Le Défilé des Fantômes — Londres, Stockholm, Berlin, Munich. Par Charles Rojzman

Je les ai vus d’abord dans les rues de Londres.

Pas dans les quartiers chics, où l’élégance sert de muraille, mais dans ces avenues où les civilisés passent en baissant le regard, comme on traverse un cimetière la nuit.

Des silhouettes drapées de noir, traînant leurs voiles comme des linceuls vivants.

Des niqabs lourds, carrés, opaques comme des coffres funéraires.

Des gants noirs même sous la pluie anglaise, cette pluie fine qui ne lave jamais rien.

Des hommes en qamis blancs, immaculés, avançant comme si chaque pas était un verdict.

Puis je les ai vus à Stockholm.

Stockholm, la ville propre, la ville qui sent le pain chaud et les illusions bien rangées.

Dans certaines rues, pourtant, ce sont des tombeaux qui se déplacent :

Des femmes enfermées dans des abayas qui glissent sur le sol glacé comme des cercueils sur un lac gelé.

Des barbes épaisses, huilées, qui ressemblent à des bannières de guerre.

Des regards droits, impassibles, qui ne voient pas les passants — ou les voient déjà morts.

L’islamisme a trouvé dans ces villes polies son théâtre préféré.

Ce sont des villes trop civilisées pour imaginer que les fantômes peuvent tuer.

Et alors je repense à Berlin.

À Munich.

Aux années 20 et 30.

Les premières processions nazies avaient, elles aussi, la même allure de mascarade.

On les voyait défiler comme on regarde des étudiants ivres après une fête trop longue :

chemises brunes mal boutonnées, bottes trop cirées, casquettes inclinées avec la prétention ridicule des soldats improvisés.

Ils ressemblaient à des garçons de brasserie jouant à la guerre, à des figurants de carnaval déguisés en officiers prussiens.

Berlin riait.

Munich riait.

Toute l’Allemagne, en vérité, riait — un rire jaune, un rire fatigué, mais un rire quand même.

On disait :

— Ces types-là ? Des bouffons.

— Hitler ? Un pitre qui hurle comme un cabotin de foire.

— Ces brassards rouges ? On dirait les décorations d’un cirque ambulant.

Ce rire, c’était déjà une reddition.

Les Européens n’ont pas compris que le ridicule est la première ruse du totalitarisme.

Dans les rues de Londres, de Stockholm, de Berlin hier, de Munich jadis, le même mécanisme se répète :

la civilisation regarde le fanatisme comme un spectacle.

Elle croit voir des costumes, alors qu’elle voit des uniformes.

Elle croit voir des traditions, alors qu’elle voit une conquête.

Elle croit voir une religion, alors qu’elle voit une armée.

Les niqabs noirs à Londres sont les chemises brunes de 1923.

Les barbes rigides de Stockholm sont les moustaches d’Hitler — grotesques mais dangereuses.

Les gants noirs des femmes voilées sont les bottes allemandes : un code.

Une appartenance.

Un futur.

Un précipice.

Les Européens d’aujourd’hui se disent :

— Cela n’a pas d’importance.

— Ce ne sont que des vêtements.

— Ce n’est pas sérieux.

Les Allemands disaient exactement la même chose en 1931.

Ils riaient du nazisme comme nous rions de l’islamisme.

Ils croyaient que le grotesque ne mène à rien.

Ils croyaient que les clowns ne font pas l’histoire.

Ils ont découvert que l’histoire adore les clowns — surtout lorsqu’ils sont armés.

Londres, Stockholm, Berlin, Munich :

mêmes rues, mêmes aveuglements, mêmes fantômes.

Le ridicule pour façade.

La mort pour arrière-boutique.

Le rire des civilisés est toujours la première victoire de leurs ennemis.

La dernière, c’est leur silence.

© Charles Rojzman

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3 Comments

  1. Comparer le choix des Musulmans de vivre dans le respect, certes strict, de leurs convictions, avec le nazisme d’avant-guerre m’apparaît un postulat insultant pour la communauté musulmane toute entière, mais aussi dangereux, malsain et destructeur dans le cadre de notre société pluri-culturelle et pluri-confessionnelle !

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