Le médiatique abbé Matthieu Raffray ose déclarer: « Des Juifs ont crucifié le Christ ». Par Frédéric Sroussi

Nous assistons au retour d’un antisémitisme chrétien que l’on pensait n’être plus que marginal après la  Shoah et les décisions prises par le concile Vatican II (1962-1965) qui avait éliminé de son dogme l’idée infâmante de désigner les Juifs comme « peuple déicide ». Cette insulte criminelle fut accolée scandaleusement aux enfants d’Israël depuis au moins le IIᵉ siècle (notamment par l’apologète Justin de Naplouse, Chkhèm en hébreu) puis par les Père de l’Eglise dont Jean Chrysostome (auteur de l’Adversus Judaeos), etc.  Cette insulte (associée à la thèse antisémite de la théologie de la substitution) fut la cause des massacres, des pogroms et de la Shoah qui frappèrent le peuple juif. 

Cette injure disparut donc officiellement de la doctrine de l’Église avec Vatican II, et en particulier grâce à la déclaration de 1965 nommée Nostra ætate (qui à la lecture garde tout de même une certaine ambiguïté). Néanmoins, il fut acté que ni les Juifs d’antan, ni les Juifs d’aujourd’hui ne pouvaient être accusés d’avoir  «  tué Jésus ». Mais, il faudra attendre le pape Jean-Paul II, ami sincère du peuple juif et respectueux du judaïsme, pour entendre des paroles sages et sans ambiguïté auxquelles les Juifs furent sensibles. C’est Jean-Paul II qui fit en sorte que le Vatican reconnaisse l’État d’Israël en 1993 (!) en exprimant clairement qu’Israël était « une terre donnée par Dieu au peuple juif ». C’est ce grand humaniste qui déclara aussi le 17 novembre 1980 aux représentants de la communauté juive de Mayence que : « L’ancienne Alliance […]n’a jamais été dénoncée par Dieu. » Si les Juifs n’en ont jamais douté, le chef spirituel des catholiques s’adressait en fait surtout aux chrétiens.  Comme l’explique si bien l’historien du christianisme Jean-Dominique Durand : « En déclarant que l’ancienne Alliance « n’a jamais été dénoncée par Dieu », Jean-Paul II a « remis en cause d’une manière catégorique » la théologie de la substitution. Doctrine qui a longtemps perduré selon laquelle le christianisme serait venu dans l’histoire se substituer au judaïsme. « Mayence c’est le parachèvement de Nostra ætate  selon l’historien, cette déclaration du concile Vatican II, qui, en 1965, mettait définitivement fin à l’idée que le peuple juif était le peuple déicide. » (Noémie Marijon, Odile Riffaud ; RCF.fr, 8/08/2023)

Malheureusement, ce qui faisait dire à Jean-Dominique Durand « qu’après Jean-Paul II, l’antisémitisme (était) devenu « impossible pour un chrétien », n’a plus l’air d’actualité surtout après les massacres du 7 octobre (de manière si paradoxale !). Les premières diatribes antisémites à caractère religieux (mais aussi racistes) furent présentes dans le camp des plus extrémistes du camp trumpiste MAGA, tels que Tucker Carlson (énonçant que ce sont des « mangeurs de Humus » à Jérusalem qui tuèrent Jésus) ou Candace Owens (qui mis en exergue un tweet d’aliéné prétendant que « les Juifs buvaient le sang des chrétiens »). J’ai vu sur les réseaux sociaux, à plusieurs reprises, des commentaires de jeunes américains accusant les Juifs d’être les représentants de « la Synagogue de Satan ».  En Europe, c’est par exemple, le 7 décembre 2024 que le Pape François bravant toute forme de ridicule et niant sa foi alla prier devant une crèche exposée au Vatican et dans laquelle une sculpture en bois de l’« enfant Jésus» était déposée sur un keffieh…Quelle ironie de déposer la statue d’un Juif né en Judée et devenu un dieu pour les chrétiens sur un foulard inventé par des Bédouins musulmans dans le désert irakien et symbolisant depuis des décennies le terrorisme et le djihad! 

