La Date qui claque. Par David Castel

Il ne fait jamais tout à fait jour le 16 juillet. Même quand le ciel est bleu, même quand les oiseaux chantent

Chaque année, ce jour revient comme un éclair dans la mémoire. Plus fort qu’un anniversaire. Plus vif qu’un deuil. Plus intime qu’un souvenir. 

Il ne fait jamais tout à fait jour le 16 juillet. Même quand le ciel est bleu, même quand les oiseaux chantent.

Car quelque chose est resté suspendu. Une valise. Un regard. Une petite robe d’enfant.

La plaie d’une fillette de cinq ans qui ne se refermera jamais.

Les autres voulaient seulement la compter. La faire taire. L’aligner. L’oublier.

Elle, elle voulait aller à la mer, courir dans les vagues, goûter le sable, 

Apprendre la Marseillaise.

Sarah, c’était des couettes, des yeux ronds, des parents aimants. Une colonie de vacances à venir. 

Des rêves dans la tête, malgré les pierres dans les poches et un unique petit pain pour tout cadeau d’anniversaire.

Et une étoile jaune sur la blouse d’écolière. 

Le monde autour compte, dénonce, pointe du doigt.

La France, douce terre d’accueil, est devenue le pays du mépris, du soupçon et du papier vert.

Le grand frère a disparu après une simple convocation au commissariat.

Le commerce familial, confisqué.

Le père, réduit à ses prières.

La mère, à cacher ses larmes derrière le sourire.

Et les enfants ? 

Sarah n’a rien compris à ce qui arrivait à sa famille. Et c’est peut-être mieux.

Peut-être qu’on ne doit jamais comprendre l’inhumain. Que ce qui fut infligé ne mérite pas l’intelligence humaine, seulement la honte.

Et vint ce matin-là. 

Cinq heures.

Des coups contre la porte. 

Trois hommes. Un papier. 

Menace polie mais voix tranchante : « Préparez-vous. On revient vous chercher. Les enfants aussi ».

Et alors, comme tous les parents du monde, ses parents font confiance.

On leur dit de ne pas s’inquiéter.

Alors ils s’inquiètent en silence.

Alors on obéit. Parce qu’on est honnête. Parce qu’on croit encore. Parce qu’on n’imagine pas que le pire est au programme.

La maman empile les vêtements sur les petits corps.

Des vêtements chauds, alors qu’il fait déjà chaud.

Les parents prennent les enfants dans les bras.

Le père glisse la Thora dans le baluchon. 

La valise neuve, achetée pour la plage, servira pour la déportation.

La famille attend.

À neuf heures, on vient les chercher. 

Soudain plus de chez soi. Plus d’eau. Plus de lumière. La porte scellée.

Ils ont fermé le gaz. Et laissé la lumière allumée.

Comme s’ils allaient revenir.

Mais on ne revient pas de l’enfer.

On y entre avec les siens, on en sort seul ou jamais.

On y pleure, on y vomit, on y oublie son nom.

On devient numéro.

On devient absence.

La famille Rosenblum est emmenée. 

Ils croient partir pour un contrôle. Ils marchent, dignes. Même les plus petits.

Sur les trottoirs, personne ne détourne le regard. Personne ne proteste.

Le Vel d’Hiv les attend.

Le stade comme une bouche noire. La police française. Les gradins en guise de sol. Des maladies pour compagnons de chambrée. Des gendarmes pour gardiens de nuit. L’infamie pour seule loi.

Sarah ne comprend pas tout. Elle joue. Elle rit encore un peu. On est enfant. On ne soupçonne pas que l’histoire a décidé de vous mâcher les os.

Sarah a dormi sur un sol sale.

Elle a vu les adultes devenir fous.

Elle a vu les mères pleurer, les enfants hurler, les pères se taire.

Elle a eu faim, très faim.

Elle a eu peur, mais pas comme on a peur des monstres sous le lit.

Elle a eu peur comme on a peur de ne plus jamais voir sa maman.

Et c’est exactement ce qui s’est passé.

Vient le train. D’abord vers Pithiviers.

Et là, la séparation. Le père d’un côté, barbe rasée, visage dénudé de toute dignité. La mère de l’autre, arrachée à ses filles.

On choisit selon les papiers. 

Gitla et Sarah, françaises. Les autres, Pauline, la maman, étrangères.

On arrache des enfants à leur mère, sans un mot, sans un regard, sans une larme de regret.

Le convoi numéro 16 a avalé son père, sa mère, sa sœur.

Et son enfance avec.

Le 6 août, convoi n°16. Auschwitz.

Lejbus. Pesa. Pauline. Disparus.

Sarah n’a pas dit au revoir. Elle n’aura pas le temps. Elle n’a pas su que c’était la fin. 

Sarh et Gitla, deux gamines, abandonnées comme des chatons derrière une porte. 

Elles ont juste attendu.

Hurlé, longtemps. Puis plus du tout.

