On a tout essayé

Par David Castel

On a tout essayé

Épisode des salons. Chambre neutre, clim à fond, moquette qui étouffe le pas. Autour de la table, cafés tièdes, biscuits sans goût, dossiers ouverts au millimètre. Le mot “immunité” ne tombe jamais d’un bloc; on l’approche par le flanc, comme on dégaine un couteau sous une nappe. Le principe tient en deux lignes: offrir une sortie sûre à ceux qui tiennent la laisse pour qu’ils lâchent, en échange d’un chemin vers l’après. Les messagers expliquent l’équation avec une voix de médecin: moins de guerre, plus d’administration locale, retour progressif à une gestion civile, pas d’humiliation publique. En face, la réponse demeure une brume: promesses conditionnelles, silences calculés, regards vers une porte sans poignée. Tout le monde sait la vérité sous la moquette: la peur gouverne mieux qu’un bureau, la terreur rapporte plus qu’une feuille budgétaire. On repart de la chambre avec un sourire poli et un bloc-notes vide. La ville continue sous la verrière, les sirènes aussi.

Épisode des clans. Nuit brune, maison basse, ruelle au sable compact. Des hommes parlent bas, voisins contre voisins, comme on remonte une horloge. Le plan séduit par sa netteté: remettre le quartier à des mains respectées, couper l’herbe sous le pied des hommes-masques, ouvrir une porte pour la vie ordinaire, souk, école, salaire. Les anciens promettent de tenir, de rassembler les cousins, d’empêcher la milice de revenir par la cave. Les doigts tremblent un peu, pas d’illusion, juste la décision de respirer. À l’aube, la réponse arrive sans bavardage. Une porte entrouverte, une lumière jaune, le silence d’un salon qui n’attend plus personne. Le message s’imprime plus vite qu’un décret. Le jour même, la ruelle aligne ses serments à l’organisation qui tue et qui paie. Pas de débat, des enfants à nourrir. Dans ce rectangle de terre, la loyauté se compte en battements de cœur, pas en tribunes. La tyrannie sait poser le prix exact de la peur, elle encaisse liquide.

Épisode de la loi. Hémicycle en tension, micros dressés comme une grappe de piques. L’argument claque: punir les tueurs par la peine la plus haute, graver le châtiment dans la pierre, montrer que le crime ne rentre plus dormir le soir. Le camp de la fermeté réclame un verdict net, simple, enfin proportionné. Une autre voix, plus basse, rappelle le réel: des captifs attendent derrière des portes sans fenêtres; chaque posture filmée, chaque mot-tonnerre traverse les murs, recule la goutte d’eau, hausse la main levée sur eux. Les familles, au premier rang, serrent des photos qui pèsent plus lourd que n’importe quel discours. D’un côté, la promesse de justice; de l’autre, l’arithmétique de la survie immédiate. Le pays se tient entre deux impératifs, tous deux légitimes, tous deux urgents. La salle rugit, la télévision adore, les geôliers, eux, modifient leurs calculs.

On a tout essayé. La grande communication, les éditos pontifiants, les manuels de morale révisés en urgence. Israël reste sommé de se justifier à chaque souffle, de prouver son droit au simple geste de survivre. Le procès recommence chaque semaine, nouveaux procureurs, vieux griefs. On demande l’« équilibre » à celui qui tient la frontière d’une civilisation fatiguée. On lui explique la guerre avec des graphiques, on lui explique le deuil avec des slogans.

Alors, on referme les grimoires. On choisit la méthode. Froide. Rigoureuse. Modeste. Objectif premier: ramener les vivants. Chaque décision se juge à cette aune, pas à la clameur des plateaux. On négocie quand l’échange sauve une respiration; on frappe quand la frappe désarme une main; on parle bas pour ne pas enfoncer la porte de la cellule. L’ennemi prospère sur l’impunité et le vacarme; on coupe l’oxygène, on réduit le théâtre.

Ensuite, on précise le prix. Pas la vengeance, le coût. Une organisation qui torture, enlève et tue doit payer en pertes, en isolement, en famine logistique, en nuits sans repos. Pas de fioriture. Couper les flux, traquer la caisse noire, casser la chaîne de commandement, salir pour eux chaque victoire en la transformant en défaite industrielle. Un tunnel fermé vaut mieux qu’une tirade; un passeur arrêté vaut mieux qu’une conférence. Le monde aime les scènes; on répond par des audits de douleur: combien d’otages sauvés, combien de cellules démantelées, combien de civils protégés demain par ce que l’on décide aujourd’hui.

Et surtout, on refuse la magie. Pas de solution miracle, pas de raccourci vers la paix. Une paix crédible naît d’un ennemi sans prise et d’une population sans geôlier. On stabilise, carré après carré. Aucune bannière ne protège un père de famille autant qu’une porte qui ferme. On trouve des interlocuteurs qui ne meurent pas le lendemain. On tient la position comme un rempart, pas comme une tribune. On remplace les slogans par des procédures, les annonces par des résultats, les oracles par des bilans.

On a tout essayé, oui. On continue. Mais autrement. Ni théâtre, ni incantations. Des actes lisibles, des buts réalistes, une guerre menée comme un travail, pas comme un show. Protéger les enfants qui traversent le matin. Remettre un otage dans les bras d’une mère sans caméra. Exiger que chaque balle tirée nous rapproche d’un soir calme. L’emphase amuse les bourreaux; la persévérance les dissout.

Le reste, c’est du brouillard. Nous gardons la boussole. Eux comptent sur nos détours. Nous avançons tout droit.

© David Castel

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