Le mensonge tranquille de Gérard Larcher : quand la lâcheté se déguise en sagesse. Par Richard Abitbol

« Le mensonge en politique n’est pas seulement une faute, c’est une maladie du pouvoir. » — Hannah Arendt

Gérard Larcher n’est pas un extrémiste. Il n’est pas un polémiste. Il n’est même pas un homme d’ambition, au sens où la politique contemporaine dévore ceux qui rêvent de pouvoir. Il incarne au contraire cette France institutionnelle, tranquille, au ton feutré, qui aime à se croire gardienne des équilibres et des nuances. Mais c’est précisément cette tranquillité apparente qui rend son mensonge plus grave. Car à force de vouloir se situer « au-dessus de la mêlée », il finit par cautionner l’inacceptable : le brouillage moral.


Le faux équilibre d’un président du Sénat sans boussole

Depuis plusieurs semaines, Gérard Larcher répète qu’il ne saurait choisir entre La France Insoumise et le Rassemblement National. Son explication, donnée avec le ton professoral du sage : le RN aurait « une vision économique de gauche ». Ce serait donc, selon lui, un extrême symétrique à celui de LFI.
Cette affirmation, pourtant, relève de la prestidigitation politique. Elle flatte les journalistes, rassure les centristes apeurés, donne une illusion de hauteur morale — mais elle ne repose sur rien. Car quiconque s’intéresse un instant au fond des programmes sait que les deux visions économiques n’ont rien de comparable.

Le faux procès économique : entre colbertisme social et chavisme démagogique

Le mensonge de Larcher est d’abord intellectuel. En prétendant que le RN aurait une « vision économique de gauche », il amalgame deux traditions radicalement différentes :
• Le RN d’aujourd’hui s’inscrit dans une filiation gaulliste sociale : un État stratège, une souveraineté économique assumée, la défense du pouvoir d’achat, la relocalisation industrielle et la protection des classes moyennes contre les excès du mondialisme financier. C’est une économie mixte, régulée, pragmatique, ni libérale ni collectiviste.
• LFI, à l’inverse, s’apparente à une économie de rupture et de confrontation : étatisation des secteurs clés, confiscation fiscale, diabolisation de l’entreprise, hostilité aux marchés et recours permanent à la dette publique. C’est une vision chaviste, inspirée de l’Amérique latine de la faillite et du chaos.
Confondre les deux, c’est nier toute culture économique et historique. C’est faire croire que la défense du social — donc de la justice économique — serait un monopole de la gauche radicale. Or, la France a toujours eu une droite sociale, de De Gaulle à Philippe Séguin, en passant par Chevènement et même Rocard. Ce que propose aujourd’hui le RN relève de cette continuité : un colbertisme protecteur, pas un socialisme de confiscation.

Le RN n’est pas marxiste : c’est la droite sociale gaulliste revisitée

Le Rassemblement National, dans son incarnation actuelle, ne prône ni collectivisation ni lutte des classes. Il défend un colbertisme social, hérité de la tradition gaulliste et chevènementiste : un État stratège, la relocalisation industrielle, la protection des classes moyennes, la souveraineté alimentaire et énergétique, la régulation des excès de la mondialisation.
Cette ligne, que l’on pourrait qualifier de “souverainisme social”, se situe au cœur même du gaullisme historique — ni libéral pur, ni socialiste révolutionnaire. C’est une économie de la production réelle, du travail, de la stabilité, pas du ressentiment ni du pillage fiscal.
La gauche radicale, elle, a choisi une autre voie : celle du chavisme hexagonal. Une économie de rupture, anti-entreprise, anti-propriété, où la fiscalité punitive devient arme de guerre idéologique. La dette n’y est plus un outil, mais une idéologie. La redistribution n’y corrige pas les inégalités : elle les entretient en détruisant les bases mêmes de la prospérité.
Comparer les deux, c’est confondre un gaulliste de gauche avec un disciple de Chávez. Autrement dit, c’est un contresens intellectuel absolu.

Un argument économiquement absurde, moralement dangereux

Si Gérard Larcher était sincère lorsqu’il dit que son vote dépendrait du seul critère économique ou social, il devrait choisir le RN sans la moindre hésitation. Ce serait, dans sa logique, le choix du réalisme et du pragmatisme contre la chimère bolivarienne.

