
Dans une analyse remarquable — encore inédite à ma connaissance — Asher Zenaski pose une question dérangeante : « Et si c’était le Premier ministre Benyamin Netanyahou ? » Il y répond par une lecture fine et éclairante des reculs successifs de ce dernier, notamment sur l’annexion de la Judée-Samarie, que je reproduis ci-dessous.
Cette annexion, pourtant cruciale pour empêcher l’établissement d’un État palestinien terroriste au cœur symbolique, historique et stratégique d’Israël, n’a jamais été menée à terme. Caroline Glick, dans son ouvrage The Israeli Solution, soutient de manière très convaincante la thèse que la guerre est le fruit de l’indécision d’Israël à annexer des territoires qui lui reviennent du fait du droit international (San Remo, Lausanne) et en raison de sa légitimité historique. Beaucoup rêvent encore de réduire Israël à une simple « parenthèse de l’Histoire ». Cet espoir au potentiel génocidaire [1] est lui-même alimenté par une minorité que l’on pourrait appeler les « Juifs de plateau », « Juifs institutionnels» [2], Juifs « sublimes » selon la formule de Georges Bensoussan, ou dont le judaïsme, comme le dit Sibony, est une simple décoration.
Et la question de l’annexion ressurgit avec force après la reconnaissance d’un État palestinien par plusieurs diplomaties occidentales.
Zenaski met en lumière une stratégie récurrente d’indécision : Netanyahou affiche une posture de fermeté, mais recule — ou fait mine de reculer — au moment décisif.
Un épisode marquant illustre ce mécanisme : après une visite de Netanyahou à Washington, Donald Trump déclare : « Je ne permettrai pas à Israël d’annexer la Judée-Samarie. »
Ce timing soulève deux hypothèses. La première : Trump aurait exigé que Netanyahou suspende l’annexion pour ménager les régimes arabes, dans le cadre des négociations régionales. La seconde, plus subtile : c’est Netanyahou lui-même qui aurait sollicité ce veto de Trump. Il se serait ainsi abrité derrière la position américaine pour se protéger des pressions internes en Israël, notamment de son propre camp, et faire croire que la décision lui échappait.
Cette tactique n’est pas nouvelle. Dans ses mémoires, Jared Kushner décrit un Netanyahou réticent à hâter le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem. De son côté, Trump a confié qu’il lui reprochait parfois de ne pas « vouloir la paix » (The Times of Israel). Pourtant, en décembre 2017, c’est bien Trump qui annonce officiellement le transfert — provoquant un choc diplomatique mondial.
D’autres exemples renforcent ce profil : en 2020, Netanyahou annonce vouloir appliquer la souveraineté sur certaines zones de Judée-Samarie, puis gèle l’initiative après la signature des Accords d’Abraham. Lors de la guerre contre le Hamas, confronté aux revendications radicales de ses alliés, il freine toute occupation directe de Gaza (The Atlantic). En 2010–2011, il décrète un moratoire partiel de dix mois sur les constructions en Cisjordanie, un geste symbolique visant à calmer les pressions internationales, tout en gardant la main sur la suite.
Tous ces éléments dessinent une ligne stratégique claire : Netanyahou cultive l’image de la fermeté, mais sait reculer au moment critique — sans jamais apparaître comme celui qui cède. Dans le cas précis de l’annexion, il est légitime de se demander : et si ce n’était pas Trump qui avait freiné Netanyahou, mais Netanyahou lui-même, utilisant Trump comme alibi pour se rétracter sans en payer le prix politique ?
Il s’agit là d’une question universelle : quelles sont les véritables intentions d’une figure d’autorité ? Pour quels intérêts agit un homme politique ? Quelle idéologie le guide réellement ? Contre quelles pressions résiste-t-il ? Celles de la majorité du peuple ? Ou celles d’ennemis internes et externes — un deep state ou des forces internationales — qui souhaiteraient voir Israël amputé de son cœur historique, biblique et spirituel, pour refermer une parenthèse de l’Histoire ?
Puisqu’il est impossible d’assister aux discussions à huis clos, ni de pénétrer l’esprit d’un homme politique, la véritable question est peut-être celle-ci : quel est son fond de commerce ?
Si la gauche israélienne — notamment à travers ses institutions sécuritaires — fonde sa légitimité sur la persistance de l’insécurité et de la menace terroriste, Netanyahou, lui, construit la sienne sur la lutte contre cette même gauche, qu’il qualifie de « collaboratrice », et contre l’établissement d’un État palestinien perçu comme une entité terroriste.
