Baissons les armes, On vient légitimement nous tuer! Anatomie d’une morale renversée. Par Yaël Bensimhoun

J’ai écrit ce texte il y a près de huit ans déjà, six ans avant que notre monde ne bascule et que les mots que j’avais choisis, ironiques, outrés, presque exagérés, ne se transforment en description exacte de ce qui allait se produire. À l’époque cependant, même les plus hostiles à Israël reconnaissaient encore une chose : Tsahal ne vise pas les enfants, et l’usage de boucliers humains par le Hamas était un fait admis, même s’il était aussitôt relativisé.

Aujourd’hui, cette évidence a aussi disparu. La morale inversée s’est imposée : ce qui était autrefois reconnu comme un crime du Hamas est devenu, par un tour de passe-passe médiatique, une accusation permanente contre Israël. On ne dit plus que le Hamas expose exprès ses enfants : on clame qu’Israël les tue, sciemment.

Ce renversement du réel, je l’avais déjà senti, confusément, dans l’air du temps. Mais ce n’est pas la seule intuition qui, rétrospectivement, fait frissonner. Car dans la conclusion de ce texte, écrit six ans avant le pogrom du 7 octobre, j’évoquais, presque comme une hyperbole, comme une image extrême, des « héros » franchissant la barrière de sécurité, s’infiltrant dans les maisons israéliennes et traquant des familles : une scène que je croyais alors caricaturale et métaphorique, pour montrer jusqu’où pouvait mener la morale dévoyée.

Et pourtant, six ans plus tard, c’est exactement ce qui est arrivé. Je ne change donc rien au texte. Je le republie tel quel, comme il a été écrit à l’époque, non pas parce qu’il est parfait, loin s’en faut, mais parce qu’il dit quelque chose de terrible : que la mécanique qui mena au 7 octobre était déjà là, et que les condamnations internationales qui l’ont suivi presque aussitôt étaient, elles aussi, déjà à l’œuvre. Tout était visible. Il suffisait de regarder.

© Yaël Bensimhoun

BAISSONS LES ARMES, ON VIENT LÉGITIMEMENT NOUS TUER !

« Hélas, les morts ne sont que d’un seul côté » … regrette Benêt Hamon, pardon Benoît. Il n’est pas le seul : cette phrase ignoble circule copieusement depuis trois jours sur le net, sous la plume de toutes les belles âmes qui dégoulinent d’empathie. Israël, attaqué, ne compte aucun mort, suffoquent-elles. Diable! Et ce sont donc les attaquants qui enterrent les leurs ?! Ahhhhhhhh !!! Mais enfin où va le monde ?! 0 mort israélien contre 60 Palestiniens ?!!!!!

Vite, que les va-sans-guerre forment illico leurs bataillons ! Webs, manifs, déclarations, interviews, photos et films un peu trafiqués, oui, bon, beaucoup trafiqués, mais c’est pour la bonne cause hein… Parce qu’il ne faudrait pas que les « attaques pacifiques » des bons terroristes contre les Israéliens donnent à ces voleurs de déserts l’occasion de se défendre ! Ah non : l’infâme Israël ne passera pas !

Effarée par ce déferlement de mots doux que je lis sur la toile, moi, l’Israélienne moyenne de la petite ville portuaire d’Ashkelon, je médite. Je songe à ma ville d’abord. Ashkelon, située à 19 km de Gaza, Askalon qui a donné son nom aux échalotes, jeunes oignons qu’on trouve pourtant rarement dans les supermarchés ou alors à un prix tel qu’on préfère s’en passer. Ashkelon qu’ont abordée les Philistins, d’où fut issu le vilain Goliath, ce peuple de l’Antiquité venu de la mer Égée et totalement disparu depuis 3000 ans.

Moi l’Hébreue de France, revenue sur sa terre il y a 17 ans, je gamberge et me dis que forcément, j’ai dû louper l’épisode qui justifierait cette haine à notre égard. La clé de ce qui m’échappe est sans doute dans la phrase de l’ancien ministre de l’Éducation.

