débarqués à Marseille, souvent isolés, victimes du plus grand nettoyage ethnique jamais vu depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, ils ont pu alors mesurer  la méfiance des métropolitains à leur égard, méfiance illustrée par les propos du maire, Gaston Defferre, s’étalant à la « Une » du journal Le Provençal :« Qu’ils aillent se réadapter ailleurs ».

Trois hommes, trois idéalistes, bousculeront leur vie et leur carrière pour leur « aimée et souffrante Algérie[1]». Soustelle, l’intellectuel et le spécialiste incontournable des civilisations précolombiennes, présent à Londres, aux côtés du général de Gaulle, dès la fin de l’année1940, responsable des services secrets durant la guerre, ministre du général et dirigeant du RPF. Lacoste, le syndicaliste, le socialiste farouchement patriote, résistant de la première heure, appelé par Jean Moulin pour réfléchir au programme du CNR, ministre du général de Gaulle dès 1944. Revenu à Paris en 1958, il gardera un silence douloureux sur « l’affaire algérienne » tout en regrettant qu’à cette occasion on ait banni de la tradition démocratique le patriotisme républicain. Un bannissement qui n’a pas encore cessé.

Quant à Chevallier, l’enfant du pays, ou presque, il commence ses classes politiques algériennes sous le drapeau et la protection des Croix de feu puis du parti social français du colonel de La Rocque. La guerre venue, il sera remarqué par le général Weygand, gouverneur général de l’Algérie sous Pétain, qui lui mettra le pied à l’étrier en l’imposant maire d’El Biar. Après le débarquement américain en Afrique du nord, Jacques Chevallier participe à la campagne d’Italie. La paix revenue, préférant la politique à l’entreprise familiale, ce jeune trentenaire se rapprochera du Parti Radical, tout puissant en Algérie, pour faire une nouvelle entrée en politique, tenant ainsi à distance ses anciens parrains.

Prix 2019 Fondation pour la Mémoire de la Guerre d’Algérie, des Combats du Maroc et de Tunisie

Les itinéraires empruntés par Jacques Chevallier, Jacques Soustelle et Robert Lacoste, vont se croiser à plusieurs reprises. Trois itinéraires différents, pourtant, mais qui conduisent à un même échec.

L’un prenant les routes de l’exil poursuivi par les polices du général de Gaulle, l’autre se murant dans son silence périgourdin : « quand on est battu, on se tait » a-t-il répondu un jour à Roland Dumas qui le pressait d’écrire ses mémoires. Et le troisième, enfin, qui opta pour la nationalité algérienne, davantage par défi que par conviction, pour ne pas avouer l’échec annoncé, ou peut-être par bravade à l’égard de ceux qui l’ont couvert d’injures.

Ces trois hommes qu’apparemment tout oppose, leurs parcours, leurs amitiés, leurs destins vont bousculer leurs convictions anciennes et leurs préjugés pour cette Algérie qu’ils porteront comme une immense blessure lourde d’espoirs, de déceptions et de trahisons.

Alain Herbeth fera paraître en janvier ou février 2020, un autre volume consacré à Jacques Soustelle, mais cette fois entièrement centré sur Israël : « Jacques Soustelle : l’ami d’Israël » Fauves éditions.

Diplômé de sociologie, Alain Herbeth est journaliste et écrivain.


[1] La paternité de cette expression revient à Jacques Soustelle. C’est le titre de son livre publié chez Plon en 1956.

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2 Comments

  1. Magnifique ce texte…
    Sincèrement merci à nos frères et amis de Tribune Juive de rappeler ces trois destins tragiques et hors du commun: Jacques Soustelle, Robert Lacoste et Jacques Chevallier…
    ‘Les peuples heureux n’ont point d’Histoire’…On connaît la formule célèbre de Hegel (?).
    Mais nous qui sommes nés sur la même terre, cette ‘Algérie aimée et souffrante’, comme l’écrivit Soustelle, que nous soyons Juifs, Chrétiens ou Musulmans, nous avons une Histoire, un héritage de souffrance, de sacrifice, de sang, mais aussi de fierté, de légitime fierté…
    Une fraternité indissoluble nous unit, bien au-delà de la mort…
    ‘La Patrie se reconnaît toujours au moment de la perdre’ (Albert Camus – L’été à Alger).
    Juifs, mes frères, défendez votre sainte terre d’Israel !!!
    Une terre qui est un legs de l’Eternel…Ne cédez rien…
    Nous, nous avons perdu notre terre d’Algérie…

  2. L’Algérie française était certes une utopie…Mais la France algéro-musulmane est une réalité…’Soumission’, comme dirait Houellebecq.

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