
L’avertissement du contre-espionnage allemand, qui vaut pour nous tous
On pensait la guerre froide terminée depuis longtemps. On s’était juste un peu trompé. Elle s’était assoupie, pensant jouir d’un repos bien mérité. L’Ouest pensait que depuis la chute du mur de Berlin (09/11/1989), que la Stasi s’était volatilisée, oui, sauf pour le Kremlin. Autant de bons serviteurs et loyaux sujets actifs ou « dormants » d’abord en Allemagne, mais pas seulement. Berlin est désormais en première ligne face à Moscou. Ça se confirme depuis la décision allemande de se réarmer et de devenir la première force conventionnelle d’Europe. Devant cette réalité, l’espionnage russe, lui, s’est redéployé. Il s’est parfaitement adapté.
Au fil des récentes révélations du Bundesamt für Verfassungsschutz (BfV Contre-espionnage allemand) et de ses homologues allemands. Il pratique désormais un espionnage hybride. il apparaît que la Russie ne se contente plus d’espionner : elle recrute désormais des agents « jetables », cible les infrastructures civiles et teste le socle de l’OTAN, dont la France est un membre éminent. Autrement dit : la guerre froide n’est pas terminée — elle a simplement changé de costume.
1. Une menace repensée
Au printemps 2025 déjà, les dirigeants du renseignement allemand déclaraient que l’espionnage et le sabotage russes avaient atteint un « niveau inédit ». Plus récemment encore, le BfV a mis en garde contre une augmentation visible de « l’infiltration, de l’espionnage et des actes de sabotage », visant tout autant les secteurs militaires que ceux de la logistique ou de l’énergie. Ukrinform+1. On n’a peu évoqué en France divers incidents qui ont perturbé le trafic SNCF tels qu’incendies inexpliqués de centres de contrôle d’aiguillage ou mis hors d’aiguillages électroniques, hôpitaux ou autre établissements publics cyber attaqués, hôtels de régions, préfectures, etc… sabotages divers… infiltration à la préfecture de police de Paris (qui fit 4 victimes) Les réseaux sociaux et l’Intelligence Artificielle en sont devenus des partenaires plus qu’efficaces.
« Nous observons un comportement agressif de la part des services de renseignement russes. » président du BfV.
La Russie, qui s’était longtemps appuyée sur des « agents dormants » durant la guerre froide, adapte aujourd’hui ses méthodes : moins d’opérations spectaculaires, davantage d’acteurs furtifs, sans couverture officielle. Au-delà de l’espionnage traditionnel, c’est un profil « hybride » qui émerge. On a arrêté il y a quelques mois des citoyens bulgares auteurs de graffitis antisémites, d’autres qui ont agi de même au mémorial de la Shoah, cherchez l’erreur.
Les drones espions
On évoque régulièrement les survols de drones « non identifiés » dans les pays de l’OTAN, en France encore ces derniers jours. On affirme ignorer leur origine…On ne met pas en cause les moyens de notre défense aérienne, qui serait donc impuissante à les identifier, les empêcher de nous survoler ?
2. Le « modèle jetable » : quand l’espion devient remplaçable
Le scénario est clair : le BKA identifie une recrue via réseaux sociaux, elle est payée quelques centaines d’euros, effectue une tâche (repérage, collage d’affiches, drone amateur…), puis est « jetée ». Le nouveau terme est celui d’agent « jetable ».
On observe rigoureusement le même mode opératoire en Israël au service de l’Iran. On signale dejà diverses arrestations et d’autres que nous ignorons.
Pour la Russie, on ajoutera aujourd’hui l’Iran : peu d’investissement, peu de risques diplomatiques, peu de visibilité.
Et pour l’Occident : une asymétrie redoutable — beaucoup de petites actions, beaucoup de zones grises, peu d’éclats. Un casse-tête de contre-espionnage.
3. Pourquoi l’ancien modèle n’a pas disparu
On pourrait croire que la fin de l’URSS, l’ouverture des frontières et la « fin de l’histoire » signaient la retraite des espions classiques. Mais non. L’analyse du BfV dans les années 1990 le prévoyait déjà :
« Il faut supposer… qu’un nombre indéterminé d’individus issus de divers anciens services de renseignement continuent d’opérer illégalement en République fédérale d’Allemagne. » Ukrinform. On doit prendre en compte tous les anciens de la Stasi qui se sont trouvé au chômage du jour au lendemain. Certains ont repris du service en Allemagne de l’Ouest, d’autres ont été embauchés par Moscou. On se souvient que le président russe était le chef du KGB en Allemagne de l’est…
En 2025, les faits parlent d’eux même : la tradition clandestine s’est adaptée.
