
Nicolas Carras – Critique d’un passage de « Perplexités sur Israël » (Paul Ricœur, 1958. En PDF sur internet)
Concernant le passage :
« … L’Europe cette Europe culturelle qui s’étend de Vancouver à Vladivostok — a réglé sa question juive en livrant aupeuple exilé une terre qui était devenue arabe dans l’intervalle de l’ExiI. En réglant sa question juive, l’Europe a créé unproblème judéo-arabe dont elle n’a pas présumé le poids futur avec la même clairvoyance qu’elle a évalué le poids passé du problème judéo- chrétien. … »
1. Thèse : La Palestine est devenue arabe durant l’exil des Juifs
Ce que dit Ricœur : Après la destruction du Temple et la dispersion, la Palestine aurait été peuplée et « devenue arabe », donc naturellement rattachée au monde arabe.
Problème :
C’est une fiction historique :
Il y a toujours eu une présence juive continue à Jérusalem, Hébron, Safed, Tibériade. Les pèlerinages et retours n’ont jamais cessé.
Juridiquement, la terre n’était pas arabe :
De 1517 à 1917 → territoire ottoman, province sans autonomie nationale arabe.
Avant cela → dominations successives (romaine, byzantine, perse, arabe, croisée, mamelouk, turque).
Le mot même de « Palestine » est une création romaine (IIᵉ siècle), pour effacer le nom « Judée ».
Réfutation : La terre n’a jamais été un État arabe souverain. Dire qu’elle est « devenue arabe » revient à légitimer unprocessus d’occupation (arabisation/islamisation) comme une appropriation définitive.
2. Thèse : L’Europe a donné la Palestine aux Juifs, créant ainsi le problème judéo-arabe
Ce que dit Ricœur : L’État d’Israël naît comme une compensation européenne (dette morale après la Shoah), mais ce geste a créé le conflit judéo-arabe.
Problème :
C’est un effacement des responsabilités arabes :
Pogroms anti-juifs en Palestine dès 1920, 1921, 1929 (Hébron, Safed). Refus arabe de tous les plans de partage (Peel 1937, ONU 1947).
Massacres de Juifs bien avant 1948 et 1920 durant la Palestine ottomane.
Aussi : la construction de ce qui va devenir Israël en 1948 commence bien avant la Shoah au 19e
siècle.
- Dès la fin du XIXᵉ siècle, bien avant la Shoah, les premiers pionniers juifs commencèrent à transformer concrètement la terre de Palestine. Ils achetèrent des terrains souvent laissés à l’abandon, infestés de marécages ou couverts de pierres, et entreprirent un immense travail de drainage, d’irrigation et de mise en culture. Des villages agricoles virent le jour, aux maisons de pierre blanches et aux champs d’orangers ou de vignes. Ce fut aussi le temps des premières routes, des puits creusés à la main, des premiers kibboutzim et moshavim où l’onexpérimentait une vie collective tournée vers le travail de la terre. Ce patient effort d’aménagement et d’habitation, amorcé dès les années 1880, jeta les bases concrètes de ce qui allait devenir, des décennies plus tard, l’État d’Israël.
La prospérité commence à apparaître dans les années 1930 :
- Contrairement à une idée reçue, la prospérité de la Palestine ne commence pas après 1948, mais bien avant, dès les années 1930. Sous l’impulsion des vagues d’immigration juive successives et grâce à l’investissement de capitaux venus d’Europe et des États-Unis, les infrastructures modernes se développèrent rapidement : routes, chemins de fer, écoles, hôpitaux. Les marécages côtiers furent asséchés, ce qui permit non seulement de mettre en culture de vastes terres, mais aussi de réduire considérablement le paludisme. Les plantations d’agrumes, d’orangers notamment, connurent une expansion spectaculaire et devinrent un moteur d’exportation vers l’Europe. Des villes comme Tel-Aviv, fondée en 1909, prirent un essor fulgurant, devenant un centre urbain moderne et dynamique dans les années 1930. Cette dynamique profita également aux populations arabes locales : elles trouvèrent des emplois nouveaux dans l’agriculture, le bâtiment et les industries naissantes, bénéficiant indirectement des progrès sanitaires et économiques.Ainsi, la prospérité d’Israël n’est pas le fruit exclusif de l’après-guerre et de la proclamation de l’État, mais le résultat d’un long effort collectif engagé plusieurs décennies plus tôt.
Rappeler qu’en 1948, la conscience de l’horreur totale de la Shoah n’était pas encore installée dans les mentalités collectives, ni même dans les discours politiques.
Le vote à l’ONU en novembre 1947 repose sur un mélange de facteurs : lobbying sioniste, volonté des grandes puissances de se désengager, rivalités Est/Ouest, et reconnaissance de l’injustice historique faite aux Juifs.
Mais ce n’est pas « la mémoire de la Shoah » telle qu’on la conçoit aujourd’hui qui en est la clé. L’idée d’un État juifprécède la guerre (Congrès de Bâle 1897, Déclaration Balfour 1917, mandat britannique).
En 1948, la Shoah est encore un traumatisme muet, ni pleinement compris ni intégré. Le moteur était surtout le projet sioniste ancien et la situation dramatique des survivants sans refuge.