Dès lors, il n’a ni intérêt à permettre la création d’un tel État, ni à l’enterrer définitivement. Dans un cas comme dans l’autre, il perdrait ce qui justifie sa position, son pouvoir, et sa raison d’être politique.
Plus encore, s’il décidait de résoudre le conflit — par exemple en optant pour l’annexion totale — il ne mettrait pas seulement fin à son propre fond de commerce, mais à celui de tout un système qui s’en nourrit depuis des décennies. Il briserait les équilibres implicites qui assurent la survie politique d’acteurs aussi opposés que le Hamas, l’OLP, la gauche israélienne… et lui-même. Ce serait remettre en cause les fondements mêmes de l’ordre établi. Il deviendrait alors une menace pour ce système, risquant l’isolement, voire pire.
Il existe ainsi une forme de convergence d’intérêts entre l’OLP, le Hamas, la gauche israélienne et Netanyahou : chacun prospère grâce à l’existence de ses opposants, voire de ses ennemis. Le conflit est devenu leur bien commun, leur ressource politique. Sa perpétuation est leur condition de survie. Or, un problème ne peut être résolu par ceux qui en dépendent.
Ce paradoxe n’est pas propre à la politique : on le retrouve dans d’autres domaines. L’exemple le plus frappant est celui de l’industrie pharmaceutique : si la maladie disparaît, tout un modèle économique s’effondre. Il devient plus rentable de traiter les symptômes que de soigner les causes. Le soin devient un produit, et la guérison paradoxalement, un risque économique voire existentiel pour l’industrie.
On pourrait dire la même chose du Hamas ou des Houthis, qui se nourrissent des destructions qu’ils infligent à leur propre population. Paradoxalement, c’est le chaos qui permet à ces structures de justifier leur autorité et de renforcer leur emprise. Là encore, le désordre devient un carburant politique.
Tous ces exemples illustrent un phénomène plus large : un système fondé sur la croyance en une autorité humaine, présentée comme protectrice et légitime, finit toujours par engendrer sa propre destruction. Il entretient une dépendance pathologique à l’instabilité.
La Torah l’avait déjà formulé : « Tu ne te confieras pas en l’homme. »
Elle rappelle aussi : « Je place devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction ; choisis la vie. »
Ce choix est fondamental : d’un côté, Dieu et la vie ; de l’autre, l’idolâtrie politique et la mort.
Cette conception hébraïque ancienne, profondément ancrée dans l’idée que la souveraineté appartient au peuple et non à ses représentants, a inspiré Jean-Jacques Rousseau, citoyen de Genève. Elle a été concrètement mise en œuvre en Suisse, à travers le système du référendum d’initiative citoyenne.
En Suisse, les grandes décisions ne sont pas prises à huis clos, mais soumises à la volonté populaire. C’est pourquoi il n’y a pas, dans ce pays, de contradiction entre paix, prospérité et stabilité institutionnelle. Le pouvoir se régule par les citoyens, et les leaders élus n’ont qu’un statut de gestionnaire. Et c’est peut-être pour cela que la Suisse est, le seul pays en paix le plus durable et prospère. Si les années de chaos et les sacrifices de tant de vies humaines en Israël ont un sens — depuis le processus de guerre entamé à Oslo jusqu’au 7 octobre — c’est bien de nous rappeler que la mission d’Israël n’est pas d’être un État comme les autres, une démocratie de façade, mais un État fidèle à sa tradition prophétique et messianique. Une tradition que de grands penseurs tels que Rousseau, René Girard, ou encore certains peuples comme le peuple suisse, ont su reconnaître non comme exclusivement juive, mais comme fondamentalement universelle — en ce qu’elle réussit à soustraire l’organisation politique à la logique de l’idolâtrie et à son corollaire : la perversion narcissique et le sacrifice humain.
[1] https://www.tribunejuive.info/2019/01/01/la-critique-de-letat-nation-des-juifs-le-potentiel-genocidaire-dune-fausse-bienveillance/
[2] https://www.tribunejuive.info/2024/11/20/les-mascottes-juives-des-universites-et-des-medias-francais-par-yana-grinshpun/
[3] https://www.menora.info/la-trahison-des-clercs-disrael-interpretation-dun-probleme-et-ebauche-dune-solution/
© Roland Assaraf
Chercheur et physicien au CNRS, Roland Assaraf travaille à Sorbonne université, participe au blog « Perditions idéologiques » et collabore avec Yana Grinshpun dans le domaine de l’analyse du discours et en particulier du discours de propagande.
Roland Assaraf est membre du parti « Décidons Nous-Mêmes », un des nombreux partis en France qui propose la construction d’un système fondé sur le modèle Suisse.

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