
Il y a, à Gaza, un air de déjà-vu.
Depuis le cessez-le-feu du 10 octobre, les armes n’ont pas vraiment cessé de parler : elles ont simplement changé de cible.
Un Hamas affaibli par deux ans de guerre, mais non par la misère — ses cadres, bien nourris, continuent de capter à leur profit l’aide humanitaire — règle aujourd’hui ses comptes avec ses rivaux de toujours : les clans Doghmush, Abu Shabab, Al-Majayda, Astal.
Les bannières se ressemblent, les prières aussi, mais derrière le vernis religieux, c’est une guerre d’allégeances, de familles, de lignages.
Le Hamas « purifie » Gaza, mais Gaza n’a jamais cessé d’être une mosaïque de tribus : ce n’est pas une résistance idéologique, c’est une féodalité en huis clos.
Les uns tiennent les passages souterrains, les autres les points d’aide, d’autres encore les postes de police improvisés.
Chacun son fief, son chef, sa loyauté.
Les États arabes : la tribu, toujours la tribu
Ce théâtre n’a rien d’exceptionnel. Dans la plupart des pays arabes, le pouvoir s’est bâti sur des structures claniques que les indépendances n’ont jamais effacées.
La Tunisie avait le clan Ben Ali, qui gouvernait par alliance matrimoniale et par captation des rentes.
L’Égypte, le clan Moubarak, avec ses réseaux d’affaires et d’officiers loyaux.
L’Irak, le clan de Tikrit, celui de Saddam Hussein, où chaque haut gradé venait du même village.
La Syrie, le clan Assad, bâti sur la solidarité alawite de Qardaha.
L’Algérie, le clan d’Oujda, matrice du pouvoir FLN depuis Boumédiène.
Le Maroc, la dynastie chérifienne, qui a simplement sanctifié le clan royal.
Dans le Golfe, la tribu est encore la colonne vertébrale de l’État. Les frontières modernes ont été dessinées autour de familles régnantes ; on y gère les affaires du pays comme un patrimoine commun. Les ministères changent de nom, mais jamais de sang.
Le clan, c’est la véritable constitution invisible du monde arabe : une constitution de chair et d’allégeance.
La Syrie : quand les tribus reprennent le fusil
Depuis la chute d’Assad, le nouveau président Ahmed al-Sharaa affronte à son tour cette hydre à plusieurs têtes.
Son pouvoir repose sur une alliance de tribus bédouines qu’il ne contrôle pas toujours.
Et depuis le début de l’année 2025, ces tribus ont mené des massacres confessionnels contre des civils alaouites, druzes et chrétiens, comme le rapportent BFMTV et Le Point.
Des villages vidés, des familles massacrées, des provinces livrées à des chefs locaux.
Le nouveau régime, issu du chaos, prétend parler au nom de la nation syrienne, mais il n’est que le reflet d’une coalition de clans.
C’est un État tribal déguisé en République.
Al-Sharaa, qui doit son trône à l’alliance de ces tribus, ne peut ni les désavouer ni les désarmer. Les punir, ce serait scier la branche sur laquelle il est assis ; les ignorer, c’est admettre que l’État n’existe plus.
Le pouvoir syrien est devenu ce qu’il a toujours été : un arbitrage entre familles, un équilibre d’intérêts, un partage du butin national.
La France dans le miroir, la République dans le fossé
On croit ces logiques lointaines.
Pourtant, à mesure que les migrations s’intensifiaient, ces systèmes d’organisation ont traversé la Méditerranée, comme les langues, les recettes, et parfois les réflexes de survie.
Non pas que les individus les aient « importés » volontairement, mais parce qu’un mode d’organisation se transporte avec ceux qui l’ont pratiqué.
Les politiques de logement ont concentré les familles d’une même origine dans les mêmes ensembles ; les solidarités de parenté ont trouvé là un terrain fertile ; et la République, croyant accueillir des citoyens, a parfois hébergé des communautés refermées sur leur loyauté interne.
Ainsi, les quartiers dits « sensibles » fonctionnent selon des codes d’allégeance qui rappellent ceux des sociétés d’origine.
Les émeutes ? Souvent des affrontements de clans ou des ripostes collectives après une humiliation perçue.
Les règlements de comptes ? Des rivalités entre lignées, déguisées en guerres de points de deal.
À Marseille, des clans maghrébins affrontent des réseaux d’Afrique de l’Ouest ; à Dijon, ce furent des Maghrébins et des Tchétchènes.
À Molenbeek, en Belgique, Salah Abdeslam a pu se cacher cinq mois, protégé par un réseau de solidarité où l’omerta valait loi.
Partout, la même logique : le clan protège, le clan venge, le clan gouverne.
Le clan, ange gardien du barbu comme du caïd
C’est ce que les sociologues ne veulent pas voir : la solidarité de clan est le socle commun de réalités qu’on oppose d’ordinaire.
L’islamiste radical et le trafiquant de drogue obéissent au même code : loyauté, protection, honneur.
Le premier y cherche la pureté, le second la puissance ; tous deux s’abritent derrière le groupe.
C’est cette architecture invisible qui explique à la fois le succès de certains prédicateurs, la longévité des réseaux mafieux, et la difficulté à imposer la loi républicaine.
« J’appartiens à ma famille, à mon clan… »
Dans son livre Les Blancs, les Juifs et nous, Houria Bouteldja écrit :
« J’appartiens à ma famille, à mon clan, à mon quartier, à ma race, à l’Algérie, à l’islam. »
Tout est là.
Dans ces quelques mots se condense ce que l’on refuse de nommer : l’identité comme cercle de fidélité, la communauté avant l’individu, le clan avant la loi.
Cette logique, née dans le désert et perfectionnée par les régimes arabes modernes, s’est frayé un chemin jusque dans les banlieues françaises.
Et pendant que les intellectuels débattent de « discrimination systémique » et de « vivre-ensemble », le réel, lui, continue de parler la langue du clan.
On la retrouve dans ces territoires où la loi de la République n’entre plus sans escorte, où les pompiers sont accueillis par des guetteurs, les « choufs », où les écoles renoncent à certains enseignements « sensibles » pour éviter l’incident.
On la retrouve dans la peur muette de ceux qui déménagent — enseignants, fonctionnaires, familles modestes — parce qu’ils savent qu’ici, la République ne protège plus, que la loi commune ne vaut plus rien face à la loi du groupe.
Et c’est là le paradoxe français : ce qui est l’angle mort de toutes les analyses sociologiques — le clan, la tribu, la loyauté communautaire — est en réalité la pierre angulaire pour comprendre nos fractures.
C’est la clé de lecture manquante du djihadisme, des trafics, des émeutes, des atteintes à la laïcité, et de la fuite des habitants qui, eux, ont compris.
Ils ne fuient pas la pauvreté : ils fuient le clan.
Tant que l’on refusera de voir que la France se heurte moins à une idéologie qu’à une anthropologie, tant que l’on voudra soigner le symptôme sans nommer la structure, le clan, patient et silencieux, continuera de parler à la place de la République.
© David Duquesne
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Source : Tribune Juive https://t.co/O2JoPfwpeV
— cattan (@sarahcattan_) October 17, 2025

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