Les « ex » sont excédés. Par Daniel Sibony

Revenons aux juifs qui attaquent Israël avec l’exemple récent d’une page du « Monde » où Élie Barnavi, ex-ambassadeur d’Israël, aidé par un collègue palestiniste, supplie le Président Macron de sanctionner l’État hébreu de manière paralysante. En fait ils sont tout un groupe d’ex, ex responsables militaires, ex-ministres, ex-chefs de l’espionnage… On imagine une petite cohorte d’ex, dans un rapport amoureux ou marital obsolète, qui viennent demander des comptes. Et comme nos ex par eux-mêmes ne comptent plus, ils appellent une instance étrangère pour qu’elle fasse payer leur pays. Pour quoi ? Pour l’offense qu’il fait à leur idéal, c’est-à-dire à eux-mêmes. 

C’est là une démarche intéressante pour la clinique des perversions, car un pervers n’est pas forcément méchant, c’est plutôt un fanatique de la vérité : quand il croit la tenir, il y colle comme à sa personne, il en fait sa loi et peu importe le contexte, la chose est dite : le gouvernement d’Israël a tort donc il faut le punir et comme il représente Israël il faut punir Israël ; ce qui implique qu’en France, comme cela s’est vu en Espagne, en Autriche, en Irlande et ailleurs on pourchasse des Israéliens, c’est-à-dire des gens qui parlent hébreu, donc aussi des juifs, suspects de sympathie pour le monde hébreu, suspicion souvent vérifiée. C’est légaliser des mesures comme l’éviction d’un groupe de gens d’un restaurant à Vienne parce qu’ils parlaient hébreu, l’éviction d’adolescents d’un avion espagnol parce que l’un d’eux a chanté en hébreu, et c’est surtout réclamer l’extension de ces petites chasse à l’homme. Ce qui est très injuste, car qu’ont fait ces ados et ces touristes israéliens qu’on a chassés ? Rien, on les a chassés parce qu’ils sont juifs. 

C’est ainsi que tous ces ex réclament des mesures antijuives dignes des années 30. Bien sûr, ils diront que ce n’est pas ce qu’ils veulent, que ce qu’ils veulent c’est atteindre le gouvernement, mais en touchant ainsi beaucoup d’innocents, ils font la même chose que ce qu’ils reprochent à Israël qui pourchasse les terroristes et qui ne peut pas faire autrement que de toucher des innocents. Il est clair que ces ex ont reçu une blessure narcissique, ils sont atteints dans leur personne et dans leur idéal ce qui revient au même car ils s’identifient avec. Et quand des narcisses idéaux sont blessés, ils voient la mort, il faut absolument réparer la blessure. C’est d’ailleurs aussi le cas d’Israël : il a reçu le 7 octobre une blessure narcissique telle qu’il doit absolument la réparer. Mais lui c’est un collectif, c’est un peuple, et eux sont des personnes qui se voient réduites à rien, il leur faut une réparation quels que soient les dégâts ou les victimes collatérales. Un vrai pervers est porté par sa loi narcissique, qu’il suppose totalement vraie, tout ce qui la contredit est fautif et mérite punition. Une qui le paralyse, le pétrifie, le détruit. Le meurtre de l’autre, c’est-à-dire de tout ce qui est échappe, est un invariant des structures perverses. 

Cela prouve aussi que leur amour, sûrement sincère, pour leur pays, est un amour purement narcissique : ils aimaient leur pays comme eux-mêmes, et si leur pays diffère de ce qu’eux-mêmes pensent être vrai, alors il faut qu’il soit châtié pour cet écart inadmissible. Même si cet écart est cautionné par la majorité du pays qui a élu son actuelle assemblée et qui les a, eux tous, désavoués.

L’importance de tous ces ex,  c’est que leur geste vient s’ajuster exactement à l’argumentaire du Hamas et de ses partisans qui répètent à l’envie : Et qui nous dit qu’il y a famine et génocide à Gaza ? Ce sont de hauts Responsables israéliens eux-mêmes. On oublie dans ces cas de dire : des ex hauts responsables.

En somme, leur petite voix est comptée comme un témoignage authentique dans le procès contre l’État juif, et c’est cela qui lui donne de l’importance et qui sans doute les console du peu d’importance qu’ils ont en réalité. C’est donc déjà un petit dédommagement, fût-il au prix d’une trahison. Trahison des frères qu’ils haïssent ; il n’y a pas ici une haine de soi, mais une haine du frère mieux placé par les circonstances. 

Quant aux sources d’information, ces bons « ex » cautionnent sans discuter celles du Hamas, dont on sait qu’il mène une intense guerre d’images, qu’il contrôle toutes celles qui sortent, qu’il organise des mises en scène comme en témoignent des journalistes allemands indépendants ; il ne laisse sortir que des images négatives pour Israël. Quant aux chiffres, c’est toujours ceux du « ministère de la santé de Gaza », c’est-à-dire ceux du Hamas, car il n’y a pas plus de « Ministère de la santé » qu’il n’y a d’école rabbinique à Gaza.

