
Je vous propose un instant de revenir à l’été 1982. 40 ans pourraient sembler nous en séparer.
Tsahal est rentré au Liban Sud en juin 1982, pour en finir avec ce qu’on appelait, à ce temps-là : le Fatah land.
Une région au sud de Beyrouth, préemptée par l’OLP, chassé de Jordanie après que le Fatah et le FPLP, ait tenté de renverser le roi Hussein. Région libanaise où les groupes palestiniens ont établi leurs nouvelles bases. Et menant sans cesse, depuis celles-ci, des attaques terroristes de toutes natures et de tous formats contre Israël et à travers le monde.
C’est l’occasion – comme va le consigner, si incontournablement, Léon Poliakov (dans son étude De Moscou à Beyrouth, essai sur la désinformation, parue en 1983) de l’installation en furie lexicale masse médiatisée, dans un orage de stigmatisations absolues, de tout le renversement nominatif, visant à disqualifier et délégitimer l’existence d’Israël, 35 ans après sa création.
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L’après-guerre de 67 et la victoire d’Israël – qui interloqua beaucoup et rembrunit bien d’autres -, avait vu les groupes palestiniens être adoubés du qualificatif de « résistants ».
Leurs méthodes les plus féroces – telle la prise d’otages sanguinaire d’une école à Ma’alot – être magnifiées de « résistance palestinienne ».
Et l’OLP (une organisation « nationaliste bourgeoise » comme le pointait Gérard Chaliand à cette époque, et maffieuse d’évidence) n’était plus autrement définie que de « mouvement de résistance ».
Toutes ces opérations lexicales, notamment dans Le Monde diplomatique, et dans Le Monde ; ce « pédagogue de la classe intellectuelle française » comme le désigne ironiquement Poliakov.
Il s’agissait là d’un transfert – dans les mêmes milieux, notamment « chrétiens de gauche » et gauchistes, du PSU à certains gaullistes – des armoiries de la Résistance, dont le FLN algérien avait été gratifié en emphase rhétorique de soutien, par ceux-là.
Et ce, en dépit des méthodes de ce dernier. Méthodes dépravées et furieusement psychopathiques. Qui se plaçaient aux antipodes de l’éthico pratique, par lequel la Résistance authentique se définissait. Ainsi que Raymond Aubrac, par exemple, a pu le rappeler.
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Suivant un enchainement sémantique avalancheux, Israël sera, alors, à l’été 1982, massivement affublé des marqueurs pamphlétaires d’une nazification, adoptée des officines de propagande soviétiques des années 50-60. Une époque où l’accusation de « sionisme » était devenue lors des procès staliniens de ces années-là, un instrument de discréditation politique vers l’extérieur, et le chemin assuré d’une condamnation léthale pour l’intérieur.
La « Palestinophilie » affective et affectée (comme la nommait en son temps Léon Poliakov, précédant le Palestinisme idéologique de nos temps contemporains), s’ébrouait, ravie, dans ce qu’Alain Finkielkraut avait vu venir, une année avant 82, dans L‘Avenir d’une négation : « le Conflit israélo-palestinien est pris dans un mécanisme de résurrection et de déguisement, qui le situe au niveau de la grande tragédie hitlérienne ».
C’est là le sort récurrent des « avertisseurs d’incendie », comme les nommait Walter Benjamin, d’être réduits au rôle du chœur dans la tragédie grecque, celui de commenter les évènements, sans pouvoir agir dessus.
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Toujours est-il, donc, qu’à l’été 82, la rue rebelle et ses maîtres de ballet médiatique, s’époumonaient contre Israël et pour les fidayin, tandis qu’arrivaient à affleurer, ici ou là, des documentations éclairantes sur le type de bois auquel ces fidayin se chauffaient.
Comme, par exemple les photos d’emblèmes nazis, de svastika, découverts par Tsahal sur des murs de dortoirs de fidayin du Fatahland.
Ou bien : la découverte à Saïda d’un document de l’OLP, donnant la consigne que « toutes les bases doivent être installées dans le centre de la ville ou dans les camps de réfugiés, car la population civile constitue une protection idéale contre l’ennemi sioniste ».
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Un Pasteur allemand, ami de Poliakov, le pasteur Rudolf Pfisterer, s’étonna à ce propos – et à la lecture de l’ensemble de la presse allemande du moment – que « cette cause majeure de dévastation et de pertes dans la population civile ne fût presque jamais mentionnée dans la presse ».
Et « pourquoi, ajoutait-il, ces procédés de l’OLP, consistant à faire protéger les combattants par des femmes et des enfants, n’ont-ils pas été dénoncés ?».