Les frontières européennes, sont devenues des passoires et le nombre croissant d’immigrés et de clandestins accéléré le processus d’agents n’ayant servi leur donneur d’ordre « qu’une seule fois »
4. Quelles sont les cibles ?
- Infrastructure critique & chaînes logistiques : le repérage de bases militaires, d’acheminements d’armes vers l’Ukraine, la logistique lourde. On a vu l’Iran agir de même en Israel.
- Information, influence et cyber-opérations : message ciblé, bots, faux comptes, désinformation. Le champ d’action s’élargit.
- Population civile / usage indirect : les nouvelles recrues ne sont pas de vrais professionnels, mais des acteurs marginaux attirés par l’argent vite gagné. Le tout est de semer le doute, la perturbation.
5. Le calcul russe : à quoi bon l’espionnage de la vieille école ?
- Le KGB ne veut pas abandonner des capacités qui peuvent encore servir : son « capital humain » formé depuis des décennies.
- Le coût d’un « dormant » classique reste élevé (langue, couverture, insertion), mais pour Moscou, c’est un pari stratégique, pas une dépense.
- L’environnement technologique et géopolitique rend l’infiltration plus subtile : couverture civile, université, mariage, double nationalité. Le BfV l’a déjà relevé.
Ainsi, il ne s’agit plus seulement d’apprendre « quoi » espionner, mais « comment » sans se faire repérer.
6. L’alerte allemande : pourquoi maintenant ?
Plusieurs facteurs convergent :
- L’appui de l’Allemagne à l’Ukraine, la militarisation de la chaîne logistique, font du pays un champ d’espionnage.
- La perception d’une Russie qui considère désormais l’Allemagne comme son adversaire direct Nr un en Europe.
- La multiplication des petits incidents (drones, repérage, sabotage) qui dessinent un « hybride » entre guerre et espionnage classique.
- Et, plus récemment, l’émission publique d’avertissements. Le BfV et la BKA lancent des messages clairs : surveillez votre voisinage, ne répondez pas à des offres douteuses sur les réseaux sociaux.
« N’acceptez pas d’être un agent jetable. » Campagne de la BKA (sept. 2025) Arab News
7. Quelles marges de manœuvre pour la France et l’Europe ?
Même si l’alerte part d’Allemagne, les enseignements sont transposables :
- Vigilance accrue : toute offre en ligne de « petit boulot bien payé » mérite scepticisme.
- Renforcement du contre-espionnage civil : les agents ne portent pas toujours un imperméable ou un passeport estampillé « espion ».
- Partage d’information transfrontalier : un drone filmant une base allemande peut être le signe d’une action dirigée depuis Moscou mais ayant un pan européen.
- Sensibilisation citoyenne : chacun peut être la porte d’entrée d’un réseau. L’espionnage à moindre coût joue sur l’ignorance.
8. Vers une nouvelle ère espion-sabotage ?
L’arme invisible se pare d’habits ordinaires : étudiant russe, travailleur détaché, influenceur recruté. Le modèle est évolutif.
Et les « dormants » classiques ne sont pas enterrés : ils sont peut-être simplement en sommeil, prêts à être réactivés. Le BfV l’a souligné : « un nombre indéterminé continue d’opérer ». Ukrinform
L’attention doit donc porter autant sur la reprise d’anciens réseaux clandestins que sur l’éclosion de nouveaux dispositifs hybrides. Les réseaux sociaux sont devenus un moyen efficace, bon marché et discret pour rechercher des candidats à l’affut d’un petit boulot, ponctuel et qui rapporte. Une technique similaire est utilisée par le crime organisé, comme on a pu le constater à plusieurs reprises en France et en Europe.
Conclusion
Le message est clair : l’espionnage russe n’a pas pris de vacances. Il a changé d’habits.
Tandis que les dirigeants européens, en proie à d’autres urgences, pouvaient penser que l’ère des « espions dormants » était terminée, les services de renseignement allemands tirent la sonnette d’alarme. Espionnage, sabotage, influence : le spectre s’élargit
Alors que les frontières de la guerre sont de plus en plus minces et devenues très poreuses, une question se pose : serons-nous prêts à les surveiller, quels que soient les visages de ceux qui les franchissent ?
Ainsi va notre monde,
© Francis Moritz
Francis Moritz a longtemps écrit sous le pseudonyme « Bazak », en raison d’activités qui nécessitaient une grande discrétion. Ancien cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine. Fils d’immigrés juifs, il a su très tôt le sens à donner aux expressions exil, adaptation et intégration. © Temps & Contretemps