« C’est mettre une cible dans notre dos » : le grand malaise des Français juifs devant la reconnaissance de la Palestine*

*ENQUÊTE – Ils se sentent «trahis» par leur pays et ses responsables politiques. Et regrettent la décision d’Emmanuel Macron, approuvée par 29 % seulement de leurs compatriotes.*
Un « sondage », créé à la rentrée sur un groupe WhatsApp d’étudiants de l’université Paris 1, qui demande abruptement : « Les juifs, pour ou contre ? » . Un colloque sur l’histoire des Juifs de France, boycotté, ce week-end, par des chercheurs. La synagogue de Sète vandalisée dans la nuit de mardi à mercredi. Des mains rouges et des étoiles de David taguées par dizaines, cet été, sur des immeubles. Des commerces, des synagogues ou le Mémorial de la Shoah aspergés de peinture verte… C’est dans ce contexte de montée en puissance de l’« antisémitisme d’intimidation » que Paris doit formaliser, le 22 septembre, avec plusieurs autres pays, sa reconnaissance de l’État palestinien. Alors qu’ils célébreront ce jour-là Roch Hachana, le Nouvel An juif, les Français de confession juive ne cachent pas leur désarroi.
La France doit-elle reconnaître un État palestinien « tout de suite et sans conditions » ? Selon un sondage Ifop pour le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), dévoilé ce jeudi, une majorité des Français s’y oppose. « Je suis frappé par le fait que seuls 29 % de nos compatriotes sont favorables à une reconnaissance sans conditions, affirme Yonathan Arfi, président du Crif. Il n’y a que chez LFI que cette position est majoritaire (avec 78 %, et 52 % pour l’ensemble de la gauche, NDLR). On voit donc que c’est politiquement très marqué. Ce qui est intéressant aussi, c’est l’écart entre les générations : seuls les 18-24 ans sont majoritairement pour une reconnaissance tout de suite (à 55 %). Cela montre la manière dont la cause palestinienne dans sa version parfois la plus caricaturale est devenue un marqueur générationnel. »
On voit maintenant un antisémitisme d’intimidation qui s’installe. Un Français sur cinq considère désormais justifié de prendre à partie des Français juifs en raison de leur soutien réel ou supposé au gouvernement israélien
Même si elle est en léger recul depuis la flambée de l’automne 2023, la vague antisémite se maintient à un niveau sans précédent : entre janvier et juin 2025, 646 actes antisémites ont été recensés en France par le ministère de l’Intérieur. « La date choisie pour cette reconnaissance correspond à un moment où la question n’a jamais été aussi inflammable ; c’est devenu un facteur de divisions et de fractures, s’émeut Yonathan Arfi. On voit maintenant un antisémitisme d’intimidation qui s’installe. Un Français sur cinq considère désormais justifié de prendre à partie des Français juifs en raison de leur soutien réel ou supposé au gouvernement israélien. Ça montre l’état de confusion d’une partie de l’opinion, notamment chez les plus jeunes, puisque 31 % des 18-24 ans sont de cet avis. »
*Cela sonne «comme une récompense»*
Le président de la République avait fixé quatre conditions à la reconnaissance d’un État palestinien : la libération de tous les otages, l’éviction totale du Hamas, le renouvellement de l’Autorité palestinienne et la reconnaissance d’Israël par l’ensemble des États arabes voisins. Aujourd’hui, aucune n’est remplie. Si l’académicien Alain Finkielkraut a indiqué sur LCI « soutenir l’initiative d’Emmanuel Macron de reconnaître l’État palestinien », « notamment à cause de ce qui se passe en Cisjordanie, où la colonisation est de plus en plus massive », de nombreux Français de confession juive se sentent « trahis » et « abandonnés » par leur pays.