Comprenons : si les morts avaient été comptés des deux côtés, Israël serait aujourd’hui perçu différemment.

Bah oui, sommes-nous bêtes ? C’était si simple de nous faire aimer ! Faut juste nous faire tuer.

Cette phrase prononcée par toutes les belles gueules enfarinées d’Europe et d’ailleurs s’accompagne de la suivante : « Israël fait un usage de la force disproportionné ». Un binôme qui, soudain, trouve ici toute sa logique. Car si Israël ne compte aucun mort, c’est que forcément, ces assassins pervers et immoraux que sont les Israéliens ne combattent pas à armes égales !

Pour ceux que j’ai perdus, explication : comprenez que, pour ces gentlemen de la toile, les plus forts doivent être fair-play et se débarrasser des armes susceptibles d’assurer la survie des leurs. Vouloir se protéger, c’est légitime en soi, mais bon sang de bonsoir, point trop n’en faut ! Désirer se protéger à tout prix, ce n’est pas un peu abusé ??

Mes frères israéliens, mettons-nous donc délibérément à la portée de l’assaillant, au sens propre comme au figuré.

Il nous faut absolument répartir les morts dans les deux camps pour rétablir l’égalité ! C’est plus chic et nettement plus moral !

Allons, il est temps : Jetons donc un œil sur le protocole de nos grands penseurs éthiques :

Règle de morale 1 :

Si un mec s’élance vers toi avec un beau couteau rutilant (ou pas), dans l’intention de te faire la peau ou de t’égorger dans les règles de l’art (ou pas), et que toi tu es pourvu d’un pistolet, balance vite fait ton arme à feu et cours chercher un canif dans le tiroir de ton grand-père.

Après tout, c’est toi qui l’as énervé en lui volant une terre asséchée qui ne lui appartenait pas et dont ses parents ignoraient même l’existence. Ah mais !

Règle de morale 2 :

Que tu aies le temps (ou pas) de parvenir au tiroir du buffet de cuisine de ton aïeul, cela ne regarde que toi : tu as toujours la possibilité d’utiliser ta tête (évidemment, tant que ton assaillant ne l’a pas décrochée de tes épaules) pour faire entendre raison à celui dont les yeux sont injectés de sang.

NON !

Quoi, non ?! Vous refusez ? Pourtant, si Israël avait adopté avec grâce cette méthode, on aurait eu, comme l’éthique l’exige, des morts ex aequo ; l’usage de la force n’eût pas été disproportionné, et la morale eût été sauve.

Quoi, qu’entends-je ? Les cris de certains de mes frères réfractaires à l’idée de se faire buter sans mot dire ?! Quoi ? Que dites-vous ? Que ce sont des terroristes ?

Que nenni, au nom de la morale, mes amis, je vous arrête : ce ne sont pas des terroristes, ce sont des RÉSISTANTS, des « Jean Moulin » comme je l’ai lu quelque part (non sans un hoquet stupéfait, je précise). Et les résistants, comme chacun le sait, ont toujours raison, non ?

C’est la raison pour laquelle, mes frères israéliens, mon cher peuple, ce serait quand même judicieux qu’on compte quelques morts dans nos rangs. Allez, faites un effort bon sang ! Il en va de la morale, entendu que la raison du plus faible est désormais toujours la meilleure.

D’où sors-je ça, vous demandez-vous encore ? Ce sont les penseurs pensant haut qui l’affirment : les supers z’umanistes européens, les condamneurs onuesques et nos sauveurs gauchos qui tapent de leur main droite sur leur clavier et lèvent la gauche (forcément) pour dire « Je le jure ». Aucune raison de ne pas les croire.

