Témoignage 13/11/2015- « Je n’ai pas imaginé que j’allais réussir à me relever un matin. Je n’ai pas imaginé que j’allais me remaquiller un jour. Je n’ai pas imaginé que j’allais me marrer ou que j’allais danser. Avec la mort, la vie ne s’arrête pas »

Aurélie Silvestre

Portrait d’Aurélie Silvestre
© Bénédicte Roscot

« La vie ne s’arrête pas » : après la mort de son compagnon lors du 13-Novembre, Aurélie Silvestre raconte comment elle s’est relevée de ce drame

Dix ans après la mort de son compagnon lors du 13-Novembre, Aurélie Silvestre raconte comment sa famille a traversé cette épreuve.

Il y a dix ans, Matthieu Giroud était tué au Bataclan. Il fait partie des 132 morts des attentats du 13 novembre 2015. Le géographe de 38 ans est mort en laissant derrière lui un petit garçon de 3 ans et une petite fille à naître que portait encore sa compagne Aurélie Silvestre. Elle le dit elle-même : ce sont ses enfants, Gary et Thelma qui l’ont sauvée. Ils ont aujourd’hui 9 et 12 ans.

C’est pour eux, notamment, qu’elle écrit et choisit de parler de leur histoire et de celle de leur père. Elle a publié en 2016 Nos 14 novembre, et plus récemment Déplier le cœur, le 10 octobre aux éditions du Seuil. Un livre poignant, comme le sont les mots qu’elle nous a confiés. Elle y évoque le procès des attentats qui s’est déroulé en 2021-2022. Chaque automne, Aurélie Silvestre est particulièrement affectée, assaillie de douloureux souvenirs. « Chaque mois de novembre est compliqué à gérer, confie la quadragénaire. Il y a quelque chose qui arrive de l’extérieur : la lumière, le froid, certaines sensations. Puis chez moi, ça se manifeste par une forme de recueillement qui arrive au fur et à mesure. Je suis moins là, je suis un peu plus triste, je sors moins, je fais plus de sport. Ça, c’est chaque année. »

« Je n’imaginais pas cette vie qui a commencé le 13-Novembre »
Cette année, avec les dix ans des attentats du 13-Novembre, est particulière. « Il y a autre chose qui s’ajoute avec cette idée du bilan et c’est malgré nous parce qu’on n’a pas à le faire, explique-t-elle. On n’est pas des victimes professionnelles, et pour autant, c’est là. Dix ans, c’est énorme et ce n’est rien du tout. Je n’ai pas imaginé que j’allais réussir à me relever un matin. Je n’ai pas imaginé que j’allais me remaquiller un jour. Je n’ai pas imaginé que j’allais me marrer ou que j’allais danser. Je n’imaginais pas cette vie d’inédits qui a commencé le 13 novembre 2015. C’est quelque chose que j’ai découvert que je ne savais pas : ‘avec la mort, la vie ne s’arrête pas.' »

Je voulais ne pas oublier. En fait, je voulais me souvenir et je voulais qu’il y ait un endroit où mes enfants pourraient retrouver leur père et qu’ils comprennent à quel point ils viennent d’un socle d’amour hyper fort.
J’ai l’habitude de dire que mes enfants m’ont sauvée. Déjà littéralement, ils me sauvent ce soir-là. Si je n’avais pas été enceinte et si Gary n’était pas en train de dormir, je serais sans doute allée au concert donc, en ça, ils m’ont sauvée. Ils m’ont sauvée aussi ensuite, car j’ai été obligée de prendre soin de moi pour mener à terme ma grossesse puis pour donner au quotidien un cadre à mon petit garçon de 3 ans », confie la quadragénaire qui explique que ses enfants vont bien aujourd’hui. Gary a 13 ans. Il est « taiseux », comme le sont souvent les garçons de son âge. Thelma a 9 ans. « Elle a besoin de beaucoup plus verbaliser son histoire, de poser souvent des questions », explique sa maman. « Eux n’ont pas le souvenir de la vie d’avant donc leur vie est telle qu’elle a toujours été. Ceci étant dit, ils grandissent sans père. Donc ça n’est pas une enfance complètement normale », conclut Aurélie Silvestre.

L’idée « d’une vie qui ne s’arrête pas », Aurélie Silvestre l’a éprouvée quand elle a donné vie au printemps 2016 à une petite fille qui ne connaîtrait jamais son père. Elle l’a aussi éprouvée au procès des attentats devant les assises spécialement composées à Paris de septembre 2021 à juin 2022. Au départ, elle ne voulait pas assister à cette audience.

