

« Il s’était rendu coupable de haute mécréance, un crime par la pensée, il avait rêvé de révolte, de liberté et d’une vie nouvelle au-delà des frontières. » ( Boualem Sansal, 2084 la fin du monde).
On me dira que le titre de mon texte est un anachronisme, dans la mesure où, à l’époque de Montaigne, la France était une monarchie. Je répondrai que Montaigne, avec son idéal de gouvernance modérée, ainsi qu’avec ses idées de tolérance (religieuse) et de liberté (d’expression), était juste en avance sur son temps et que, profondément influencé par le « De Republica » de Cicéron, il a formalisé une partie des valeurs républicaines avant même que la République n’existe en France.
Comparaison, déraison et Raison
Montaigne et Sansal sont éminemment comparables : un demi-millénaire les sépare, le talent littéraire les relie. Tandis que le premier fut un contemporain des Guerres de Religion, qui ont vu s’affronter catholiques et protestants français ; le second a été témoin de la « décennie noire » algérienne, au cours de laquelle les civils se sont retrouvés au milieu du conflit qui opposait les groupes islamistes à l’armée. Les deux écrivains sont donc des intimes de la guerre civile : ils ont constaté de visu les dérives sanglantes du fanatisme religieux et ils en ont tiré les mêmes leçons.
Montaigne, le catholique modéré et Sansal, l’athée assumé, convergent en effet pour dénoncer l’incompatibilité des excès dogmatiques avec toute concorde civile. Pour se prémunir de l’intolérance religieuse qui conduit inéluctablement aux carnages, les deux écrivains s’en remettent au doute et à l’incertitude : « philosopher, c’est douter » dit Montaigne, « Il n’y a rien de plus certain que l’incertitude » écrit Sansal.
L’un comme l’autre, ils ont compris que la vérité est vivante, dynamique et qu’elle évolue au gré des avancées de la pensée philosophique et de l’approfondissement des connaissances ; soit l’exact contraire de la vérité prétendue révélée des intégristes, cette vérité immuable et par conséquent morte-née, puisque par nature incompatible avec la réalité et avec tout progrès scientifique.
Les islamistes, en ce qui les concerne, sont véritablement anachroniques : incapables de moderniser leurs paradigmes religieux et d’adopter une idée nouvelle, ils sont condamnés à une immaturité intellectuelle et affective à vie. Afin de conjurer l’angoisse de devoir penser par eux-mêmes en tenant compte des faits, ils se réfugient dans la superstition et dans la violence systématique à l’égard de ceux qui n’adhèrent pas à leur idéologie politico-religieuse. Un djihadiste, finalement, c’est juste Abou
Jacquouille al Fripouilli, un « Visiteur » du Moyen Age égaré en 2025 qui, en abusant de l’opium du peuple, a muté en Chucky, la poupée sanglante.
Résumons-nous : Montaigne, précurseur des Lumières, et Sansal, héritier des Lumières, fondent leurs analyses sur la Raison, une raison qui peut être assimilée à une asymptote vers la vérité ultime, par nature inatteignable. Contre le dogme, stérilisateur de la pensée et générateur d’intolérance autant que de violences, un seul remède, selon nos écrivains-médecins qui soignent les mots si vils et les maux civils : la liberté, la liberté qui se décline en liberté de conscience et en liberté d’expression ; la liberté qui induit la tolérance, donc le respect de l’altérité, et qui garantit par conséquent la paix civile.
Le plus français d’entre nous
Boualem Sansal n’est pas né français. Non seulement, il a choisi de devenir français, mais, de plus, c’est le français qui l’a choisi ; le français l’a choisi, lui, l’Algérien de père marocain, comme vecteur privilégié de transmission de la francophonie. Il ne s’agissait pas d’un mariage de raison, mais d’un mariage de passion. Le résultat de cette union heureuse est une œuvre littéraire lue et commentée dans le monde entier et dont, à mon humble avis, on n’a pas encore mesuré toute la portée. Combien d’écrivains sont en effet capables d’associer une écriture d’une rigueur toute scientifique -Sansal est ingénieur de formation- avec cette capacité à donner vie, chair et âme à ses personnages ? Ainsi, dans « Le village de l’Allemand », l’ancien SS Hans Schiller n’est pas seulement une abstraction terrifiante -allégorie du mal, de l’intolérance et de la violence totalitaire- il incarne aussi Hassan, un père de famille intégré au village algérien qu’il habite.
Boualem Sansal est donc français, français par l’encre versée au service du rayonnement de la langue française, français comme certains tirailleurs africains et maghrébins le sont devenus par leur sang versé au service de la République.