Moi comme vous jusqu’ici, je croyais mordicus que la morale était un ensemble de principes et de règles qu’une société se donne en vue de faire triompher le bien sur le mal. Avouez que ce n’est pas une mince affaire, et que les limites sont parfois difficiles à cerner. Eh bien c’est comme tout : quand une difficulté se pose, il faut l’assainir. Des Pirkei Avot à la Gay Pride, en passant par la philosophie d’Aristote, la morale a fait couler beaucoup d’encre. Qu’on brûle tout ! C’en est fini, il faut simplifier les choses.

La morale, mes amis, c’est désormais le fait de s’opposer au bon sens. Ni plus ni moins. Exit la légitime défense, pffftt sur l’instinct de survie, tchao l’évidence du devoir de protéger les siens ou ses enfants.

La morale est désormais la suivante : ce qui relève de la nature humaine est vu comme suspect, et ce qui est contre l’humain même devient la norme vertueuse.

CQFD.

Ah, vous ne voyez pas le rapport, les petits malins ? Âmes damnées, dépourvues d’empathie que vous êtes ! Héritiers des nazis !

Et puis d’abord taisez-vous ! Car vous êtes du mauvais côté de l’Histoire.

Mettez-vous bien dans le crâne que la liberté d’expression ne vaut que pour les plus faibles. Chez les autres, c’est-à-dire les Israéliens, c’est du pur totalitarisme.

Que ceux qui choisissent la vie coûte que coûte adoptent profil bas et enfilent leur bonnet de honte. Il est temps pour les Israéliens de s’auto-flageller et d’accepter le verdict : nous sommes vivants mais nous sommes des vauriens. D’ailleurs, ceux qui veulent sauver leur âme à défaut de leur corps sont invités à se désolidariser d’Israël et à répéter ça en boucle sur tous les plateaux de télévision : « Nous sommes des monstres ».

Jaquouille la morale a dit ! Hugh !

Voilà, j’espère à présent que tout le monde a bien compris.

Pauvres mamans palestiniennes n’ayant d’autre choix que de faire de leurs progénitures des boucliers humains ! Pauvres pères palestiniens, (tellement plus performants que le Patriarche Abraham) qui sacrifient chaque jour leurs gosses en sanctifiant Allah (il pousse quand même le Dieu des Juifs d’avoir aboli à cette occasion le sacrifice humain ! Comment on va faire, nous, maintenant, pour nous illustrer, hein ?!)

Peu de chances de les faire tuer, ces pauvres gosses palestiniens. « Peu », c’est énorme. Enfin, c’est énorme pour les Israéliens, et colossal pour les bien-pensants. Mais ce n’est pas terrible pour le Hamas.

De toute façon, les soldats Israéliens ne tirent pas sur les enfants, se marrent les Zorros verts masqués. Et comme en plus, ils visent bien, il n’y a pas grand-chose à craindre. Peut-être un gosse de temps en temps qu’ils ne peuvent éviter. Pas grave, on saura en faire des martyres. Ne craignez donc rien, mères palestiniennes ! Les probabilités sont faibles. Et au pire, vous toucherez le pactole et les consolations de l’Europe. Vive la résistance !

Allez les héros, foncez, escaladez la barrière de sécurité, infiltrez-vous dans les maisons israéliennes. Le monde et la morale sont derrière vous, puisque vous êtes les plus faibles !

© Yaël Bensimhoun

Diplômée  de littérature  française, Yaël Bensimhoun s’est établie en Israël il y a près de 20 ans . C’est là qu’elle conjugue  l’amour  de sa langue d’origine et celui du pays  auquel elle a toujours senti appartenir. Elle collabore depuis plusieurs années à des journaux et magazines franco-israéliens.

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

1 Comment

  1. Vous avez raison sur toute la ligne, malheureusement ! J’aimerais tellement pouvoir dire le contraire. Après un débat fatigant avec une désormais ex-amie, elle me lance « pourquoi tu les défends, tu n’es même pas juive ». « Ils », ce sont bien sûr les Israéliens. Je les défends autant que je peux, mais c’est trop peu. Nous, les amis d’Israël, on se sent un peu seul. Am Israël chai

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*