Pendant six ans, elle était restée recroquevillée sur son chagrin, prise par la nécessité d’élever ses enfants. Elle connaissait très peu le dossier pénal, l’enquête sur cette cellule terroriste. Elle a été finalement happée par ce rendez-vous judiciaire au point d’y consacrer la majorité de ses journées pendant dix mois, très assidue sur les bancs des parties civiles. « J’avais une grande appréhension d’aller au procès et de me connecter aux faits, se souvient-elle. Il y a des accusés. C’est violent, un tribunal. Je n’imaginais pas qu’en allant au procès, j’allais aussi me prendre dans la vue, la tendresse sur les bancs, les familles qui sont là, qui se tiennent la main, qui se réconfortent, les larmes qui coulent mais qui sont essuyées par d’autres. J’ai été vraiment cueillie, ça a rendu tout plus fort. On a été dans une intensité pendant dix mois qui a été un peu une drogue dure. C’est-à-dire que tout à côté peut paraître fade quand on rit et qu’on pleure si fort à cet endroit. »

Un témoignage poignant lors du procès
Aurélie Silvestre a aussi choisi de témoigner au procès. À la barre, face aux juges, sous le regard des accusés, avec dans son dos les autres parties civiles, plusieurs membres de sa famille, elle a dit un long texte qui a cloué tout le monde dans la salle. Elle y raconte avec détails l’annonce de la mort de son compagnon Matthieu, les minutes, les heures, les jours d’après… Le texte a été publié sur le site de Radio France(Nouvelle fenêtre) le soir même. Il est devenu immédiatement viral.

C’est à partir de ce moment que la quadragénaire s’est saisie réellement du récit de son histoire dans l’idée de la partager. Avec l’association française des victimes de terrorisme, elle va aujourd’hui dans les lycées, les prisons parler de ce qu’elle a traversé. « Ça ouvre des territoires de discussion, explique-t-elle. Ça nous donne une sorte de super pouvoir. J’ai des discussions avec des élèves ou avec des détenus qu’un professeur ou qu’un agent pénitentiaire ne peut pas avoir. Je suis allée rencontrer des jeunes de la protection judiciaire de la jeunesse récemment. J’avais dans les jeunes que j’ai rencontrés des gens condamnés pour apologie du terrorisme. J’ai eu une discussion sur la vengeance avec l’un d’eux qui m’a dit : ‘Moi, si on me fait ce qu’on vous a fait, ben je le tue.’ De là où je suis moi, si je le regarde dans les yeux, je lui dis : ‘Et après, on fait quoi ?’ Dans ce silence, il y a plein de choses et ça débloque une discussion sur la vengeance, la colère, la haine et c’est hyperpuissant. En fait, je me dis que c’est utile. »

Ne pas développer de haine
Après les lycées et les prisons, l’étape suivante pourrait être la justice restaurative, ces rencontres après procès entre des victimes et des criminels. Salah Abdselam, seul membre du commando du 13 novembre 2015 en vie et condamné à la perpétuité incompressible, par la voix de son avocate Olivia Ronen a fait savoir sur franceinfo mardi qu’il était favorable à de telles rencontres avec des victimes du 13-Novembre.

Aurélie Silvestre n’a pas attendu cette déclaration pour s’engager dans cette voie. Elle est en instance de médiation avec une personne mise en cause dans un autre dossier pénal mais sur le même thème du terrorisme et de l’islam radical. « Je me suis rapprochée de l’Institut français de justice restaurative assez vite après le procès, parce qu’on a fait une pré-expérience de justice restaurative en passant dix mois dans cette salle, expose-t-elle. Moi, le premier jour, j’arrive et j’ai une peur panique des accusés. Le dernier jour, c’est mon avocate qui s’adresse à eux quand j’ai besoin de leur parler. Il y a eu un glissement comme ça, très naturel. Je sais qu’il y a des gens pour qui c’est important d’imaginer que ces gens sont des monstres, que ça leur permet de tenir. Moi, c’est vraiment tout l’inverse et je ne suis pas seule. Il y a un endroit en moi que ça réconforte de me dire : ‘Bon, ça a évidemment foiré dans les grandes largeurs, mais quand même, ces gens sont évidemment des êtres humains’. On peut en douter parce qu’ils nous font en douter mais en réalité, c’est le cas. »

« Déconstruire le monstre, me dire qu’en fait, ces gens ‘ne sont pas terroristes toute la journée’, – je le dis parce que j’en cite un qui a dit ça -, ça me fait du bien. »
Ne pas développer de haine pour contrer précisément la barbarie. C’est dans cet état d’esprit qu’Aurélie Silvestre assiste aux commémorations dans Paris, ce 13 novembre.

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1 Comment

  1. merci pour votre cri du cœur
    lorsque les pires choses arrivent
    on n y croit pas et pourtant
    l horreur est bien là devant nous
    vous allez vous relever
    mais vous n oublierez jamais

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