Le silence est venu les border.

Et il est resté.

Trois semaines plus tard, nouveau train. Nouveau camp. Nouvelle attente.

Et puis, un jour, la guerre s’arrête. Le bruit s’efface.

Gitla et Sarah survivent. Grandissent.

Sarah recommence à parler.

Elle décide que son silence ne la tuerait pas.

Sarah se reconstruit.

Pas comme on recolle une tasse brisée. 

Plutôt comme on bâtit un palais sur les ruines.

Elle devient Suzy.

Elle devient libre.

Elle devient mère.

Elle devient française.

Cette femme solaire, digne, drôle, forte, qui a su semer dans la douleur pour récolter dans la joie.

Elle devient celle qui n’a jamais oublié, mais n’a jamais haï.

Celle qui a transmis, sans plainte, sans haine, avec amour.

Elle a aimé. Un homme. Puis ses enfants.

Puis la vie, doucement.

Puis la France, malgré tout.

Elle a pardonné ce qu’elle a pu, et pleuré ce qu’elle ne pouvait pas.

Elle a cousu, en elle, les morceaux brisés du monde.

Aujourd’hui, elle est Mamélé.

Grand-mère de ceux qui n’ont jamais connu la guerre.

Mais qui la portent dans les veines.

Elle rit d’un rire d’enfant.

Elle rit avec ses petits-enfants. 

Elle se souvient. Elle aime.

Elle est vivante. Intensément vivante.

Et c’est sa plus grande victoire.

Ce 16 juillet, nous nous souvenons pour elle.

Marchons avec elle.

Lui disons à haute voix : Tu as survécu.

Tu es debout.

Et nous aussi.

Par un de ces hasards qui n’en sont pas,

Ce 16 juillet est aussi  le 20 Tamouz. 

Le jour où Theodor Herzl a quitté ce monde.

Visionnaire fatigué, qui rêvait d’une maison.

Non d’un château, ni d’un empire. 

Juste un lieu où les Sarah n’auraient plus peur d’exister.

Où les enfants pourraient aller à la mer.

Sans étoile cousue.

Sans étoile filante.

Lui aussi croyait qu’un peuple ne pouvait pas toujours tendre la main à ceux qui la frappent.

Lui aussi a compris qu’il fallait une terre. Une promesse. Un État.

Il n’a pas tout vu. Il n’a pas tout su.

Mais il a compris.

Et il a écrit.

Il a bâti un rêve. Sarah l’a payé de son enfance.

Aujourd’hui, 

Sarah est vivante. Et les enfants d’Israël aussi.

Contre toute logique, toute statistique, tout destin…

Un miracle.

Tissé de cendres, d’amour, de courage, et de mémoire.

En mémoire. En fidélité. En vie.

© David Castel

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7 Comments

  1. Merci David Castel, votre texte est plein d’émotion et de sensibilité, je n’ai pas subi les affres de la 2 ème guerre mondiale, mais ma femme oui puisque toute sa famille polonaise et tchèque a péri dans les chambres à gaz, mais aujourd’hui le spectre des malheurs subis rejaillit avec le totalitarisme islamique que les Macron et les LFI réunis soutiennent, protègent et nous narguent

  2. Si douloureux votre mail
    Il résonne en moi
    Je ne me souviens de rien mais je sais que mes parents ont été déportés
    et que je me suis retrouvée seule face à mon chagrin.
    J’étais toute petite
    Qui m’a sauvée, je ne le saurais jamais
    N’oublions jamais cette ignominie

  3. Je pense à eux souvent, ces innocents, emportés par la haine, à ceux qui ne sont jamais revenus, affamés, gazés, je prie pour eux, j’ai échappé à la rafle avec ma famille proche, aujourd’hui nous sommes en danger nous les Juifs de France, dans la rue, dans nos maisons. En attendant de partir, avant qu’il ne soit trop tard.

  4. Je suis touché par ce récit pas uniquement parce que j’ai habité plus de 25 ans près de la rue Bobillot. Mais je pense souvent à ce cinéaste qui a dit le 19 octobre dernier sur une chaîne de télé que si L.F.I arrivait au pouvoir, il pourrait y avoir des bus qui circurlerait dans Paris à la recherche de juifs .. IL NE DÉLIRAIT PAS. Méfiance, l’ histoire peut se répéter.

  5. Internée politique à même pas 6 ans. Cela parait irréel. Tout comme le vent mauvais qui souffle à nouveau sur la pays, sur la planète.
    Toutes ces familles voulaient vivre en paix. Tout comme Israël. Ou nos compatriotes, de confession juive. Est-ce trop demander? Si c’était le cas, alors il faudra se battre pied à pied contre les barbares. Dieu merci, Israël désormais a Tsahal.
    Il m’est insupportable que les français et étranger juifs qui vivent en France aient peur, songent à l’exil. Et que soient minimisés les atteintes physiques, les assassinats, en raison de cette identité.

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