Au passage, on notera que le français impeccable des livres de Boualem Sansal est menacé par deux langues mortes-vivantes, deux langues-zombies, pourrissantes avant que d’être nées : d’une part, le dialecte « wesh », pour les classes populaires ubérisées des banlieues ; d’autre part, le « globish » technocratique, pour les élites politiques, médiatiques et économiques des grandes aires urbaines. Soit un lexique de quelques centaines d’onomatopées à éructer, pour le premier langage post-français ; et de quelques milliers de néologismes abscons et pontifiants, pour le second.
De la Renaissance à l’impotence
Alors que François Premier avait fait venir Léonard de Vinci d’Italie en France, Jean- Noël Barrot, minus dominici envoyé par Emmanuel Macron en Algérie au mois d’avril dernier, n’est pas parvenu à ramener Boualem Sansal à Paris. On comprend pourquoi le chef actuel de l’État, contrairement au vainqueur de Marignan, n’a pas besoin d’un Triboulet à ses côtés : entre les ministres incapables d’expulser les délinquants multirécidivistes sous OQTF et ceux qui échouent à rapatrier les otages français en Algérie et en Iran, il est déjà entouré d’un nombre suffisant de bouffons.
Parallèle historique consternant : 1516, le roi amène, d’Italie, la Renaissance en France ; 2025, le président admet, par rapport à l’Algérie, l’impotence de la France.
Je me demande si ce n’est pas son amour immodéré pour la langue française qui vaut à Boualem Sansal de croupir depuis bientôt un an en prison, abandonné par la diplomatie française et ignoré par le président de la République, qui n’a pas daigné répondre à la lettre bouleversante des filles de l’écrivain. Un président qui a affirmé
« il n’y a pas de culture française » ne se satisferait-il finalement pas de voir l’un des plus illustres auteurs du monde francophone emprisonné et, par conséquent, dans l’incapacité de publier de nouvelles œuvres ?
C’est Mozart qui assassine !
Si, dans le domaine économique, le Mozart de la finance a totalement échoué (avec plus de 3000 milliards de dettes), en revanche, il peut se targuer d’être devenu l’Attila de la culture : sous son gouvernement, Notre-Dame de Paris est partie en fumée, les églises sont régulièrement dégradées et pillées, Boualem Sansal est embastillé et le Louvre est cambriolé par des racailles en scooter, comme si le plus prestigieux musée du monde était juste une supérette de cité dite « sensible » (trad : passée sous le contrôle conjoint des salafistes et des narcotrafiquants).
L’un des auteurs présumés de ce casse du Louvre vient d’être interpellé alors qu’il partait en direction de l’Algérie, l’Algérie qui détient déjà l’un des joyaux du patrimoine français ! Ce joyau (littéraire), c’est, bien entendu, Boualem Sansal que l’État français n’a pas mieux protégé que le Louvre… Les circonvolutions cérébrales de l’écrivain retenu en otage sont d’ailleurs semblables aux galeries du Louvre : elles abritent des trésors culturels, non pas des trésors du passé, mais des trésors du futur, contenus dans les livres que Sansal a encore à écrire.
Étrange pays que la France, qui préfère conserver sur son territoire des délinquants multirécidivistes sous OQTF, plutôt que de rapatrier un auteur qui fait sa gloire littéraire internationale ; étrange chef d’État que ce président, qui menace presque quotidiennement la Russie, puissance dotée de plus de 4000 ogives nucléaires, mais qui courbe la tête face aux insultes, provocations et humiliations des autorités algériennes à son égard…
Le roi, l’écrivain et le président
L’Histoire a surnommé François Premier « le Restaurateur des Lettres ». Si jamais Boualem Sansal venait à mourir en prison, sans intervention décisive du président français, ce dernier sera-t-il qualifié de « fossoyeur des lettres » ?
Comme Montaigne, Boualem Sansal contribue à la diffusion de la langue française dans le monde ; comme Montaigne, il appartient au patrimoine culturel français ; comme Montaigne, il est la France, la question ne se pose même pas. En revanche, il est permis de s’interroger sur celui qui devrait exiger et obtenir sa libération : hait-il la France ?
Par son œuvre engagée au service des valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité, indiscutablement, Boualem Sansal incarne la République. Qu’attend-on donc pour le nommer ministre de la Culture ?
Merci, Boualem Sansal.
© Marc Hellebroeck
.

Le gouvernement Macron et ses ministres qui ne savent plus ce qu’est la Justice ont oublié Boualem Sansal. Il va mourir dans les prisons algériennes.