Par Charles Rojzman

Il ne reste plus grand-chose du monde d’hier, sinon quelques ruines sous les pas pressés des nouveaux inquisiteurs. Ils sont jeunes, ils sont sûrs d’eux, ils sont purs. Ils ont l’accent tremblant des catéchèses laïques, les poings levés du Bien, les slogans imprimés sur des banderoles biodégradables. Ils se disent progressistes. Mais ils réclament des têtes. Ils veulent qu’un État soit jugé non sur ce qu’il fait, mais sur ce qu’il est. Et cet État, c’est Israël. Objet d’une haine raffinée, d’un dégoût presque esthétique. Non plus l’État des survivants, mais celui des imposteurs. Non plus la réponse politique au mal absolu, mais sa perpétuation.
Nous sommes entrés dans une ère où la critique ne pense plus, où la morale ne discerne plus, où la justice ne pèse plus : elle fulmine. Elle gifle. Elle crache. Elle pointe du doigt et condamne. La critique d’Israël n’est plus un acte politique, elle est un rite. Une liturgie noire au cœur de la religion humanitaire. On n’analyse pas Israël : on l’exorcise. On n’évalue pas ses actes : on les souille de mots qui ne disent plus rien — génocide, apartheid, nazisme — mais qui frappent comme des pierres, lancées à travers les écrans.
Le nom de Gaza est devenu un talisman. Il ne renvoie plus à une bande de terre aride, prise en étau entre les ruines de l’histoire et les tunnels de la mort, mais à une icône sacrée. Gaza est le Christ du XXIe siècle, porté en croix sur les réseaux sociaux, sanctifié par les cris des foules occidentales. On ne parle plus du Hamas, sinon pour le dissoudre dans la Résistance avec une majuscule. On ne montre plus les otages, les enfants brûlés, les femmes éventrées : cela troublerait le culte. Ce que l’on veut voir, ce sont les ruines. Des enfants morts sous les gravats. Des mères en pleurs. Et toujours, derrière, l’ombre d’Israël, fauve juif, soldat casqué, armé de ses algorithmes et de ses drones, haïssable parce qu’il ne meurt pas.
On parle de déplacement de population, avec cette gravité feinte des faiseurs de rapports. On prononce épuration ethnique avec la légèreté d’un clic. Pourtant, ce qui se joue est d’une simplicité brutale : une armée régulière affronte une organisation théocratique dont la vocation proclamée est la disparition de l’État juif. Cette guerre, Israël ne l’a pas choisie. Elle lui a été imposée le 7 octobre, dans le sang, le feu et la barbarie. La réponse fut à la mesure du choc : violente, déterminée, inévitable. Mais cela ne compte plus. Le réel est dissous dans le pathos. La guerre, cette chose que l’on ne veut plus nommer, devient un massacre. La stratégie, un génocide. La défense, une agression.
Et pourtant, rien n’est simple. Car il est vrai — il faut le dire comme on crache le sang — que dans certains cercles israéliens, une idée se fait jour : Gaza serait une blessure irrémédiable, un territoire perdu à la paix, une fabrique perpétuelle de mort. Certains rêvent, dans l’ombre, d’un exil des corps pour garantir la survie d’une nation. Ce rêve, comme tous les rêves forgés dans la peur, contient sa part de folie. Mais il est loin d’être un programme d’État. Il est le reflet d’un désespoir stratégique, d’un épuisement moral, d’un refus de mourir.
Mais cela non plus ne pèse rien dans la balance de l’indignation contemporaine. Car ce qui anime nos sociétés, ce n’est plus la recherche de vérité, mais le besoin d’un sacrifice. Israël est l’objet parfait. Il est tout ce que l’Occident voudrait ne plus être : fort, armé, occidental, lucide. Il ne croit plus au salut universel. Il ne tend pas l’autre joue. Il construit des murs. Il nomme ses ennemis. Et surtout, il gagne. Ce succès-là ne lui sera jamais pardonné.
Alors on convoque les morts. On transforme les civils déplacés en victimes d’un crime qu’on projette, sans preuve, sur le gouvernement israélien. On ne demande plus des explications. On exige des aveux. Ce que l’on reproche à Israël, ce n’est pas ce qu’il fait, mais le fait qu’il existe encore. Ce qu’on ne supporte pas, c’est qu’il tienne. Qu’il vive. Qu’il ne ploie pas. Qu’il refuse de devenir un musée de cendres, comme on aurait aimé qu’il soit.
Et les plus fervents accusateurs ? Certains sont juifs. C’est là l’ultime ironie, la dernière mise en abyme du sacrifice : les enfants de l’histoire reprenant à leur compte le procès de leur propre lignée. Ils croient que leur nom les protège. Ils pensent qu’ils conjurent la haine en l’embrassant. Mais la haine ne fait pas de distinction. Elle se nourrit de l’odeur du sang, même juif. Surtout juif.
On oublie aussi que, pendant que l’Occident se tord les mains pour Gaza, des peuples entiers sont massacrés dans l’indifférence. Le Soudan. Le Yémen. La Syrie. Mais ces morts-là ne servent pas à grand-chose. Ils ne permettent pas de rejouer la grande scène du péché blanc. Ils ne donnent pas lieu à des performances artistiques sur Instagram. Alors on les oublie. On les efface. On les remplace par les larmes de Gaza, distillées au compte-gouttes par les chaînes d’information en continu.
On nous dit qu’il faut critiquer Israël. Oui. Mais il faudrait encore le faire en adulte. En homme pensant. Pas en automate moral. Pas en perroquet de l’islamisme mondialisé. Critiquer Israël, ce serait reconnaître d’abord sa légitimité, son droit à l’existence, son droit à se défendre. Ce serait parler du Hamas autrement que comme d’un malentendu. Ce serait nommer les crimes, tous les crimes. Ce serait refuser de faire du mensonge une arme. Ce serait rappeler que la guerre, hélas, n’est pas une invention israélienne, mais une donnée tragique de l’histoire humaine.
Mais qui veut encore penser ? Qui veut encore affronter la réalité ? Il est tellement plus facile de se livrer au rituel : manifester, dénoncer, accuser. La justice devient une émotion. Le droit, une narration. Le réel, un écran. Ce monde-là, saturé de morale et vide de pensée, est un monde où Israël n’a plus sa place. Parce qu’Israël incarne encore quelque chose de l’antique courage. Parce qu’il est un reste, une obstination, une manière de dire non à la mort. Parce qu’il refuse de disparaître.
Voilà pourquoi, aujourd’hui, défendre Israël, ce n’est pas soutenir un gouvernement. C’est résister à la lâcheté. C’est refuser que la parole soit confisquée par les pleureuses professionnelles. C’est dire non à la sainte alliance du terrorisme et du bien-pensant. C’est affirmer qu’un peuple a le droit de vivre sans avoir à demander pardon.
Et cela, plus que tout, le monde ne le lui pardonne pas.
© Charles Rojzman

C’est l’occident qui est en train de brûler. Israël et une grande partie des Juifs européens défendent les valeurs que nos gouvernements et l’union Européenne ont trahies. En s’attaquant aux Juifs, l’occident s’attaque à lui-même. L’occident a pris fait et cause pour ses propres bourreaux.