En fait, les autorités catholiques prirent très vite, après le 7 octobre, fait et cause pour les Gazaouis, ceux-là même qui votèrent pour le Hamas et se réjouirent des massacres de Juifs. L’année 2025 vit par exemple l’apparition en Italie d’un collectif d’un millier de membres de l’Église catholique dont des évêques qui décidèrent de se dénommer « Prêtres contre le génocide ». Le fait de reprendre à leur compte la terminologie de la propagande du Hamas et de la République islamique d’Iran (que le Pape François assura de sa « proximité spirituelle » après la mort du boucher de Téhéran, le Président Raïssi), en diffamant une fois de plus l’État hébreu, n’embarrassait pas ces hommes épris d’amour et de compassion pour toutes les créatures terrestres (sauf les Juifs). Mais, un pas de plus dans l’ignominie fut franchi avec le slogan qui ornait leur affiche et sur laquelle se trouvait les mots lourds de sens : « Le Christ est mort à Gaza. » Qui donc aurait (encore ! )« tué le Christ » à Gaza ? Eh bien, évidemment les Juifs ! Le retour de l’accusation abjecte et tellement inepte de « déicide » faisait donc en 2024 sa réapparition quasi-officielle. Et, c’est à ce stade que nous arrivons aux propos tenus par l’abbé médiatique Matthieu Raffray qui de sa page Instagram (où il est suivi par 192 000 followers dont des personnalités politiques et médiatiques) à Cnews, colporte la bonne parole à la manière de feu Monseigneur Lefèvre, farouche opposant aux réformes du concile Vatican II.

C’est sur la chaîne YouTube intitulée « Le long format » que l’Abbé Raffray osa déclarer « qu’Il y a un certain nombre de Juifs qui ont crucifié le Christ ». Ceci est une accusation gravissime de « déicide », et l’abbé Raffray doit non seulement s’excuser mais devrait être mis au ban du monde catholique par les autorités compétentes ! Étrangement, Matthieu Raffray oublie de dire que dans l’histoire ce sont les Romains qui ont crucifié Jésus… L’Abbé Matthieu Raffray incite donc à la haine contre le peuple juif en le traitant à nouveau de « déicide» à l’instar d’un Jean Chrysostome. Il crache ainsi sur des décennies d’amitiés judéo-chrétiennes initiées par Vatican II (que les intégristes détestent) et par les paroles de ce grand homme de paix que fut le Pape Jean-Paul II. 

Mais ce n’est pas tout, car Matthieu Raffray professe aussi « l’enseignement du mépris », dont parlait le grand historien Jules Isaac, concernant ces siècles de dédain que le christianisme pratiqua à l’encontre du judaïsme. En effet, invité sur Cnews par Christine Kelly, l’abbé déclara – prenant ses désirs pour la réalité que -, : « Le Christ a été annoncé par les prophètes juifs dans l’Ancien Testament. » Et puis quoi encore ?! Les prophètes juifs n’ont jamais annoncé la venue de Jésus ! Ils ont annoncé la venue d’un Messie descendant du Roi David, messie que les Juifs attendent toujours et qui n’est évidemment pas Jésus. Il existe même dans cette imposture théologique une antilogie de taille. En effet, et malgré ce qu’en disent les Évangiles, il est impossible que Jésus puisse descendre du Roi David puisque ces mêmes Évangiles disent – comme cela est explicitement écrit dans Luc 2, 4 et Matthieu 1, 20 – que c’est par Joseph que Jésus descendrait du Roi David, or Joseph n’étant pas le père biologique de Jésus, on voit mal comme Jésus pourrait être le descendant du Roi David…

Les Juifs n’ont jamais demandé que le monde se plie à leurs lois et à leurs traditions (le judaïsme n’est pas prosélyte). Ils ne se mêlent pas non plus des religions des autres peuples. Ils demandent juste de pouvoir exercer leur culte sans être ni menacés ni insultés. Il faut donc une fois pour toute que certains cessent de vouloir convaincre les Juifs de reconnaître Jésus en tant que dieu et/ou messie, et qu’ils arrêtent de détourner les textes saints du judaïsme pour prétendument prouver des thèses qui ne s’y trouvent pas, car comme il est dit : « Il (Dieu) a révélé ses paroles à Jacob, ses statuts et ses lois de justice à Israël. Il n’a fait cela pour aucun des autres peuples; aussi ses lois leur demeurent-elles inconnues [….] » (Psaume 147, 19)

L’amitié judéo-chrétienne conquise de haute lutte doit perdurer et ne pas s’abîmer à cause de nostalgiques d’un passé qu’on espérait révolu après la Shoah.  

© Frédéric Sroussi 

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

3 Comments

  1. Ces propos scandaleux ne doivent pas faire oublier qu’il existe une amitié judéo-chrétienne sincère dans laquelle cet abbé ne s’inscrit visiblement pas, ayant oublié la culpabilité totale des Romains dans la crucifixion du rabbin Jésus de Nazareth, et l’exonération obligatoire de la culpabilité romaine pour séparer les nouveaux chrétiens des juifs restés fidèles à la Torah mosaïque, mais surtout pour faire du latin la langue de la Nouvelle Alliance dans la Chrétienté.

