
La proposition des eurodéputés du groupe Les Patriotes, visant à décerner au romancier franco-algérien détenu à Alger depuis dix mois le prestigieux prix Sakharov pour la liberté de l’esprit, au Parlement de Strasbourg, a suscité très vite des divisions au sein de ses soutiens: Si son éditeur Antoine Gallimard affirme que « Boualem Sansal, par la voix de son épouse, a fait savoir qu’il considérait comme irrecevable cette démarche insidieusement partisane », Son comité de soutien, par la voix de sa présidente Noëlle Lenoir, déclare que « nul ne peut aujourd’hui se prévaloir de parler au nom de Boualem Sansal ».
Son ami Daniel Salvatore Schiffer prend position
Ainsi, aux dires, sur les ondes de France Inter ce dimanche 14 septembre, d’Antoine Gallimard en personne, le prestigieux éditeur de Boualem Sansal, celui-ci, immense écrivain franco-algérien retenu aujourd’hui arbitrairement prisonnier et au secret dans une obscure geôle d’Algérie, « s’oppose vigoureusement » à ce que le pourtant très enviable prix Sakharov – prix, en l’honneur de cet ancien dissident soviétique et prix Nobel de la paix, récompensant annuellement, par l’Union Européenne, d’illustres combattant en faveur des droits de l’homme et de la liberté de l’esprit – lui soit méritoirement décerné cette année 2025, au prétexte que le choix de son nom aurait été proposé, au sein du Parlement Européen, par un groupe réputé d’extrême-droite, « Les « Patriotes pour l’Europe », à la tête duquel se trouve Jordan Bardella, président, en France, du Rassemblement National. Et, dans ce même entretien radiophonique, Antoine Gallimard d’ajouter, pour étayer son argumentation, que Boualem Sansal « ne veut être récupéré par personne ».
Soit ! Antoine Gallimard, dont la glorieuse maison d’édition s’avère être un des plus beaux fleurons de l’intelligentsia française, et qui m’a fait l’insigne honneur de publier deux de mes propres livres (biographies intitulées, respectivement, « Oscar Wilde » et « Lord Byron »), est certes libre, très honnêtement, de penser ce qu’il veut. Et à lui bien évidemment, intactes et respectueuses, toute mon estime intellectuelle, mon admiration professionnelle aussi bien que ma gratitude éditoriale !
L’ADMIRABLE BOUALEM SANSAL : SON SENS DE LA TOLERANCE, SON ESPRIT DE GENEROSITE ET SA PASSION POUR LE DEBAT D’IDEES
Un point, crucial dans ce débat, ne cesse toutefois de me tarauder ici : moi qui suis également membre du plus officiel Comité de Soutien à ce même Boualem Sansal, mais qui, surtout, connaît un peu, tant sur le plan moral qu’humain, mon cher et bienveillant ami Boualem précisément, dont son profond sens de la tolérance comme son authentique générosité envers toute fraternité, outre sa passion pour le sain et contradictoire débat d’idées, j’avoue ma perplexité, sinon mon étonnement, à l’idée qu’il puisse ainsi refuser catégoriquement, de manière aussi péremptoire et même dogmatique, ce très honorable prix Sakharov, fût-il donc proposé à l’origine, et en l’occurrence, par des représentants, tous élus démocratiquement cependant, issus, sur l’échiquier politique des différents pays concernés, de ladite « extrême-droite ».
Reste à savoir, en outre, jusqu’à quel point des propos rapportés indirectement et uniquement par la femme de Boualem Sansal, seule personne à avoir accès à lui, en plus des nombreuses pressions et autres intimidations qu’elle doit très probablement subir quotidiennement de la part de l’actuel et très autoritaire pouvoir algérien, complice méprisable des pires régimes islamistes, peuvent s’avérer, sinon complètement authentiques, du moins raisonnablement fiables ou légitimement crédibles. Méfiance donc, sans certes vouloir remettre ici en cause, pour autant, l’intégrité, la bonne foi et les sentiments sincères de cette magnifique épouse, à qui je dis et redis bien sûr ici, pour ma modeste part, toute ma compassion humaine !
DROITS DE L’HOMME, LIBERTE DE PENSEE ET DE PAROLE : BANNIR TOUT ESPRIT PARTISAN FACE A L’IMPORTANCE DE L’ENJEU MORAL, PHILOSOPHIQUE ET HUMAIN
Comment, du reste, cet urgent, nécessaire et surtout universel combat, noble entre tous, pour les droits de l’homme, la liberté de pensée et de parole, d’expression et de création, pourrait-il ainsi souffrir, victime d’un clivage idéologique pour le moins malvenu en la circonstance, d’un aussi misérable esprit partisan, aussi médiocre, à l’aune de l’importance de cette très haute lutte, tant sur le plan éthique que philosophique ?
Ainsi, au vu de cet humble mais sincère appel à l’esprit des Lumières, à l’honnêteté intellectuelle aussi bien qu’à la conscience rationnelle, à lui donc, mon cher et admirable Boualem Sansal, tout mon soutien, indéfectible, pour ce très méritoire prix Andrei Sakharov si, d’aventure, l’Union Européenne voulait bien, en effet, le lui décerner plus concrètement. Elle s’en verrait ainsi grandie, indiscutablement et par-delà, en ce dossier d’une tragique actualité, toute stérile, artificielle ou contreproductive polémique.
Et, surtout, n’instrumentalisons pas ici ni n’avilissons pas ainsi, par d’aussi mesquines disputes d’ordre purement idéologique ou exclusivement politique, la mémoire du grand Andrei Sakharov. Il est bien, tout comme cet éminent humaniste qu’est également Boualem Sansal, au-dessus, s’il fallait encore le clamer haut et fort, de pareille dérive essentiellement, et malheureusement pour la postérité deami son œuvre littéraire elle-même, clanique.
APPEL A LA LIBERATION IMMEDIATE DE BOUALEM SANSAL
Oui : restons dignes, fermes et droits dans notre soutien moral et humain, face à l’indicible malheur qui frappe de la manière la plus injuste et douloureuse qui soit, aujourd’hui, notre très cher, courageux et précieux ami Boualem Sansal, âgé et malade de surcroît, dont nous demandons ainsi ici également et encore une fois, toutes affaires cessantes, la libération immédiate de son enfer carcéral !
© DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
*Philosophe, écrivain, auteur d’une quarantaine de livres, dont « La Philosophie d’Emmanuel Levinas – Métaphysique, esthétique, éthique » (Presses Universitaires de France), contributeur du livre « Pour Boualem Sansal » (Editions David Reinharc), directeur des ouvrages collectifs « Penser Salman Rushdie » (Editions de l’Aube/Fondation Jean Jaurès), « Repenser le rôle de l’intellectuel » (Editions de l’Aube), « L’humain au centre du monde – Pour un humanisme des temps présents et à venir » (Editions du Cerf) et « Critique de la déraison antisémite – Un enjeu de civilisation ; Un combat pour la paix » (à paraître aux Editions Intervalles).
Pour info: Daniel Salvatore Schiffer a été aussi l’éditeur en Italie, lorsqu’il vivait à Milan, des « Mémoires » d’André Sakharov (Sugarco Edizioni, 1990).

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