- « L’Europe a donné la Palestine aux Juifs, créant ainsi le problème judéo-arabe « C’est faussement européocentré :
Le sionisme (Herzl, 1897) est un mouvement autochtone juif (continuité nationale, pas cadeau occidental).
L’ONU (1947) vote à une majorité internationale, pas seulement européenne.
Réfutation : Israël ne naît pas d’une « donation » mais d’une lutte nationale, d’un vote de légalité internationale, et surtout d’une guerre gagnée par les Juifs contre des armées arabes coalisées.
3. Thèse : L’Europe a voulu résoudre son problème juif, mais a créé le problème judéo-arabe
Ce que dit Ricœur : Transférer la « question juive » d’Europe en Orient a déplacé le problème sans le résoudre.
Problème :
Cela revient à naturaliser le rejet arabe : comme si l’hostilité arabe était une donnée immuable, provoquée par la simple présence juive.
Cela invisibilise l’antisémitisme islamique structurel :
Statut de dhimmi, massacres de Juifs (Médine VIIᵉ s., Grenade 1066, Fès 1465, Yémen XVIIᵉ, etc.).
Expulsions massives des Juifs des pays arabes 1948-1967 (près de 800 000 réfugiés).
Réfutation : Le « problème judéo-arabe » n’est pas une création européenne mais la poursuite en terre d’Israël d’unantisémitisme musulman ancien, réveillé et instrumentalisé par les élites arabes modernes.
4. Thèse implicite : Les Arabes sont victimes indirectes d’une dette européenne
Ce que dit Ricœur (en filigrane) : Les Arabes paient le prix de la Shoah, puisqu’on a donné aux Juifs une terre « déjà habitée ».
Problème :
Cela efface les immigrations arabes récentes (XIXᵉ-XXᵉ siècle) attirées par le développement juif en Palestine (travaux agricoles, villes modernes).
Cela nie la réalité juridique du Mandat britannique (1920) :
La Déclaration Balfour (1917) et le Mandat (1922) reconnaissent explicitement le droit du peuple juif à reconstruire un foyer national.
Ce n’était pas une terre « donnée » aux dépens d’autres mais un foyer national reconnu en droit international.
Réfutation : Les Arabes ne sont pas victimes d’une dette européenne, mais de la radicalisation de leurs élites (HadjAmin al-Husseini, allié des nazis), et de leur refus de coexistence.
Conclusion critique
Ricœur enrobe dans un charabia philosophique une narration politique biaisée. Sous couvert de perplexité :
Arabisant la Palestine rétroactivement ;
Dénature l’origine d’Israël en la réduisant à un geste européen post-Shoah ; Occulte la violence arabe et les responsabilités des dirigeants arabes ; Culpabilise l’Europe tout en victimisant les Arabes.
En réalité :
Israël s’enracine dans une continuité historique et nationale juive, confirmée par le droit international (San Remo, 1920 ; Mandat, 1922 ; ONU, 1947).
Le conflit judéo-arabe n’est pas né d’une « donation », mais du refus arabe d’accepter la souveraineté juive sur une terreoù les Juifs étaient légitimement présents depuis toujours.
© Nicolas Carras

Les alyot ( montėe en terre d Israel) ont debutė vers 1870 .
De nombreux juifs se sont installés sur cette terre depuis le moyen age , et en 1850 , les juifs etaient majoritaires a Jerusalem.
Les grandes institutions israeliennes , hopitaux , universitės , datent toutes ,des années 1920/30 , donc en 1948 , l europe ne nous a rien donnė , pas plus que l angleterre qui apres avoir semé la zizanie a cedé le maximum de positions aux terroristes arabes en partant .
De quel droit est-ce qu’on questionne sans arrêt l’existence de l’état d’Israël ? Oserait-on de faire des réflexions de cet ordre sur le droit existentiel de la France, de l’Allemagne, de l’Italie ou des Etats-Unis (où les peuples autochtones sont d’ailleurs bien plus mal traités que les Arabes en Israël) ?
Bonjour Jutta,
On peut questionner l’existence d’Israël par liberté d’expression, comme on pourrait le faire pour n’importe quel État. Beaucoup, par exemple, questionnent la légitimité des États-Unis au regard du sort des Indiens d’Amérique. Ensuite, c’est à nous de corriger et contextualiser. Cette terre fait partie de la culture occidentale et de l’histoire, et chacun a le droit de se tromper ou de raconter des bêtises… ce droit est légitime. Paul Ricoeur, par exemple, raconte beaucoup de bêtises dans cet article, que je suis en train de démonter intégralement.
Bien à vous.
Emmanuel Macron a été disciple et assistant de Paul Ricoeur. Ce même Macron qui a récemment cru devoir « rappeler » à Israël qu’il avait une dette envers l’ONU qui l’avait « créé ». Une influence de Ricoeur, derrière cette phrase singulière ?
Bonjour Olivier
L’influence est réelle… elle n’est certainement pas la seule et unique cause, mais Macron a entretenu un lien philosophique et idéologique fort avec Paul Ricœur et le mouvement de la « gauche réformiste », ou « deuxième gauche ».
A++