Nataneli Lizee. Le procès Albanese, ou la neutralité confisquée

En février 2024 déjà, la France, l’Allemagne et le Canada s’étaient dressés contre Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale de l’ONU pour les droits humains dans les territoires palestiniens, après qu’elle eut nié le caractère antisémite du 7 octobre. En juillet 2025, ce furent les États-Unis qui frappèrent à leur tour, imposant des sanctions économiques contre celle qui, par ses paroles, avait franchi la frontière où l’impartialité bascule dans le parti pris et où la partialité se mue en antisémitisme. Les faits parlent d’eux-mêmes : en 2014, elle évoquait un lobby juif contrôlant Washington ; en 2024, elle approuvait sur les réseaux un parallèle délétère entre Netanyahu et Hitler ; la même année, elle relayait un article iranien accusant la CIA et le Mossad d’avoir fomenté l’attentat de Charlie Hebdo ; en août 2025, elle diffusait un faux graphique imputant à Israël des viols et des meurtres, avant d’être rappelée à l’ordre par le porte-parole de l’Organisation ; enfin, en septembre, des organisations chrétiennes favorables à Israël la poursuivirent en justice devant un tribunal fédéral américain pour diffamation et manipulation.

Or le procès Albanese ne saurait se réduire à une trajectoire individuelle : il révèle une fissure plus vaste, une béance au cœur de l’institution. Car si une fonctionnaire censée incarner la neutralité universelle se permet d’endosser les tropes les plus anciens de l’antisémitisme, qui nous assure qu’elle est seule à franchir ce pas ? Quelle garantie avons-nous que d’autres, au sein de l’ONU, ne travestissent pas également la vérité sous le voile mensonger de l’impartialité ?

Si nous en sommes là aujourd’hui, c’est aussi parce que l’Organisation a toujours reculé devant la question première, celle de l’État palestinien. Depuis le partage voté en 1948, depuis la fin du mandat britannique, l’ONU a différé, temporisé, évité. Elle n’a protégé ni les civils juifs lors des guerres qui suivirent, ni garanti aux Palestiniens une souveraineté claire. Elle a laissé le conflit s’installer comme une plaie béante, et vient aujourd’hui donner des leçons de morale, drapée dans ses résolutions inopérantes. Où était-elle, l’ONU, lorsqu’il fallait appliquer ses propres décisions, protéger les innocents des deux côtés ? Elle sermonne, elle juge, mais n’a pas su agir quand l’histoire l’exigeait.

Et ce n’est pas la première fois que l’institution faillit. Elle se tut lors du génocide rwandais en 1994. Elle fut éclaboussée par la corruption du programme pétrole contre nourriture en Irak. Elle dut reconnaître les crimes commis par ses propres Casques bleus, coupables d’abus sexuels en Centrafrique, en RDC, en Haïti. Chaque fois, l’universel promis se brisa sur les récifs du silence, du cynisme ou de la compromission.

La question n’est pas neuve. Socrate avertissait qu’il fallait soumettre chaque parole à l’épreuve du vrai, du juste, de l’utile. Aristote distinguait la persuasion noble de la manipulation basse. Pascal rappelait que ce que l’on nomme vérité ici peut n’être qu’erreur ailleurs. Et Hannah Arendt, au siècle dernier, mit en garde : les faits sont fragiles, ils ne résistent pas longtemps lorsque les idéologies s’en emparent.

Qu’est-ce donc que l’ONU, sinon une cité élargie à l’échelle du monde ? Et que devient-elle si ceux qui parlent en son nom troquent l’impartialité pour le militantisme ? Depuis l’attaque du Hamas, l’institution semble s’être faite oratrice à sens unique : dénoncer Israël, exonérer Gaza. Oui, les civils palestiniens souffrent, oui, des femmes et des enfants vivent dans la peur, la faim, les ruines, et nul ne devrait minimiser cette tragédie. Mais reconnaître cette douleur n’autorise pas à fermer les yeux sur l’autre part du réel : peu importe qu’Israël ouvre ses hôpitaux, livre de l’aide, alerte sur le terrorisme, le récit officiel demeure univoque. Est-ce idéologie, calcul diplomatique, intérêt économique, ou simple reflet d’un antisémitisme latent, devenu culture institutionnelle ?

Le péril est immense. Car si les arbitres deviennent partisans, qui jugera encore ? Si les experts se changent en tribuns, qui portera la voix de la vérité nue ? Nous ne sommes plus dans la maison de verre des Nations Unies, mais dans une chambre d’échos où chaque mot se fait arme, chaque chiffre projectile, chaque rapport bannière. Et derrière ces mots faussés, derrière ces chiffres martelés, il y a des vies : des enfants, des mères, des vieillards — israéliens et palestiniens — dont l’existence se réduit à des statistiques.

Il faut poser la question avec gravité : peut-on encore confier à cette institution la charge de dire l’universel ? Peut-on laisser des voix entachées d’antisémitisme prétendre parler au nom de l’humanité ? Ou faut-il admettre que l’ONU, comme la Société des Nations avant elle, risque de sombrer non sous les coups de ses ennemis, mais sous le poids de ses propres illusions ?

Car si l’ONU en vient à se draper d’antisémitisme, alors qui restera pour dire le vrai ? L’institution qui se voulait universelle n’est plus qu’un masque tombé, poussière parmi les nations, ombre portée de ses propres renoncements.

© Nataneli Lizee

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