
Gaza-sur-Mékong
Fermeture totale des frontières.
Tirs de roquettes BM-21 sur des civils.
Riposte aérienne avec F-16.
Ambassadeurs rappelés.
Déclarations martiales de chaque camp, chacun se drapant dans le droit légitime à l’autodéfense.
Ça vous dit quelque chose ?
Gaza ? Raté.
C’est Kap Choeng.
Pas Tsahal, mais l’armée royale thaïlandaise.
Pas les Brigades Izz al-Din al-Qassam, mais des soldats cambodgiens postés près d’un temple en ruine.
Pas le Hamas, mais Phnom Penh.
Et au lieu de Tel-Aviv, c’est Bangkok qui “réagit avec modération”.
Même scénario. Même rhétorique.
Mais silence dans les cortèges.
Pas de fresque géante sur les murs de Berlin.
Pas de sit-in à Columbia.
Pas de « Free Oddar Meanchey » tagué sur les bancs publics.
Et pourtant, c’est du solide :
des roquettes qui pleuvent sur les civils,
des mines antipersonnel qui explosent sous les pieds,
des zones contestées où personne ne sait qui a tiré le premier.
Mais visiblement, sans les bons hashtags, un conflit reste juste une anecdote tropicale.
Ici, pas de journaliste qui tremble en direct sur fond de sirènes.
Pas de plateau télé pour demander si les Thaïlandais ne vont pas trop loin.
Pas d’envahissement de scène au Festival d’Avignon.
Non.
Juste un petit bout de frontière post-coloniale, disputée entre deux pays dont l’Histoire se fiche bien qu’on la commente sur Twitter.
Les bombes tombent, mais elles ne font pas de bruit médiatique.
Quand Israël riposte, c’est une tragédie internationale.
Quand la Thaïlande fait décoller ses F-16, c’est une brève en bas de page.
Quand des civils sont touchés à Gaza, on compte les minutes avant le mot “génocide”.
Quand un soldat perd une jambe dans la jungle thaï, on parle de “tensions régionales”.
Et pourtant, tout y est :
— le vieux contentieux hérité des cartes dessinées à la règle,
— les accusations croisées de violations de territoire,
— les drones, les roquettes, les blessés, les morts,
— et le plus croustillant : les deux pays sont signataires de la convention d’Ottawa contre les mines.
Autant dire qu’on respecte les traités comme on respecte les lignes de cessez-le-feu : de loin.
Mais tant que ça ne s’appelle pas Israël, on peut bombarder tranquille.
Tant que le soldat amputé ne porte pas une kippa, personne ne criera à l’horreur.
Tant que la riposte est asiatique, elle n’émeut personne.
La géographie de l’indignation est ainsi faite.
On confond Gaza avec le Cambodge quand ça nous arrange.
On oublie Phnom Penh pourvu qu’on puisse crier « Palestine libre » en toute bonne conscience.
Alors, la prochaine fois qu’on vous parle de blocus, de frappes aériennes, de diplomatie gelée,
posez une question simple :
Est-ce que ça se passe à Gaza, ou juste dans un pays qui n’intéresse personne ?
© David Castel

Personnellement, je n’ai aucune idée de qui a raison et qui a tort entre le Cambodge et la Thaïlande. En ce qui concerne Israël et Hamas, là, je sais qui a raison.