Tribune Juive

Vivre, simplement vivre, sans menace, sans haine, sans les appels constants à l’effacement d’Israël. Par Charles Rojzman

Il y a, au fond de ce qui s’agite aujourd’hui sur les écrans, dans les journaux, dans les rues où l’on crie, un mensonge lourd, épais, qui empoisonne le regard. Ce mensonge répète que les Israéliens refusent l’existence d’un État palestinien, comme s’ils refusaient par nature, par obstination, comme si leur existence ne se nourrissait que de ce refus. Il y a ce mensonge que l’on ressasse : celui des colonies où l’on imagine des foules de colons oppressant les Palestiniens comme un jeu cruel ; celui d’un gouvernement qui, avec calcul, chercherait à « nettoyer » Gaza, à éradiquer femmes, enfants, vieillards, pour satisfaire une soif d’expansion et de conquête.

On montre Netanyahu, on montre ses ministres, on isole ces figures, on les grossit jusqu’à en faire l’image même du Mal. Et l’on s’en sert pour prouver que tout Israël serait dévoré de haine, aveuglé par le goût du sang. Mais que reste-t-il de cette image dès qu’on regarde autrement, dès qu’on revient à l’histoire ?

Depuis des décennies, Israël n’a cessé de survivre. Sur un territoire minuscule, cerné par des États arabes qui, dès sa naissance, l’ont déclaré illégitime, Israël n’a eu d’autre choix que la guerre ou la disparition. En 1948, en 1967, en 1973 : il s’agissait non de négocier, mais de repousser l’annihilation. Et quand ce ne furent plus les armées, ce furent les attentats : les autobus éventrés, les marchés ensanglantés, les cafés arrachés à leur quotidien. Face à cela, Israël a dressé ses défenses, a tendu ses nerfs, a fortifié ses frontières, non par plaisir, non par instinct de conquête, mais par nécessité.

Chaque fois que la paix a été possible, des territoires ont été rendus. Le Sinaï, Gaza même : preuve qu’il ne s’agit pas d’un appétit sans fin. Que certains extrémistes rêvent d’un grand Israël, sans doute. Mais que ce soit la volonté majoritaire d’un peuple, c’est faux. La majorité des Israéliens veut vivre, simplement vivre, sans menace, sans haine, sans les appels constants à leur effacement.

Ce qui frappe aujourd’hui, c’est la puissance de la propagande : une propagande islamiste qui a su, par les images, par l’émotion, retourner une grande partie de l’opinion mondiale. Une opinion qui ne cherche plus les faits, mais qui se laisse guider par l’indignation immédiate, par le vertige du choc, par cette vieille tentation de désigner un coupable unique. Et ce coupable, aujourd’hui, c’est Israël. Comme hier c’était le Juif.

Mais il y a plus troublant encore : ce sont ces voix juives elles-mêmes — souvent issues de la gauche, parfois de l’extrême gauche, parfois marquées par un vieux tropisme communiste — qui se joignent à ce renversement accusateur. Parfois par conviction idéologique, certes, mais souvent aussi par désir profond d’apparaître, aux yeux du monde, comme des êtres supérieurs de morale et de justice, comme ceux qui, justement parce qu’ils sont juifs, échappent à l’opprobre qui pèse sur Israël.

Il y a là une tragédie secrète : celle d’hommes et de femmes qui, pour fuir le soupçon collectif, croient devoir condamner plus fort, plus haut, plus durement, comme pour dire à la foule : « Voyez, je ne suis pas complice, je suis du bon côté, je suis pur. »

Il faut voir combien cette logique reste ancrée dans les inconscients, qu’ils soient occidentaux ou arabo-musulmans : l’idée qu’un peuple juif puissant, maître de son destin, soit intolérable. Et derrière les discours anti-sionistes, il reste toujours cette ombre-là, cette survivance, ce vieux rejet qui dépasse de loin les questions de frontières ou d’États.

Le drame de ce moment n’est pas seulement politique, il est moral. Car il révèle à quel point nos sociétés ont perdu le sens du tragique : elles ne savent plus penser en dehors des raccourcis, en dehors des indignations fabriquées. Elles ne savent plus écouter ce qu’il y a, derrière la brutalité apparente, derrière les images, derrière les discours : un peuple qui, au fond, veut continuer à exister. Rien de plus, rien de moins. Et c’est ce rien-là, ce simple vouloir-vivre, qui, pour beaucoup, reste insupportable.

© Charles Rojzman

Vient de paraître: « Les Masques tombent, le réel, arme secrète de la démocratie »

Quatrième de couverture :

« Sous les secousses visibles d’une époque en crise, quelque chose de plus profond vacille. Une âme. Celle d’un monde qui ne sait plus très bien ce qu’il cherche, ni ce qu’il fuit.

Dans l’âme de fond d’une société en crise, l’auteur descend au plus intime de la tempête. Il ne s’attarde pas aux symptômes — désordres politiques, fractures sociales, angoisses climatiques — mais tente d’en écouter le souffle souterrain, ce murmure confus d’une civilisation en perte de sens.

Quel est ce mal diffus qui ronge les sociétés modernes ? Quelle fatigue secrète traverse les individus, les peuples, les discours ? Et si la véritable crise n’était pas tant celle des systèmes, mais celle du cœur, de l’imaginaire, du lien ?

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