Label or not Label? Par Julien Brünn

Donc, label or not label : that is the question qui agite le monde médiatique et le monde politique depuis maintenant deux semaines, depuis que le Président Macron a lancé sa petite bombe. Avec une réponse desdits mondes à son évocation d’un label « information » aussi ferme qu’indignée : no label pour la presse, bien sûr. Évidemment ! Surtout à droite, d’ailleurs, où l’on voit là la première pierre d’un « ministère de la Vérité » à la Orwell. À gauche, l’indignation est plus molle, voire inexistante. Question de tradition, sans doute.

Mais de toute façon, ce n’est pas la peine de s’étriper : ça existe déjà. Depuis 1945, en plus : ça ne date pas d’hier. L’organisme qui labellise s’appelle la Commission Paritaire de la Presse et des Agences de Presse. Acronyme : CPPAP. Trente-huit membres, vingt-deux pour labelliser les publications, qui vendent au public ce qui est supposé être de l’information et non du vent ou de la pub – c’est ce qu’il faut démontrer aux membres de la commission –, et seize pour les Agences de presse, qui vendent, elles, ce qui est supposé être de l’information aux publications susmentionnées – même punition : démontrer que ce qu’ils vendent est bien de « l’information » et non de la pub aux membres sourcilleux de la CPPAP. Un président conseiller d’État, nommé, comme la moitié des membres, en Conseil des ministres, rien que ça, l’autre moitié désignée par des organismes « représentatifs » de ces professions. D’où le qualificatif de « paritaire ». Près de 7 000 entreprises de presse sont ainsi labellisées. Ça ne s’appelle pas formellement un label, mais un avis positif, ou un agrément. On ne va pas jouer sur les mots : gardons le mot label, car c’en est un. Même s’il est discret.

Le label de la CPPAP a beau être discret, il vaut de l’or. Il permet aux labellisés de bénéficier d’avantages postaux et fiscaux, d’être soumis à une TVA très douce – 2,1% au lieu des 20% du régime commun – et, last but not least, de pouvoir recevoir les subventions à la presse que distribue le ministère non pas de la Vérité, pas encore, mais de la culture et de la communication, et qui représentent plusieurs centaines de millions d’euros. Heureux élus… Il permet en outre aux journalistes employés par ces mêmes employeurs labellisés de se voir attribuer une carte de presse par une autre commission, également paritaire, mais entre employeurs et employés cette fois, la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels, acronyme CCIJP, laquelle carte leur permet de bénéficier à leur tour d’un abattement fiscal (bonjour la niche, que d’aucuns voudraient supprimer : halte là !), et d’une certaine protection en cas de pépin professionnel. Il existe en France presque 35 000 encartés. Cette commission de la carte ne juge pas – en principe – la qualité du travail des journalistes qu’elle encarte (depuis 1936) mais uniquement la quantité de leurs revenus tirés de leur travail de journaliste.

Attendu que l’article 1 de la loi du 29 juillet 1881 dispose que « l’imprimerie et la librairie sont libres », ces deux labellisations sont facultatives et ne sauraient être des autorisations préalables à publier, à écrire ou à parler. Nul besoin d’être tamponné par la CPPAP pour publier un journal ou un site (mais sans avantages ni subventions), ni d’être détenteur d’une carte de presse délivrée par la CCIJP pour prétendre être journaliste (mais vous le serez sans abattement fiscal ni protection).

C’est du reste exactement ce qu’avait proposé l’usine à gaz pompeusement intitulée « États généraux de l’information » et dont Emmanuel Macron a le secret : reproduire l’existant. Après avoir palabré une année entière, la souris dont ces États généraux avaient accouché était en effet ainsi formulée : « Proposer une labellisation volontaire des influenceurs d’information ». Labellisation volontaire : on vient de voir que ça existe déjà, le labelliseur s’appelle CPPAP, qui ne labellise que ceux qui se soumettent « volontairement » à son jugement. « Influenceur d’information » : bon, le terme n’existait pas. Mettons que ce soit une avancée. Mais vous croyez que les millions de gogos qui regardent sur le net les « influenceurs » d’information ou d’autre chose vont être influencés par le label en bas de l’écran à gauche ? Ou par son absence ? Vraiment ? Même si le label devenait obligatoire ? (ce qui ne saurait du reste advenir sans une profonde modification constitutionnelle).

