Sors! Par David Castel

Une colonne s’élève au-dessus de Jarmaq, fine, droite, verticale. Un signe. Le langage sans détour de la guerre, celui qui ne connaît ni rhétorique ni traduction.

À la gare Yitzhak Navon, la foule s’engouffre vers l’entrée de la ville. Des milliers d’hommes en noir, silhouettes pressées, visages tendus. La « manifestation du million ». Un jeune tombe d’un échafaudage. La sirène déchire le tumulte. Puis ce silence – celui qu’on ne regarde pas, de peur d’y lire le prix exact de la fraternité.

La Knesset vacille, la rue s’enflamme, et la guerre poursuit son œuvre. Deux corps rendus par le haïssable Hamas : Amiram Cooper, Sahar Baruch. Ofir Tzarfati repose enfin. Trois noms, trois familles, trois deuils ; un adieu pour des parents qui ne se résigneront jamais à ce mot : « définitif ». Vendredi, encore, une prière pour ceux qui restent. Quand la politique s’égare, la communauté redresse l’échine.

Les médiateurs fixent la règle : retrait des combattants du Hamas sous contrôle israélien, sinon l’armée reprendra la parole. Doha concède à demi-mot une violation du cessez-le-feu. Washington parle d’influence, de garanties, de trêve fragile. Ennemi de toute trêve : la mauvaise foi.

Pendant que les chancelleries font mine d’y croire, d’autres comptent les faits. Londres débloque des fonds pour le déminage. L’ONU recense les convois d’aide. Des chiffres utiles, nécessaires, impuissants : aucun total ne remplace l’étreinte d’une mère devant une porte vide.

Plus au nord, Hadera étouffe dans le charbon. Plus au sud, Beeri rallume le solaire. Même pays, même obstination : rebâtir quand la poussière retombe. À Berlin, un décret laconique augmente l’aide aux survivants de la Shoah. Geste sec, exact : en Europe aussi, certains savent ce que mémoire veut dire.

Lekh Lekha revient comme un motif. Un texte d’une précision foudroyante. Avraham reçoit l’ordre de partir, de quitter la maison, d’affronter la solitude du juste. « Vayomer » : il dit. Le mot répond aux paroles de la création, comme si la parole divine recommençait le monde à travers un homme. Les maîtres l’ont noté : sans Torah, sans alliance, le monde retourne au tohu-bohu. La foi ne vient pas après l’univers : elle le tient debout.

« Lekh Lekha » porte le cent : l’âge d’Avraham à la naissance d’Isaac. Vingt-cinq ans entre promesse et accomplissement. Vingt-cinq ans à avancer dans le désert, refuser la résignation, préférer la voix intérieure au consensus des idoles. Leçon d’endurance : durer plus longtemps que le vacarme.

Cette femme de Gaza. Brûlée enfant, soignée en Israël. Années de chirurgie, de patience, d’humanité. Puis le recrutement, la ceinture d’explosifs, la marche vers l’hôpital qui l’avait sauvée. La charge ne part pas. Des années plus tard : « J’ai presque goûté le paradis. » « Le referiez-vous ? » — « Oui. » Les faits suffisent. Clarté du moment : soigner ne désarme pas l’ennemi idéologique.

Alors Israël retient la leçon simple : sobriété dure. Protéger ses citoyens. Ramener ses otages. Frapper juste. On le lui reprochera toujours : trop fort, trop tard, trop tôt, trop faible. Israël ne plaide pas pour séduire ; Israël agit pour que ses enfants rentrent vivants.

On objecte les « grands mots ». D’accord : les faits. Corps rendus. Maisons endeuillées. Médiateurs qui cadrent. Convois qui passent. Villes qui protestent sans rompre. Justice qui juge. Gouvernement qui bataille. Alliés qui poussent, d’autres qui accusent. Non, tout ne se vaut pas. L’épreuve est là : un État refuse de se laisser saigner par des tueurs tenus par des parrains lointains. Et se bat pour exister au milieu d’un monde qui préférerait sa disparition.

Reste une question que les vieux livres posent mieux que nos éditoriaux. « Sors », dit la voix à Avraham. Regarde les étoiles. Non pour rêver : pour apprendre l’insoumission au destin, la liberté de dépasser l’astrologie et les certitudes. C’est cela, le judaïsme : non une métaphysique, mais un refus têtu d’abandonner le monde aux calculs de la fatalité.

Un pays se relève d’exils impossibles. Il construit une économie tandis que les sirènes lacèrent la nuit. Il installe des panneaux solaires dans un désert d’alertes. Il enterre ses morts et signe des brevets. Il négocie et combat. Il se méfie des fables et retient les leçons. Il fabrique de la lumière dans les marges de la peur.

Ce soir, on recoud la toile déchirée : office, dracha, kiddouch. On s’échange les nouvelles : trêve, otages, Europe qui hésite, Washington qui s’épuise, Ankara qui crie, Doha qui ment, Knesset qui s’agite. On se serre. On recommence.

Parce qu’ici, vivre n’est pas un réflexe : c’est une discipline. Lekh Lekha, c’est cela : avancer quand le monde recule. Regarder haut. Marcher droit. Tenir — jusqu’au retour des fils.

© David Castel

Ex-avocat, hébréophone & parémiographe. Écrit entre deux cafés, trois procès et mille aphorismes.

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*