  2. Dire que « les Juifs » sont un peuple déicide est une imputation de culpabilité collective ; cela témoigne d’un stade de développement moral dit hétéronome et donc d’une immaturité morale.
    D’autre part il est vrai que des membres du Sanhédrin qui se recrutait dans les rangs des Sadducéens ont insisté auprès de Ponce Pilate, le gouverneur de la Judee, à cette époque sous occupation romaine, pour qu’il fasse tuer Jésus . Celui-ci dérangeait l’ordre établi par la « pax romana » aux yeux des officiels juifs et ils souhaitaient se débarrasser de lui . De plus il plaçait les Juifs orthodoxes devant certaines contradictions entre l’esprit de leur Loi et leurs pratiques parfois purement formalistes – ce qui existe dans toutes les religions comme en témoigne, par exemple, le roman de François Mauriac, La Pharisienne. Mais il est vrai de dire que le Sanhédrin n’avait pas le pouvoir d’appliquer contre Jésus la peine de mort, ce droit étant réservé aux Romains en tant qu’ils avaient pris le pouvoir politique sur le peuple juif. Pilate en profita pour renvoyer dos à dos Jésus et le Sanhédrin en faisant inscrire INRI (Iesus Christus Rex Iudeorum – Jesus-Christ roi des Juifs) sur le bois de La Croix, ce qui, d’une certaine façon témoignait de sa volonté d’humilier les Juifs et donc signalait la crainte qu’il avait d’eux ; mais on peut dire aussi, côté Sanhédrin qu’il ne faut jamais espérer se faire bien voir d’un oppresseur en le flattant dans son instinct de prédateur, car il ne vous en méprise que davantage.

    Dire si Jésus était ou non le Messie attendu par les Juifs ne peut pas se faire au nom des annonces des prophètes d’Israel, car le Jésus historique coche de nombreuses cases prophétiques. Par exemple il est de condition sociale humble (cf ; les prophètes hébreux n’ont pas annoncé un Messie guerrier, appelant les Juifs à prendre les armes contre les Romains ou d’autres) ou encore revêtu d’or et de pierres précieuses : ces traits étaient souhaités à l’époque par les Zélotes juifs qui appelaient à la guerre contre l’occupant romain.

    [Les prophéties les plus connues concernant la mort du Messie sont le Psaume 22 et Ésaïe 53. Le Psaume 22 est particulièrement surprenant : il décrit plusieurs éléments distincts de la crucifixion de Jésus mille ans auparavant. Voici quelques exemples : le Messie aura les mains et les pieds « percés » (Psaume 22.16, Jean 20.25), ses os ne seront pas brisés (alors que les jambes des crucifiés étaient généralement cassées pour accélérer leur mort) (Psaume 22.17, Jean 19.33) et ses habits seront tirés au sort (Psaume 22.18, Matthieu 27.35).

    Ésaïe 53, la célèbre prophétie messianique du « serviteur souffrant », parle de la mort du Messie pour les péchés de son peuple. Plus de 700 ans avant la naissance de Jésus, Ésaïe raconte en détail sa vie et sa mort : son rejet (Ésaïe 53.3, Luc 13.34), sa mort en sacrifice expiatoire pour les péchés de son peuple (Ésaïe 53.5-9, 2] Quels passages de la Bible hébraïque prophétisent la mort et la résurrection du Messie ?]

    Ainsi donc la polémique persiste entre Chrétiens et Juifs mais aussi Musulmans qui voient en Jésus un prophète parmi d’autres mais non Dieu fait homme.

    Quoi qu’il en soit Saint Paul a explicitement dénoncé l’antisémitisme en Romains,XI, comme Jésus avait pardonné à ses bourreaux durant son agonie. La formule de ce prêtre est donc anti-chrétienne et anti-christique et retourne au neopaganisme d’une époque qu’on ne pensait pas revoir de sitôt.

    Il serait important, pour les exégètes et les fidèles juifs, de se départir d’une attitude polémique à l’endroit des Chrétiens et de leur vision de Jésus, de la même manière qu’ils demandent aux Chrétiens de renoncer aux dogmes anti juifs du « peuple déicide » et de la « perfidie juive » déjà dénoncés par Jules Isaac puis par le Concile de Vatican II.

    Sauf à comprendre le monothéisme comme une exigence d’auto dépassement moral de tous les croyants qui, sous un credo ou un autre y émargent, il sera inéluctable d’entrer dans une 3eme guerre mondiale nucléaire pour des motifs purement politiciens mais affublés de prétextes spirituels. S’il existe réellement un Dieu Un et Unique il est évidemment exclu de croire qu’Il nous demanderait de l’honorer dans de nouveaux bains de sang … au nom de l’amour du Prochain !!!

    L’universel monothéiste est de rayonnement moral et spirituel cf Emmanuel Levinas – et non de conquête guerrière. Il serait temps d’y songer.

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*