
La peur qui se propage au sein de la communauté juive de New York est viscérale.
Un socialiste musulman a été élu à la tête de la ville qui incarnait autrefois la sécurité des Juifs de la diaspora.
Depuis des semaines, dans les milieux juifs, on murmure la même question : que va-t-il se passer maintenant ?
On s’attend à une confrontation. On imagine des boycotts, des purges publiques et un maire qui osera enfin dire tout haut ce que la gauche militante n’a fait qu’insinuer pendant des années. On se prépare à un effondrement soudain, à un ennemi visible, à la levée des tabous.
Mais ce n’est pas ce qui va arriver.
Ce qui va arriver ne ressemblera pas à une attaque. Ce sera plutôt une étreinte lente et suffocante.
Zohran Mamdani n’a pas besoin de persécuter les Juifs pour redéfinir leur place à New York. Il lui suffit de les apaiser. Il le fera avec ouverture, courtoisie et charme. Après l’hystérie qui suivra son élection, le moindre geste de bienveillance apparaîtra comme une bénédiction. Un coup de fil poli à un rabbin. Une visite à un mémorial de la Shoah. Un message sur les réseaux sociaux condamnant l’antisémitisme.
La ville poussera un soupir de soulagement. Elle se croira épargnée. Et dans ce calme, le véritable projet pourra commencer.
Mamdani est issu du monde militant, où la question morale est le véritable champ de bataille. Il sait que la victoire ne consiste pas à anéantir ses adversaires, mais à les redéfinir. Son premier mandat ne sera pas axé sur la confrontation, mais sur la légitimité. Il se présentera comme le maire de l’inclusion, un homme empathique et rassembleur. Il lancera des groupes de travail et des tables rondes sur la haine et la diversité, à l’image d’une mosaïque civique idéale. L’Anti-Defamation League et l’American Jewish Committee seront invités, encensés et placés aux côtés de J Street (un groupe de pression juif de gauche), du Conseil des relations américano-islamiques, de rabbins « progressistes », de militants étudiants et de coalitions interreligieuses.
Cela ressemblera à un partenariat. En réalité, ce sera une rétrogradation.
À mesure que les débats passent de l’antisémitisme à toutes les formes de haine, la vulnérabilité juive se fond dans un vocabulaire moral universel qui ne reconnaît plus sa spécificité. Lorsque les organisations juives s’y opposeront, elles seront perçues comme repliées sur elles-mêmes, incapables d’évoluer avec la conscience « progressiste » de la ville. Et une fois le langage de l’exclusion remplacé par celui de l’égalité, les Juifs auront perdu la capacité de définir leur propre oppression.
Cette stratégie n’est pas nouvelle. Le groupe de travail national sur l’antisémitisme de l’administration du président américain Joe Biden l’a déjà perfectionnée. La Ligue anti-diffamation et d’autres institutions juives ont été invitées à participer, mais entourées d’organisations qui rejettent les définitions juives de l’antisémitisme. Présentée comme une mesure de diversité, elle n’a fait que diluer le problème. Les mises en garde contre l’antisémitisme déguisé en « antisionisme » ont été absorbées par de vastes débats sur la haine systémique. Mamdani reproduira ce modèle à New York et le présentera comme une forme de justice.
Il s’entourera également de ses propres « bons Juifs ». De jeunes militants éloquents, qui rejettent le lien entre identité juive et État d’Israël, seront érigés en symboles de modernité et de vertu. Ils apparaîtront à ses côtés lors d’événements, au sein de groupes de travail, lors de séances photos. Ils insisteront sur le fait que la sécurité des Juifs ne dépend pas d’Israël, que le sionisme n’est pas essentiel à l’identité juive. Ils aideront Mamdani à se présenter comme un ami des Juifs tout en démantelant les fondements moraux qui les ont soutenus.
Ce schéma n’est pas nouveau. Chaque génération de pouvoir antijuif a trouvé ses complices juifs. Les tsars avaient leurs courtisans, les Soviétiques leurs Yevsektsiya, l’Occident ses activistes intersectionnels. Ils sont toujours persuadés de sauver le judaïsme de lui-même. Mamdani ne réduira pas les Juifs au silence ; il les désignera comme ses représentants.
La politique de Mamdani suivra le même schéma bienveillant. Les jumelages avec Israël ne seront pas rompus, mais réévalués afin d’assurer un équilibre. Les programmes éducatifs ne dénonceront pas le sionisme, mais élargiront les perspectives. Des subventions municipales seront octroyées à des ONG qui prônent la paix tout en enseignant que l’appartenance à la nation juive est synonyme d’oppression. Chaque décision semblera juste. Chaque mesure paraîtra morale. Et, ensemble, elles remplaceront la sécurité juive d’après-guerre par une culpabilité postcoloniale.