Ajoutons que le nombre de tués rapporté par les médias ne prenait sa source qu’auprès de l’OLP, ce qui semblait être la meilleure raison pour les journalistes de les accepter sans critique !…
Tout comme aujourd’hui ça se fait à l’identique auprès du Hamas, dont l’officine propagandiste a été renommée du syntagme de couverture : « Défense civile ».
Finalement, il s’avéra plus tard que les chiffres donnés par l’OLP et rapportés par les médias, avaient été prodigieusement exagérés. Et donc faussé.
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En résonnance avec l’indolence ou la complaisance de la presse, les gauchistes dans les rues allemandes protestaient au même moment contre « la solution finale de la question palestinienne » (sic !). Tandis qu’un journal d’outre-Rhin titrait à propos d’Israël : « Ils sont l’ennemi mondial ».
À l’identique – entre cet « hier » et notre « aujourd’hui » -, à l’été 82, Pierre Mendès France dénonçait ce qu’il désignait – trop sobrement – de « sensationnalisme » ; lorsqu’on parlait – dans les médias – de « génocide », d’« holocauste », et de Juifs « tueurs d’enfants ».
Poliakov, lui, inventoriait encore la comparaison de Begin et Sharon, à Hitler et Goebbels ; et Beyrouth Ouest, tour à tour : à Oradour, à Stalingrad ou au Ghetto de Varsovie, What else ! Insinuant que Tsahal avait reçu mission d’exterminer les populations palestiniennes.
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On put lire durant cet été 82, l’éditorial de Libération qui comparait successivement les Israéliens aux nazis, aux racistes sud-africains, aux généraux polonais ; et qui accusait le gouvernement français de « faire les gros yeux à Jaruzelski, et des risettes à Begin ».
On put entendre un journaliste de la télévision française, lors d’une interview, reprocher au Grand Rabbin de France (René Samuel Sirat pour ceux qui n’ont pas en tête l’ordre des successions…) d’approuver le massacre des femmes et des enfants palestiniens.
On découvrit qu’au lycée Voltaire, des profs communistes organisèrent un cours d’antisionisme. Les élèves qui tentèrent de protester se firent traités évidemment de « sales nazis ».
Enfin pour finir, sans l’épuiser, ce petit tour d’horizon en rappel : dans Le Monde, le même été, un réputé juriste déclarait en pages « Idées », qu’« il était temps que cesse ce génocide et cette apocalypse qui déshonore l’humanité, et que l’Occident se rappelle que le Nazaréen ressuscité, aux blessures ineffaçables, est bel et bien palestinien ».
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Toute ressemblance avec ce que nous devons supporter depuis deux ans, n’est surement pas fortuit…
Tout le matériel d’une guerre communicationnelle d’attrition (ce que nos amis Nidra Poller et Richard Landes ont nommé « guerre cognitive »), était là, enkysté. Spore, attendant son heure.
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Il est ressorti intact, 40 ans après. Ses mêmes flots d’ignominies et mêmes volontés de ne pas savoir. Au syntagme près.
Avec une virulence redoublée, pour mieux étouffer sous son raffut, ce que les heures d’épouvante du 7 octobre avaient un instant révélé aux yeux du monde.
Et sans doute aussi, simultanément, s’engouffrant dans la brèche de la Schadenfreude épinglée par Freud, nommée par Aristote : Epikairekakia, cette « Joie Mauvaise », ouverte par les exactions psychopathiques dont le monde recevait l’écho, pour tous ceux qui attendaient quelque chose comme ça…
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Alors qu’est ce qui insiste à ce point d’immuabilité de calomnies haineuses, sautant par-dessus plus de 40 années écoulées ?
On entend bien, à la manœuvre, la volonté quasi eschatologique de retirer à Israël la légitimité de son existence. Par effet rétroactif.
Que celle-ci réside, éruptive, dans les bataillons de la Oumma qui ne peuvent – sinon au prix d’une mutation symbolique, narrativement inapercevable – se résoudre à une existence juive, chrétienne, autonome, dans son espace imaginaire sans limite, est un état de fait.
Un « Vatican II » musulman n’est pas actuellement prévisible…
Mais qu’elle trouve dans les rues tapageuses et dans des antichambres politiques murmurantes, ses partenaires en Occident (c’est-à-dire en Europe, Amérique du Nord et du Sud), est plus problématique.
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Ce n’est pas non plus sans résonnance, avec ce qui s’indique dans les pusillanimités occidentales (sauf quelques exceptions significatives près) à soutenir, voire épauler, Israël dans son combat contre les Féroces ?