Mais il ne le fait pas. Pourquoi ? Parce que son argument n’est pas un raisonnement : c’est un paravent. Larcher sait parfaitement que le RN ne menace ni la République, ni l’économie française, ni la démocratie. Il sait aussi que LFI, par sa radicalité, ses accointances islamistes et ses ambiguïtés constantes sur l’antisémitisme, en est une menace directe.
S’il persiste à renvoyer les deux dos à dos, c’est donc par calcul, par peur de son ombre, ou pire encore, par hypocrisie institutionnelle. Car il faut le dire sans détour : Larcher ment. Et il ment en pleine conscience, avec le calme du notable qui se persuade que mentir pour ne pas froisser vaut mieux que dire la vérité et déranger.

Le mensonge tranquille : dire le contraire de ce que l’on pense

Le plus grave n’est pas ce que Larcher dit, mais ce qu’il tait. Car tout observateur lucide sait qu’en privé, dans l’isoloir, il ne voterait jamais pour LFI. Face à un choix entre un parti qui insulte la France et un autre qui la défend, il n’hésiterait pas une seconde. Et il n’est pas le seul : nombre de sénateurs, d’élus locaux et de cadres de la droite pensent comme lui. Mais eux, au moins, ont l’honnêteté de se taire.
Larcher, lui, fait l’inverse : il parle pour masquer.
Il fabrique un argument pseudo-économique pour éviter de parler de ce qui compte vraiment : la morale politique, la hiérarchie des valeurs.
Cette duplicité est d’autant plus grave qu’elle émane d’un homme censé incarner la sagesse républicaine. Lorsqu’un président du Sénat, troisième personnage de l’État, ment sciemment pour ne pas avoir à nommer l’antisémitisme de la gauche radicale, il ne protège pas la République : il la déshonore.

L’antisémitisme, ce test de civilisation que Larcher refuse de passer


Car le cœur du sujet est là : l’antisémitisme n’est plus discriminant. Il ne gêne plus. Il n’exclut plus. Il s’habille désormais des oripeaux de la “cause palestinienne”, se camoufle sous les slogans antisionistes et s’invite jusque dans les manifestations syndicales.
Or, LFI en est devenue le porte-drapeau politique. Ses députés tiennent des propos d’une violence inouïe contre Israël, détournent les mots, manipulent la souffrance des autres pour légitimer leur haine des Juifs. Leur discours est la réédition moderne de la vieille haine sous couvert d’humanisme
Et face à cela, Gérard Larcher ne dit rien. Il prétend que le RN et LFI sont deux “extrêmes”, et qu’il ne saurait choisir. Autrement dit : entre ceux qui haïssent la France et ceux qui veulent la défendre, il s’abstient. Entre les antisémites qui hurlent dans les rues et ceux qui refusent de les excuser, il équilibre.
C’est le degré zéro du courage.

Quand la droite renonce à elle-même


Ce silence poli, cette prudence compassée, c’est la maladie chronique de la droite française. Celle qui préfère les postures aux convictions, les circonvolutions aux principes. Celle qui a troqué le gaullisme pour la gestion, et la dignité pour la respectabilité.
Charles de Gaulle, lui, ne se serait pas réfugié derrière un “ni-ni” commode. Il aurait rappelé que toutes les opinions ne se valent pas, que la République ne pactise pas avec la haine, et que la France n’a pas vocation à se dissoudre dans le marais des lâchetés respectables
La droite d’aujourd’hui, incarnée par Larcher, a perdu cette boussole. Elle se croit morale parce qu’elle ne tranche pas. Elle se croit républicaine parce qu’elle ne dérange personne. Mais l’histoire ne retient pas ceux qui ne dérangent personne. Elle retient ceux qui choisissent — même seuls.

Conclusion : le courage de dire ce que tout le monde sait


Gérard Larcher sait qu’il ment. Il sait que son argument économique est fallacieux, que sa neutralité est une posture, et que sa prudence nourrit le mal qu’il prétend conjurer. Il sait qu’en refusant de condamner clairement LFI, il contribue à banaliser son antisémitisme et son danger pour la République.
Et pourtant, il continue. Parce qu’en politique française, le mensonge tranquille est devenu la norme
Le courage, désormais, n’est plus de parler : il est de nommer. De dire que la gauche radicale est devenue le principal vecteur de haine, que l’antisémitisme s’y porte comme un drapeau, et que refuser de choisir, c’est choisir malgré soi — choisir le pire.
Gérard Larcher restera sans doute dans les manuels pour sa longévité institutionnelle. Mais son héritage politique tiendra en une phrase : « Il savait, mais il n’a pas voulu voir. »
Et c’est peut-être là, pour la République, la plus dangereuse des trahisons.

© Richard Abitbol

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3 Comments

  1. Un article parfait qui résume la vie politique française. Il n’y a plus de grands hommes avec des convictions sincères, le charisme et la volonté c’est bien ce qui manque à nos leaders politiques.

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