Le véritable danger ne réside pas dans la colère de Mamdani, mais dans son calme. Il est jeune, passionné et ambitieux, mais s’il résiste à la tentation d’afficher son mépris, s’il choisit la patience plutôt que l’orgueil, il accomplira un exploit sans précédent : il montrera au monde comment isoler les Juifs sans jamais donner l’impression de leur nuire.
New York n’est pas une scène locale. C’est la capitale de l’ordre mondial d’après-guerre, le siège des Nations Unies, l’épicentre des médias, de la finance et de la diplomatie des ONG à l’échelle internationale. Ce qui s’y passe définit le code moral de l’Occident moderne. Si Mamdani parvient à redéfinir l’antisémitisme à New York, s’il réussit à faire passer l’érosion de la légitimité juive pour une évolution morale, il aura créé le prototype de l’isolement mondial des Juifs.
Les ONG s’en inspireront. Les universités l’enseigneront. Les maires européens le citeront. D’ici une décennie, ce sera la nouvelle norme démocratique de l’exclusion polie, un monde où les Juifs seront toujours invités, mais n’auront plus leur mot à dire sur ce que signifie la sécurité.
C’est la naissance d’une dhimmi- tude laïque moderne, un système où les Juifs ne sont tolérés que tant qu’ils renoncent à toute autorité pour s’exprimer. Elle n’est pas imposée par la religion mais par la vertu, non par la menace de mort mais par la crainte de la désapprobation morale. Elle promet l’égalité tout en rétablissant insidieusement la subordination, transformant la présence juive en un privilège conditionnel qui n’existe que par la volonté d’autrui.
Ce ne serait pas la première fois qu’un tel modèle fonctionne. Londres, sous l’actuel maire Sadiq Khan, a démontré comment le pouvoir pouvait désamorcer la vigilance juive sans hostilité ouverte. Khan a commencé par une approche plus conciliante, nouant des partenariats interreligieux et multipliant les gestes symboliques pour apaiser les soupçons. Avec le temps, l’antisémitisme à Londres s’est normalisé non par la violence, mais par la lassitude. La peur des Juifs a été requalifiée d’exagération. Israël est devenu un problème moral plutôt qu’un partenaire. Cette méthode a fonctionné car elle donnait l’impression d’un progrès. La politique de Mamdani s’inspire de cette même recette du charme et de la retenue, cette politique de l’empathie comme moyen d’effacement.
Depuis 80 ans, la civilisation occidentale considère l’antisémitisme comme le rempart moral qui définit sa décence. Si ce rempart s’effondre à New York, capitale de la légitimité mondiale, il s’effondrera partout. La diaspora perdra la protection civilisationnelle née du souvenir de la Shoah. Israël perdra le bouclier moral que ce souvenir lui conférait. Et le monde qui a jadis juré « Plus jamais ça » trouvera une nouvelle voie pour oublier, non par la haine, mais par la vertu.
Alors oui, les Juifs ont des raisons de s’inquiéter de Zohran Mamdani. Non pas parce qu’il va proférer des cris de haine, mais parce que le danger réside dans son attitude inverse : dans son sourire, son invitation, sa poignée de main devant la synagogue. La prochaine vague d’antisémitisme ne se manifestera pas par des cris, mais par des applaudissements. Elle se fera au nom de la justice.
Et d’ici à ce que cela soit terminé, cela aura redéfini qui parle au nom des Juifs et qui est autorisé à en faire partie.
© Guy Goldstein

Remarquable analyse de François Margolin : «Pourquoi beaucoup de Juifs new-yorkais ont-ils voté pour Zohran Mamdani ?»
https://www.lefigaro.fr/vox/monde/francois-margolin-pourquoi-beaucoup-de-juifs-new-yorkais-ont-ils-vote-pour-zohran-mamdani-20251110
Faut arrêter la parano et les interprétations ça se soigne
Très angoissant …. d’autant plus que c’est fort probable. Avant Sadiq Khan à Londres, nous avons eu à subir l’entreprise de séduction de Tariq Ramadan qui a fini par tomber le masque.
Le seul endroit où les juifs sont en sécurité, c’est Israël et c’est aussi le seul endroit où ils sont en capacité d’agir pour le bien de tous.
Excellente analyse. Et surtout très juste. Mamdani va nous rouler dans la farine mais en finesse et avec le sourire. Un immense danger.