N’est-il pas patent que l’existence d’Israël est tolérée sous le registre de la survie accordée, mais pas de la vie gagnée ? À peine à l’offensive contre des ennemis impitoyables, celle-ci est déjà entravée par des apostrophes menaçantes, lui faisant injonctions d’arrêter illico. Ou en lui liant une main dans le dos, en bloquant la livraison des armes et munitions nécessaires. Ou – comme en 82… – en volant au secours d’Arafat et sa bande de gangsters-terroristes, pour les sortir du Liban, par la voie maritime…
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Mais de quoi ont-ils peur ? De quelle crainte archaïque, ancestrale, sont-ils l’objet ? Tous ceux qui grossissent, dans leur logorrhée, Israël à la dimension d’un empire colonial quand, il ne s’agirait (une fois tout le projet sioniste du retour éventuellement réalisé) que d’une Cité-État, ses suburbs agricoles, et ses paysages irrévocables d’Antiquité fondatrice ?
Un confetti territorial sur l’ensemble des terres émergées. Un grain de sable dans la dune – mouvante au gré et contingences des vents de l’histoire -, de l’humanité.
Pourquoi nombre des diplomates occidentaux se sont-ils tus, rasant les murs, et détournant le regard, durant des décades face aux déclarations tonitruantes du régime des Mollahs et des Gardiens de la Révolution, ensemencés de frèrisme, et d’heiddeggerisme, niant officiellement la Shoah, tonitruant leur volonté d’effacer Israël de la carte du monde ?
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Pourquoi, votaient-ils dans des instances internationales, telle l’Unesco, les opérations d’expropriation sémantique qui visaient à gommer les liens entre les Juifs et le mont du Temple ? À l’encontre même, de leur histoire chrétienne.
Qui tacet consentire videtur ! « Qui ne dit mot consent », disait le Pape Boniface VIII…
Nous aurions bien là-dessus, les uns les autres, quelques petites idées. Inaudibles.
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Du moins pouvons-nous observer, affligés, sur la terre hexagonale, parmi bien d’autres signaux d’une crise civilisationnelle contemporaine, un continuum queer d’inhibition phobique à la force, lorsque celle-ci est inévitablement convoquée. Il court depuis les aboiements des LFistes jusqu’aux frivolités girouettes de la gouvernance, en passant par l’onctuosité du secrétariat général du PS.
Telles ces bravades de plateau, ces jours derniers de « ferme opposition à ce que l’Iran ait l’arme nucléaire », et la proposition simultanée de solution « négociée ».
Autre temps ça s’appelait « politique d’apaisement ». Négocier avec des « Féroces » ?!! N’ont-ils rien appris de l’Histoire ?
Dans quel bucolisme puéril nos dirigeants rêvent-ils éveillés ? Pour ne pas être plus soupçonneux, sur leur enfermement cognitif.
En vain, comme Diogène avec sa lanterne, chercherions-nous, sur ce continuum, cette virilité du courage, de la responsabilité, et de la sagesse, qu’on appelle « menshitude »en franco yiddish -, et pour lequel l’exigence de Vérité est encore une convocation.
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Nous n’appelons pas à la rescousse des apologètes complaisants, qui flatteraient notre besoin de consolation contre l’isolement auquel nous sommes réduits et acculés dans cette période. À commencer dans la Cité française.
De toute façon, nous savons bien que le Klal Israël ne court pas derrière des apologètes.
Il est plutôt mentalement enclin dans son pattern civilisationnel, à la lucidité « autocritique » (voir le Tanah), et au désenchantement d’« autodérision », (voir son humour).
Il n’espère, il n’attend, que de la Vérité. Serait-elle parfois aussi déplaisante à entendre.
Cette Vérité qui a besoin de la Raison, qui vise la Justice, et où on gagne la Liberté (intérieure et collective).
Un enchainement de philosophèmes, qui a été le travail spirituel, quand bien même claudiquant, de l’Europe, à travers les siècles. Et dont celle-ci a perdu apparemment tous les repères…
Pour l’heure, nous n’attendons que des paroles qui parlent en vérité. Vérité de raison, de justice, de liberté.
La Vérité, comme on le cantille à la table du Seder : cela nous suffit…
Gérard Rabinovitch
[1] Ce texte est la reprise de l’introduction d’ouverture prononcée lors de la soirée d’AGIR ENSEMBLE, consacrée au livre de Bruno Tertrais « La Question israélienne », avec la participation de l’auteur.

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