C’est donc cette inutile proposition qu’a reprise Emmanuel Macron au cours de son « Face aux lecteurs de la Voix du Nord ». Il faut, en cette matière informative, être parfaitement fairplay avec le chef de l’État. Il a dit exactement : « On doit distinguer les réseaux et les sites qui font de l’argent avec de la pub personnalisée et les réseaux et les sites d’information. On va tout faire pour que soit mis en place un label… ». Donc, il n’a pas dit : il faut labelliser la « bonne information » contre la mauvaise information ; il a proposé de labelliser ceux qui donnent de l’information et de délabelliser ceux qui livrent autre chose que de l’information, « de la pub personnalisée », a-t-il précisé. Mais on va voir, en analysant l’existant, la trop obscure CPPAP, que la frontière est mince entre la labellisation d’un réseau ou d’un site (« site » au sens générique du terme, papier ou digital) parce qu’ils livrent de l’« information », quelle qu’elle soit, mais de l’information, d’un côté, et de l’autre un réseau ou un site d’« informations labellisées ». La différence n’est pas mince. Elle est même essentielle. Et pourtant la CPPAP a allègrement confondu les deux.

Regardons cela. En 2024, donc pratiquement hier, un site a perdu son « label » CPPAP, et, donc, tous les avantages qui vont avec. Il s’agit de France-Soir. Non pas le glorieux France-Soir de Pierre Lazareff et son million de lecteurs quotidiens mais son ultime rejeton confiné sur le Net. L’affaire avait commencé en 2022 par le non renouvellement de son agrément « presse », et s’est terminée en 2024, au désavantage, donc, de France-Soir, devant le désormais célèbre Conseil d’État, célèbre à cause de ses décisions pas toujours clairement impartiales. Citons Le Monde pour être sûr de ne pas « désinformer » l’affaire : « Le site France-Soir « expose sous un jour favorable des conduites thérapeutiques et préventives qui sont susceptibles de détourner des malades de thérapies conformes à l’état actuel des connaissances scientifiques », a expliqué la CPPAP, en précisant que le site ne présente pas le « caractère d’intérêt général » requis. » Fin de citation. Il s’agit bien d’un jugement sur la nature des informations délivrées par le site, et non pas d’un jugement sur le fait de savoir s’il s’agit d’informations ou non. Que ces informations soient vraies ou fausses (nous ne nous prononçons pas, il s’agissait des polémiques pendant le COVID) ne devrait pas être du ressort de la CPPAP, même, et surtout, si celle-ci s’appuie sur un avis du ministère de la santé, c’est-à-dire sur une « opinion » dûment estampillée « officielle ». Qui peut dire en effet que « l’état actuel des connaissances scientifiques » est un « bon » état ? La CPPAP, relayant un ministère ? « Et pourtant, elle tourne » (autour du soleil), avait ou aurait grommelé Galilée condamné par le Consensus. Lequel Consensus avait tort. « L’état actuel des connaissances » de l’époque n’était, en définitive, pas un bon état.

La CPPAP a donc subrepticement fait son coup d’état juridique, comme l’avait fait en son temps, 1971, le Conseil constitutionnel. Chargée de faire le partage entre information et publicité (le Conseil constitutionnel, lui, ne devait faire que le partage entre loi et règlement, législatif et exécutif, et non juger la loi), elle s’est arrogé le droit de délabelliser ce qu’elle jugeait être de la « mauvaise » information. Un incontestable premier pas vers un « ministère de la Vérité ». Vous imaginez ce qu’une nouvelle commission, aux pouvoirs élargis et dirigée par un nid de gauchistes issus au mieux de Reporters sans frontières, fera demain : non pas un subreptice coup d’État, mais une complète et tonitruante prise de pouvoir.

Morale de la fable France-Soir et la CPPAP (ou encore « Le pot de terre et le pot de fer »): ceux qui crient au loup ont bien raison de le faire.

© Julien Brünn

Journaliste. Ancien correspondant de TF1 en Israël


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