Mais nos deux historiens fondent leur propos sur ce fameux ministère de la santé. C’est que la seule chose qui leur importe, c’est les sanctions. Là-dessus, comme des mouchards empressés, pour mieux guider l’autorité étrangère, ils donnent des précisions touchantes, du genre : Monsieur Macron, allez-y, il s’agit d’un petit pays, les sanctions seront forcément efficaces, pas comme celles qu’on a prises contre la Russie, qui sont inefficaces parce que c’est un grand pays (sic).

Cette logique narcissique a quelque chose d’infantile et on en trouve des exemples en littérature. Dans un roman Neige interdite de Patrick Imbert, le narrateur raconte qu’enfant, il se promenait un jour d’hiver avec son grand-père à Paris, le quartier lui a semblé étouffant, il a voulu entrer dans un jardin enneigé mais les portes étaient fermées ; entrée interdite. L’enfant s’est mis en colère et il s’est promis ce jour-là qu’il ne vivrait pas avec ces gens qui ferment un square sans raison, qu’il irait vivre très loin d’eux, au Canada, et cela a décidé de son destin puisqu’il s’y est retrouvé, à vivre dans ce pays aux grandes étendues enneigées. C’est admirable comme l’humain peut fixer un destin sur une blessure narcissique, provoquée dans ce cas par l’interdit d’un carré blanc.

Tous ces ex ont reçu des blessures, notamment celle d’être virés, pourtant, on ne reste pas éternellement à son poste, et les choses évoluent, mais c’est ainsi. En tout cas, on ne sait pas toujours à quelle blessure infantile cela renvoie. Parfois ils le disent : un Shlomo Sand, pour qui le peuple juif est une pure invention (il est trop indigné pour comprendre que c’est un compliment), avoue dans un de ses livres les raisons de sa colère : ses parents déjà en Pologne n’étaient qu’au dernier rang de la synagogue, et arrivés en Israël ils n’ont pas eu tous les égards qu’ils attendaient comme rescapés de la Shoah. Résultat, il noircit bravement des pages où puisent avec délice tous ceux qui combattent Israël.

Un mot sur les nouvelles que donne le Hamas ; elles ne sont pas marquées par une énorme exigence de vérité, mais ce sont elles qu’on diffuse, et comme elles s’accumulent, elles finissent par conforter une opinion qui se retrouve très décalée par rapport à ce qui se passe sur le terrain, et comme elle est seule à parler, elle peut se croire dominante et véridique. Alors que ce qui se passe est complexe et plein de paradoxes. Par exemple le Hamas est affaibli mais il faudra à Israël pour le défaire de gros efforts, avec encore des pertes et des victimes collatérales. Y a-t-il une autre voie ? Oui, disent ceux qui en Israël et au dehors exigent un cessez le feu sans nous dire ce qu’ils feront une fois les otages libérés avec le Hamas au pouvoir. C’est pourtant la question clé, et l’issue qu’ils proposent, si elle prévalait (mais j’en doute) démoraliserait pour longtemps et le peuple et l’armée , qui ont souffert et combattu pendant deux ans.

Faut-il se désespérer de ce que beaucoup de gens gobe, les fausses nouvelles qu’on leur fabrique ? Non car ils sont loin de pouvoir les transformer en acte ; comme si inconsciemment, ils se doutaient que ce n’était peut-être pas fiable.

© Daniel Sibony

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5 Comments

  1. Paralyser la défense d’Israël, je n’arrive pas à croire qu’un Juif puisse demander cela. Je ne me rappelle pas qui avait dit « si les Arabes déposent les armes, la guerre cesse. Si Israël dépose les armes, Israël cesse d’exister » (Golda Meïr ? ). C’est tellement évident, même pour une Goy comme moi.

    • bravo chère madame, vous avez tout compris. la haine des arabes vis-à-vis des juifs, c’est une chose horrible et nous la connaissons. Ils l’ont prouvée une nouvelle fois lors des massacres du 7 octobre. des bêtes humaines.la haine de juifs vis-à-vis
      d’eux-mêmes ou de leurs frères, voilà qui est plus difficile à comprendre, et l’analyse de m. sibony nous y aide.

  2. très bonne analyse, merci m. Sibony de mettre un peu d’intelligence dans ce terrible bourbier de la haine de soi et/ou de ses frères, et de l’incompréhension des enjeux.

  3. merci pour votre analyse de la posture de certains hommes de pouvoir  » ex » qui viennent à se retourner indirectement contre l’existence même de leur peuple et la leur presque sur un mode suicidaire, mélancolique?
    Si je poursuit votre analyse qu’en est- il du retournement de femmes françaises comme madame Sinclair et madame Horvilleur qui sont passées du ‘je ne peux plus me taire face au déni des massacres du 7 octobre’ à ‘je ne peux plus me taire face au génocide à Gaza’, ces réactions sont tellement étranges alors que nous aurions besoin de leur voix et de leurs analyses….Merci pour vos pistes de reflexion pour donner du sens à l’impensable,

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