C’est le cas de Mathias, « père de deux enfants qui ont déjà décidé qu’ils ne feraient pas leur vie en France ». « Dans le texte qui va être soumis le 22 septembre, le Hamas a disparu comme par magie !, s’indigne ce quinquagénaire. Je me souviens que le président de la République voulait organiser une coalition internationale anti-Hamas. Aujourd’hui, il fédère une coalition contre Israël ! Si l’on fait cette reconnaissance maintenant, sans conditions, cela sonne comme une récompense ; ça signifie ‘le pogrom, ça paie, allez-y !' »
Mathias assure ne connaître « personne qui ne se soit jamais fait agresser en tant que juif ». « Ma sœur a décidé de retirer son pendentif étoile de David il y a six mois, poursuit-il. Pourtant, elle habite dans une petite ville de province ! On a l’impression que le multiculturalisme perdure sauf pour les juifs. Ça contribue au sentiment d’un lâche abandon. Ce qui est gênant, c’est que le fameux “pas d’amalgame”, là, ça ne marche pas : bien évidemment, tout le monde s’autorise l’amalgame entre l’État hébreu et les juifs de France. Donc un bon juif, c’est un juif qui se fait tout petit, qui cache ses signes de religiosité et surtout qui ne soutient pas Israël ? Il y a beaucoup de faux-semblants et d’hypocrisie dans la politique d’Emmanuel Macron. »
Yves Azeroual, réalisateur du documentaire 7 octobre 2023, histoire d’un massacre, confie, lui, son « écœurement ». « On voit bien le calcul électoraliste, pointe-t-il. Même faire acte de présence à la marche contre l’antisémitisme, en novembre 2023, le chef de l’État n’a pas pu. Évidemment il n’est pas antisémite, mais il drague la rue arabe, et nous, on ne pèse pas lourd. On a tous les jours des insultes, des crachats, voire des agressions. Autour de moi, on ne pense pas à quitter la France, mais on dit que la France nous a quittés. Pas les Français, mais les autorités françaises à gauche, ainsi que le président de la République. »
Avec stupeur, nous constatons que le premier ministre d’Israël s’inquiète davantage du sort des Juifs de France que le président de la République française
Au Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA), qui rencontre « des familles terrorisées, des citoyens doutant de leur avenir sur le sol français », on se dit « mortifié par l’attitude de l’État, à son sommet, à (leur) égard ». « Avec stupeur, nous constatons que le premier ministre d’Israël s’inquiète davantage du sort des Juifs de France que le président de la République française », regrette l’association dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron. Le BNVCA fustige aussi « la clémence incompréhensible de la justice » : « des appels à l’intifada, des agressions antisémites, des menaces graves sont sanctionnés par des peines symboliques, s’insurge-t-il. Les coupables sortent des tribunaux en faisant le V de la victoire. La République, ainsi, abdique ».
*« Aucun impact sur la paix au Moyen-Orient »*
Expert en stratégie numérique et coauteur de « La Fin des juifs de France ? » *, Didier Long considère que quelque « 150.000 juifs, vivant directement au contact de populations arabo-musulmanes, sont en danger aujourd’hui en France ». « Reconnaître la Palestine aujourd’hui, c’est mettre une cible dans le dos des juifs du monde entier », craint-il. Selon lui, « la reconnaissance de la France légitime le Hamas, seule autorité reconnue par la majorité des Palestiniens. En cas d’élections au lendemain de cette reconnaissance, le Hamas passerait haut la main à la tête de Gaza et des Territoires. Avec une ambassade (du Hamas) à Paris, donc un foyer de terrorisme… »
Reconnaître la Palestine sans condition, « au lendemain d’attentats sanglants et d’agressions répétées contre des civils israéliens, n’aura aucun impact sur la paix au Moyen-Orient », prédit Didier Long. En revanche, « comme l’actualité du conflit israélo-palestinien se traduit automatiquement en violences pour les membres de la communauté juive en France, souligne-t-il, cette décision qui vise à calmer les banlieues aura l’effet inverse : cela importera encore plus le conflit sur notre territoire, en y légitimant la violence. Et si, en plus, des politiques (comme le premier secrétaire du PS Olivier Faure, NDLR) demandent à faire flotter le drapeau palestinien au fronton des mairies, alors qu’il est devenu le signe de reconnaissance de l’insurrection, ce sera la révolution ! ». À Corbeil-Essonnes, en banlieue parisienne, le maire divers gauche Bruno Piriou a déjà décidé de distribuer un millier de drapeaux palestiniens à ses administrés pour pavoiser leurs fenêtres le 22 septembre.
* Avec Dov Maïmon. Éditions Le Cherche midi, 2025.
© Stéphane Kovacs

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