Un homme entre au tribunal comme on entre dans l’Histoire, avec cette certitude singulière d’être à la fois acteur et enjeu. Benjamin Netanyahou s’assoit sur le banc des prévenus, mais son corps, lui, reste ailleurs. Dans les couloirs du pouvoir, dans les téléphones sécurisés, dans les cartes d’état-major. Le paradoxe est là, brut, presque obscène: un Premier ministre convoqué par la justice d’un pays qu’il dirige encore, sommé de répondre de ses actes au moment même où il prétend répondre du destin national.
Il demande à différer. Une fois. Puis une autre. Motif invoqué: urgence sécuritaire, agenda diplomatique, impératif supérieur. La justice hésite, soupèse, concède parfois. Le procureur objecte, puis recule. Le temps judiciaire se plie, légèrement, au temps politique. Rien de spectaculaire, rien d’illégal. Juste cette zone grise, épaisse, où l’État se regarde juger l’État.
Ces demandes de renvoi deviennent alors un langage en soi. Certaines sont acceptées, d’autres refusées. Aujourd’hui, la justification avancée reposait sur la venue annoncée d’un haut responsable étranger, motif que les juges n’ont pas jugé suffisant pour suspendre l’audience. Le renvoi est refusé. Le cadre judiciaire est maintenu. Et pourtant, l’homme d’État étranger vient malgré tout. Il entre dans la salle, traverse les bancs, s’approche du prévenu, s’assoit à ses côtés. Il ne parle pas au tribunal, mais sa présence parle pour lui. Elle déplace la scène, sans la faire tomber. L’audience se tient, mais sous une lumière troublée. Peut-être est-ce pour cela que la séance du jour ne dure qu’une heure. Non par manque de matière, mais parce que tout est déjà saturé: trop de politique dans la justice, trop de justice dans la politique.
La scène devient presque théâtrale. Le président d’un parlement étranger traverse la salle d’audience, serre des mains, exprime son admiration. On applaudit à mi-voix un homme poursuivi pour corruption. La justice continue, mais en pointillés. Une audience écourtée. Une sortie anticipée. Un reproche aux juges. L’accusé parle longuement, trop peut-être, comme s’il fallait combler par la parole ce que le procès n’arrive plus à contenir.
Netanyahou affirme vouloir aller jusqu’au bout. Il dit attendre l’acquittement, la lumière, la vérité. Puis il demande une grâce. Sans reconnaissance de faute. Sans repentir. Une grâce stratégique, presque administrative. Non pas pour lui, assure-t-il, mais pour le pays. Pour la continuité. Pour la survie.
C’est là que le malaise s’installe. Non pas parce qu’un dirigeant invoque l’intérêt national. Tous le font. Mais parce que cet intérêt devient un argument procédural. Parce que la guerre, réelle, tragique, indiscutable, sert aussi de paravent commode à un homme pressé par le temps judiciaire. La menace extérieure écrase le soupçon intérieur. Le bruit des missiles couvre le froissement des dossiers.
On ne sait plus très bien ce qui est jugé. Des faits précis, anciens, documentés, ou bien un homme devenu indissociable de l’État qu’il incarne. Peut-on séparer Netanyahou de la fonction, la fonction de la guerre, la guerre de la justice? Israël, pays né dans l’urgence, semble condamné à vivre dans cette tension permanente entre nécessité et exigence morale.
Ce procès n’est pas seulement celui d’un homme. C’est celui d’une démocratie éprouvée par l’Histoire, sommée de choisir entre la rigueur du droit et la peur du vide. Entre l’idée qu’aucun pouvoir ne doit échapper au jugement, et la tentation, ancienne, presque biblique, de suspendre la loi quand le danger frappe à la porte.
Rien n’est tranché. Rien ne l’est jamais vraiment, en Israël. Le tribunal ajourne. Le pays retient son souffle. Et au milieu, un homme continue d’avancer, convaincu, ou feignant de l’être, que son destin personnel se confond encore avec celui de la nation.
© David Castel

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